Le stade Yarmouk de Gaza, de l’arène sportive au centre de détention

Publié le par FSC

Par Lucas Minisini
Le Monde du 08 août 2024

       Une femme déplacée, dans l’enceinte sportive de Yarmouk, autrefois le plus grand stade de football de Gaza, le 5 juillet 2024. AP

L’enceinte où s’entraînaient les athlètes palestiniens rêvant des Jeux olympiques a été détruite au début de la guerre. Avant d’être converti en camp de fortune pour les déplacés, le lieu a servi de site d’interrogatoire pour l’armée israélienne.


Une partie des gradins a été anéantie par un tir de missiles. La pelouse du terrain de football, autrefois verte et bien taillée, a été retournée à coups de bulldozers. Et, entremêlée aux gravats, la piste d’athlétisme est à peine reconnaissable. Le stade Yarmouk, situé dans le quartier Zeitoun de la ville de Gaza, l’une des rares enceintes sportives de la bande côtière aux standards internationaux, est aujourd’hui inutilisable du fait des dommages que l’armée israélienne lui a infligés. « Les soldats ont même détruit le réseau électrique et le système d’irrigation », témoigne Adel Al-Fasih, le manageur de l’installation, qui a perdu sa femme et cinq de ses enfants dans une frappe sur sa maison.


C’est dans le stade Yarmouk que s’entraînaient les athlètes rêvant de participer aux Jeux olympiques (JO) depuis 1995 – date de l’entrée de la Palestine au Comité international olympique (CIO). Mais depuis octobre 2023, la guerre menée par l’armée israélienne dans l’enclave a causé la mort de nombreux sportifs. Parmi eux, Hani Al-Masdar, l’entraîneur adjoint de l’équipe nationale de football de Palestine, qui a péri avec une quarantaine d’autres personnes, dans un bombardement sur Deir Al-Balah, le 6 janvier.


L’attaquant vedette de l’équipe de Palestine, Mohammed Barakat, auteur de 114 buts pour le club de Khan Younès, a été tué, lui, le 11 mars, dans la même ville, par une frappe israélienne qui a détruit sa maison. Le 11 juin, Majed Abu Maraheel, coureur de fond et tout premier athlète palestinien à avoir concouru aux JO, en 1996 à Atlanta, est mort dans le camp de réfugiés de Nousseirat, d’un manque de médicaments pour soigner son insuffisance rénale.


« La liste est encore longue », s’attriste Nader Jayousi, le président du Comité olympique palestinien, qui estime à environ 400 le nombre d’athlètes gazaouis tués depuis le 7 octobre 2023. Et comme le stade Yarmouk, beaucoup d’installations sportives de la bande de Gaza ont été détruites par l’armée israélienne, sans la moindre justification sécuritaire.

« Symbole de coopération arabe »


L’enceinte, qui pouvait accueillir jusqu’à 9 000 spectateurs, avait été inaugurée en 1952, quand l’enclave était administrée par l’Egypte. « Nos parents et nos grands-parents y voyaient un symbole de coopération arabe et de soutien à la cause palestinienne », se remémore Adel Al-Fasih. Lieu de « triomphes » et de « défis » pour les clubs locaux et les sélections nationales, ce stade, parmi les plus anciens et les plus grands de Palestine, offrait de brèves échappatoires à la population sous blocus depuis 2007.
En plus des événements sportifs, la municipalité de Gaza, propriétaire des lieux, y organisait des festivals et quelques grands mariages. Abîmé par les bombardements à chaque guerre, comme pendant l’opération « Plomb durci » de la fin 2008, le stade Yarmouk a toujours été reconstruit à l’identique, grâce aux financements de la banque de développement allemande KfW, explique Tamer Al-Absi, le vice-président de la Fédération palestinienne d’athlétisme.


Des réparations nécessaires pour accueillir certains grands rendez-vous comme, en 2016, la finale de la coupe de Palestine, entre Ahli Al-Khaleel, le club de Hébron et le Shabab, l’une des formations de Khan Younès. Par le biais de l’application WhatsApp, Adel Al-Fasih parle avec émotion de l’une des dernières rencontres de la saison 2022-2023 de la ligue de Palestine, la « compétition loyale » entre l’équipe d’Al-Shati et celle de Naâma. L’ultime match au « Yarmouk » avant la guerre.

« Camp de torture »


Après le 7 octobre 2023, des milliers de Gazaouis fuyant les bombardements israéliens ont trouvé refuge à l’intérieur du stade. « L’armée israélienne a tenté à plusieurs reprises de prendre le contrôle du lieu », affirme son manageur. Le 24 décembre, plusieurs chars encerclent l’installation avant que des soldats ne s’y introduisent. « C’est alors devenu un camp de torture », souffle Nader Jayousi. Le président évoque des témoignages et des vidéos, diffusées sur les réseaux sociaux par les soldats israéliens eux-mêmes, où des dizaines de Palestiniens apparaissent à genoux au milieu du terrain, dévêtus, menottés et, pour certains, les yeux bandés.


« L’armée israélienne a tiré sur mon fils et l’a tué », affirme sur WhatsApp Tamer Al-Absi, de la Fédération palestinienne d’athlétisme, qui précise que plusieurs personnes sont mortes autour et à l’intérieur du stade Yarmouk au cours de l’opération menée par les soldats de l’Etat hébreu pour prendre possession de l’enceinte. Une semaine après, la municipalité de Gaza déclarait le stade « détruit ». « Yarmouk était tellement important pour Gaza, regrette Nader Jayousi. Maintenant, les pires souvenirs seront toujours associés à ce lieu. »


Aujourd’hui, parmi les 300 000 habitants restés dans le nord de la bande de Gaza, plusieurs centaines vivent dans les installations sportives détruites. Le 26 juillet, au cours de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris, le boxeur Wassim Abou Sal, porte-drapeau de la délégation palestinienne, a défilé sur la Seine vêtu d’une chemise où figuraient des enfants jouant au foot sous une pluie de bombes.
 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article