AOUT 1944 : Les combattants de la Libération : Albert Ouzoulias, des Bataillons de la jeunesse à la victoire
Le militant communiste et prisonnier de guerre s’évade pour rejoindre la Résistance. Le « colonel André », à la tête des Francs-Tireurs et Partisans (FTP) parisiens, participe à l’insurrection d’août 1944.
Publié le 12 août 2024
« En avant Paris ! Sus aux Boches ! Pas de quartier jusqu’à la victoire ! » Ces mots couvrent les murs de la région parisienne ; ils annoncent l’insurrection à venir. Nous sommes le 10 août 1944. Les Alliés approchent, les cheminots amorcent une grève générale. Un homme a supervisé le placardage des milliers d’affiches qui tapissent les façades d’immeubles, Albert Ouzoulias, responsable des Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF). « Dans une vie de militant, j’ai rédigé beaucoup d’affiches ; aucune n’eut un tel succès », s’amusait-il au soir de sa vie.
Après le Débarquement, Albert se voit confier le commandement des FTPF de toute la région parisienne. Il est le « colonel André », en liaison avec Henri Rol-Tanguy, commandant parisien des Forces françaises de l’intérieur (FFI). À partir du 19 août, il coordonne les opérations pour la libération de Paris depuis l’appartement de sa dactylographe, Alba Matta, avenue de Saint-Mandé. Tout à la fièvre du moment, il ne dort que trois heures par nuit, ne mange presque plus, s’adonne corps et âme à sa tâche. « Surtout, n’ayez pas le sentiment que les résistants furent des êtres exceptionnels », relativisait-il dans son livre les Bataillons de la jeunesse, à destination de la génération contestataire des années 1960.
Il embrasse l’élan du Front populaire
Né en 1915 dans une famille de sabotiers, il n’a jamais connu son père, gazé dans les tranchées de la Grande Guerre, près de Belfort. Pupille de la nation, il éprouve la discipline du pensionnat. Son premier emploi est trouvé au tri postal de la gare de Bourg-en-Bresse. À 17 ans, il adhère à la CGTU, rejoint le PCF, devient délégué national des Jeunesses communistes. Licencié pour des motifs politiques, il est surveillé de près par la Sûreté nationale et s’initie à la vie clandestine.
« Fils de tué de la guerre de 1914-1918, j’ai eu, dès ma plus tendre enfance, la haine de la guerre. » Lecteur de Romain Rolland, il rejoint Paris pour animer le comité Amsterdam-Pleyel. Dans les petites usines des montagnes du Bugey, dans son Ain natal, il embrasse l’élan du Front populaire. Mais Albert est rattrapé par les événements et mobilisé dans la « drôle de guerre ». Il vient seulement de rencontrer Cécile Romagnon, ouvrière du textile et militante dans l’Aube. Il l’épousera au cours d’une permission spéciale.
Il est fait prisonnier : direction l’Autriche. Au stalag, une première tentative d’évasion lui vaut d’être placé à l’isolement. Il lui faut un an pour déjouer pour de bon la surveillance des gardes, avec l’aide des communistes du camp. « La libération de nos villes, de notre pays, fut avant tout leur œuvre, celle de la population laborieuse unie aux autres nations alliées », saluait-il. Arrivé en France, il trouve la maison des Romagnon vide : Cécile est entrée dans la clandestinité, en laissant leur premier fils, Maurice, chez sa belle-mère. Son père ne fera sa connaissance qu’un an plus tard.
« L’internationalisme était, à ce moment, de tuer le plus grand nombre de nazis possible »
À son retour dans Paris occupé, rendez-vous lui est donné par Danielle Casanova, dans l’atmosphère feutrée de la Closerie des Lilas. Elle lui propose de diriger les Bataillons de la jeunesse, branche combattante des JC. Albert sera désormais « Marc » avant de devenir le « colonel André ». Son acolyte : Pierre Georges, alias « Fredo », le futur colonel Fabien. Été 1941 : le jeune Ouzoulias organise des entraînements rudimentaires à l’abri des regards, au bois de Lardy (Seine-et-Oise). Le 21 août, sur le quai du métro « Barbès », Pierre Georges abat l’aspirant Moser. Hésitation morale d’Albert : « Les camarades se refusaient à exécuter un soldat allemand qui pouvait être un camarade de Hambourg, un ouvrier de Berlin. » Mais, poursuit-il avec aplomb : « L’internationalisme était, à ce moment, de tuer le plus grand nombre de nazis possible. »
Malgré le danger, il voyage un peu partout en zone occupée pour superviser le recrutement des combattants : Rouen, Rennes, Angers, Nantes, Le Havre. Il s’installe dans une petite chambre de la rue de Varize, dans le 16e arrondissement parisien, se fait passer pour un représentant de commerce. Il connaîtra 23 domiciles, tous plus ou moins clandestins.
Responsable des opérations au sein des FTPF, il côtoie Charles Tillon, Eugène Hénaff, René Camphin. Il fait entrer dans les FTP son épouse, agente de liaison, pour pouvoir vivre avec elle. L’angoisse les tenaille : par deux fois, Albert manque d’être abattu par la police française. Cécile apprend l’arrestation de deux de ses frères et l’exécution de son père. Sous un faux nom, elle est même arrêtée lors d’un contrôle d’identité : emprisonnée à la Roquette, elle en est exfiltrée in extremis. Peu après, elle accouche de son deuxième enfant, déclaré sous une fausse identité.
Albert n’aura jamais vraiment quitté la Résistance, « l’ouvrier, le cheminot, le cultivateur, le professeur, le libraire du quartier, l’étudiant, le galibot ou le valet de ferme », compagnons d’armes, de route, de métier, pour certains disparus. Après la guerre, devenu élu local, il consacre son énergie à rendre hommage à ses camarades clandestins. Il a toujours répété qu’il devait la vie à Missak Manouchian et à Joseph Epstein, restés muets sous la torture.