Après Gaza, Netanyahou veut ouvrir un nouveau front au Liban
Pierre Barbancey
L'Humanité du 17 septembre 2024
Le premier ministre israélien tente de faire basculer la région dans la guerre et entend s’attaquer au pays du Cèdre. Une façon d’éviter un cessez-le-feu à Gaza en mettant en péril les otages israéliens.
Si des doutes subsistaient sur sa volonté réelle de paix, Benyamin Netanyahou les a levés. Les chances d’un accord sur un cessez-le-feu, jugé à portée de main par Joe Biden, s’éloignent avec les prétentions israéliennes de maintenir des troupes dans le corridor de Philadelphie, une étroite bande de terre de 14 kilomètres de long, située le long de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza.
Le premier ministre israélien vient de franchir un nouveau pas en annonçant que le retour des habitants du nord d’Israël, qui ont fui les échanges de tirs entre l’armée et le Hezbollah, était désormais l’un des buts de son gouvernement. « Le cabinet politique et de sécurité a mis à jour les buts de la guerre ce soir, afin d’y inclure la section suivante : le retour en toute sécurité des habitants du nord (du pays) dans leurs maisons », a expliqué son bureau.
Le risque d’une guerre totale dans la région
Les affrontements ont, jusque-là, tué 623 personnes au Liban, principalement des combattants, mais aussi au moins 141 civils, selon un décompte de l’AFP. Du côté israélien, y compris sur le plateau du Golan annexé, les autorités ont annoncé la mort de plus de 24 soldats et 26 civils.
Israël fait monter la pression pour faire basculer l’ensemble de la région dans la guerre. Le 1er avril, Israël avait ciblé l’espace consulaire de l’Iran à Damas, tuant le général Zahedi, représentant des gardiens de la révolution iraniens en Syrie et au Liban. Le 30 juillet, l’un des fondateurs du Hezbollah libanais, Fouad Chokr, était tué dans la banlieue de Beyrouth. Enfin, le lendemain, Ismaïl Haniyeh, le chef du Hamas et engagé dans les négociations indirectes avec Israël, était assassiné à Téhéran, très certainement par ou sur ordre des Israéliens.
« La possibilité d’un accord s’éloigne car le Hezbollah continue de soutenir le Hamas », déclarait, lundi 16 septembre, le (toujours) ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, à l’émissaire américain Amos Hochstein, en visite en Israël. Il est d’ailleurs allé plus loin en stipulant à son interlocuteur : « L’action militaire (contre le Hezbollah – NLDR) est le seul moyen de garantir le retour des habitants du nord d’Israël dans leur foyer. »
Pourtant, deux jours auparavant, le numéro deux du Hezbollah, Naïm Qassem, soulignait que son groupe n’avait « pas l’intention d’entrer en guerre (mais que) si Israël déclench(ait) une guerre, nous y fer(i)ons face et les pertes ser(ai)ent énormes pour nous comme pour eux ». Le nouveau chef du Hamas, Yahya Sinouar, qu’Israël n’a toujours pas trouvé après onze mois de guerre, a assuré de son côté que le mouvement islamiste palestinien était « préparé à mener une longue guerre d’usure » contre les forces israéliennes dans la bande de Gaza.
Yoav Gallant sur la sellette
Ce nouvel épisode se produit alors que le ministre israélien de la Défense est sur la sellette. En désaccord avec Netanyahou – officiellement concernant l’exemption militaire des étudiants en religion –, Yoav Gallant, par ailleurs cité par le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) dans sa demande de mandats d’arrêt, pourrait être remplacé par Gideon Sa’ar, un ancien du Likoud qui a créé son propre parti.
Les États-Unis ont fait savoir que remplacer un ministre de la Défense en pleine guerre était une folie. Mardi soir, on parlait d’un possible report d’une telle annonce. Il n’en reste pas moins que, ce faisant, Netanyahou cherche à lever la pression, qu’elle soit intérieure ou extérieure : avec Sa’ar, il disposerait d’une possible nouvelle majorité, et l’homme se serait engagé à le soutenir dans sa réforme judiciaire. En cas de guerre régionale, le premier ministre israélien serait assuré du soutien des Américains.
« L’administration américaine actuelle ne veut pas de guerre régionale maintenant, même avec la seule résistance libanaise, à la veille des élections présidentielles américaines », estime Hani Al Masri, directeur de Masarat, le Centre palestinien pour la recherche sur les politiques et les études stratégiques. « Ces dernières rencontrent une concurrence intense, et toute guerre affectera les chances de victoire de Kamala Harris. Parce que cela entraînera une hausse des prix et de l’inflation, et ce facteur affecte(ra) fortement la décision de l’électeur américain. »
Le chercheur note également que « l’Iran ne veut pas d’une guerre régionale. Parce qu’il se rend compte qu’il avance mieux dans la région sans guerre ou avec une guerre d’usure et rien de plus, d’autant que les États-Unis et l’Otan entreront en guerre aux côtés de l’occupant, ce qui signifie que le rapport de force sera déséquilibré ».