Jours de terreur à Gaza pendant les négociations

Publié le par FSC

Gwenaelle Lenoir
Médiapart du 24 août 2024

 

       Une femme palestinienne marche près d’un bâtiment détruit par une frappe aérienne israélienne dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 23 août 2024. © Majdi Fathi/NurPhoto/NurPhoto via AFP

 

Alors que les négociations sur un cessez-le-feu retiennent l’attention, les Gazaouis du centre de la bande de Gaza sont sommés une fois de plus par l’armée israélienne de se déplacer. Mais ils et elles n’ont nulle part où aller.
Le quadricoptère est un petit engin volant, un drone équipé de plusieurs rotors, à peine plus gros que ceux qui servent pour les loisirs et qu’il est possible d’acheter en un clic. Le ciel de la bande de Gaza en est plein. Sauf que ceux là, opérés par l’armée israélienne, sont armés et capables de tirer à balles réelles n’importe où et sur n’importe qui.
C’est un de ces engins qui a failli tuer Hanane le 22 août dans l’après-midi, selon un témoignage recueilli par Mediapart.


Hanane se trouvait pourtant dans une zone déclarée « sûre » par l’armée israélienne, à Al-Mawasi Rafah, quasiment sur la plage. C’est là qu’elle et son mari ont planté leur tente il y a deux semaines, après de multiples déplacements.
L’endroit est surpeuplé, les abris à touche-touche, la chaleur d’août écrasante, et Hanane se trouvait, jeudi en début d’après-midi, à l’extérieur, juste devant sa tente. Elle discutait avec ses belles-sœurs et voisines. Son mari, lui, tenait compagnie à un de ses cousins, qui vend quelques épices sur une charrette à bras, au bout de la rue de sable.
Brutalement, des tirs ont retenti.
Des gens ont crié pour prévenir qu’ils venaient d’un quadricoptère.
Hanane est rentrée sous sa tente, a intimé à sa fille, qui préparait le thé, de ne surtout pas sortir.
C’est là, assise, qu’elle a été touchée par une balle.


« Ces engins, ce sont des fantômes, ils arrivent, on ne les voit pas, ou alors au dernier moment, et ils tirent. Tu es blessé ou tué avant d’avoir compris ce qui se passe. Ils sont partout dans le ciel de Gaza, raconte par téléphone Hassan, beau-frère de Hanane, à Mediapart. Deux autres femmes et un enfant ont aussi été touchés. »


Hanane, finalement, a eu de la chance. Son mari l’a portée sur son dos jusqu’à l’hôpital de campagne du CICR (Comité international de la Croix-Rouge), heureusement juste à côté. « Elle a été opérée tout de suite, elle est restée quatre ou cinq heures au bloc. Le chirurgien lui a enlevé une partie des intestins, ils étaient calcinés », reprend Hassan.
Elle est restée dans un état critique plusieurs heures. Elle s’est réveillée vendredi dans l’après-midi.

Plus un mètre carré de libre


À quelques kilomètres de là, un peu plus au nord, le Croissant-Rouge palestinien a secouru, vendredi 23 août en début d’après-midi, 17 personnes blessées lors d’une frappe contre des tentes installées à Al-Mawasi Qarara.
« La pince se referme sur nous », dit Hassan.


Il évoque ainsi les multiples ordres de déplacement émis par l’armée israélienne depuis quelques jours, par exemple celui-ci, ou encore celui-là. Habituels, ils sont devenus, depuis début août, quasiment quotidiens et concernent maintenant des zones du sud et du centre de la bande de Gaza, et des quartiers de Khan Younès et Deir al-Balah jusque-là épargnés. Résultat : de plus en plus de personnes sont poussées, depuis le nord et le sud de la région centrale, vers l’ouest, c’est-à-dire l’étroite bande côtière déjà surpeuplée.


Depuis plusieurs jours, des images de fuites éperdues circulent sur tous les réseaux sociaux. Des adultes et des enfants poussant des carrioles freinées par le sable dans la nuit, des femmes portant des ballots sur une plage. Le bureau des affaires humanitaires de l’ONU a dénombré 12 ordres d’évacuation depuis le début du mois d’août, soit « environ un tous les deux jours, forçant 250 000 personnes à se déplacer une nouvelle fois », écrit-il dans un communiqué publié le 22 août.


L’ONU alerte une nouvelle fois : « Si les ordres d’évacuation sont censés protéger les civils, ils aboutissent en fait exactement au contraire. Ils obligent les familles à fuir à nouveau, souvent sous les tirs et avec le peu d’affaires qu’elles peuvent emporter, dans une zone de plus en plus restreinte, surpeuplée, polluée, dotée de services limités et, comme le reste de Gaza, peu sûre. »


Le travail des ONG en est évidemment affecté, car leur personnel est également concerné. Khamis Amir, opérateur radio de Médecins sans frontières, qui vivait sous une tente à Khan Younès, explique dans un post diffusé par l’ONG : « La situation est extrêmement difficile. Nous avons commencé à démonter la tente. Évidemment il fait très chaud, nous sommes en août. Ma famille et moi-même rassemblons nos affaires, les petits de 5 ans prennent leurs jouets. Nous ne savons pas où nous allons aller, mais nous savons que nous devons quitter cette zone qui devient trop dangereuse. »


De son côté, le coordinateur de MSF, Jacob Granger, tire, lui aussi pour la énième fois, la sonnette d’alarme : « Les gens n’ont plus de biens, ils n’ont plus d’endroit où aller. Il n’y a pas de place pour monter des tentes. La surpopulation, le manque cruel d’eau et les services sanitaires minimaux favorisent la propagation des maladies. Nous ne sommes pas en mesure de répondre à l’ampleur des besoins. »


Hassan, le beau-frère de Hanane la miraculée, vit depuis plusieurs mois avec sa famille dans une tente sur un bout de terrain prêté par un ami, à l’ouest de Deir al-Balah, à une encablure de la mer. Il le partageait avec deux autres familles. Cinq autres sont arrivées depuis le début de la semaine, depuis l’est de la ville. « On n’a plus un mètre carré de libre pour installer une tente supplémentaire », soupire-t-il.


Comme tout le monde, il pense que le tour de cette zone viendra et qu’il lui faudra, une nouvelle fois, se déplacer. « Hier [jeudi 22 août – ndlr], j’ai passé ma journée à chercher un nouvel endroit, je suis allé à Ezzawiya, carrément sur la plage. Je n’ai pas trouvé un seul espace libre, raconte-t-il. Les gens sont dans les rues, ils ne savent pas quoi faire. »

Espoirs douchés et lignes rouges


Loin de ce chaos, les spéculations se poursuivent sur le succès à venir, ou l’échec, des discussions sur la conclusion d’un cessez-le-feu ouvrant la porte à la libération des otages israéliens retenus à Gaza et à celle de centaines de prisonniers palestiniens.
Le chaud et le froid alternent avec une constance tristement habituelle. Après Antony Blinken annonçant, en début de semaine, que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, avait accepté la proposition américaine, ce dernier a douché les espoirs en réaffirmant sa volonté de maintenir le contrôle de l’État hébreu sur le couloir de Philadelphie (à la frontière entre l’enclave palestinienne et l’Égypte), et sur le nouveau corridor dit de Netzarim, façonné par l’armée israélienne et qui coupe la bande de Gaza en deux dans un sens nord-sud.
Le Hamas de son côté répète avec constance qu’il s’agit là de lignes rouges et qu’il n’acceptera rien hormis le plan américain présenté lors du round des négociations de début juillet.
« Des sources impliquées dans les négociations sur le cessez-le-feu affirment que Nétanyahou “sabote une fois de plus les discussions” », titrait le 20 août le quotidien israélien en anglais Haaretz. Le même jour, Alon Pinkas, ancien diplomate israélien, journaliste diplomatique pour le même Haaretz, parlait même de « duperie ».


Vendredi 23 août en fin de journée, le porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby, affirmait que les discussions étaient « constructives ». Ce qui signifie qu’on est loin du compte. Samedi, un cadre du Hamas a déclaré à l’AFP qu’une délégation du mouvement islamiste palestinien était en route pour Le Caire afin de « rencontrer de hauts responsables du renseignement égyptien pour être informée des derniers développements dans les négociations en cours ». Cependant, a-t-il ajouté, « cela ne signifie pas que le Hamas participe à ces négociations ».


De son côté, l’armée israélienne émettait un nouvel ordre de déplacement forcé, cette fois concernant le nord de la bande de Gaza. Les roquettes qui se sont abattues ce même jour sur la ville israélienne de Sdérot, frontalière de la bande de Gaza, auraient été tirées de ces zones à évacuer. Qui l’ont déjà été à de maintes reprises.
La spirale infernale continue.



Les prénoms Hanane et Hassan sont des prénoms d’emprunt

 

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