Au Liban, la banlieue sud de Beyrouth happée par la guerre

Publié le par FSC

Par Laure Stephan
Le Monde du 23 septembre 2024

 

       Un homme marche avec une valise près du site de l’attaque israélienne de vendredi, dans la banlieue sud de Beyrouth, dimanche 22 septembre 2024. BILAL HUSSEIN / AP

 

Après la frappe israélienne de vendredi sur un bastion chiite de la capitale, les habitants oscillent entre la crainte de nouveaux bombardements, la colère et le soutien au Hezbollah.

Le périmètre de la frappe israélienne qui a décapité le commandement de l’unité d’élite du Hezbollah, vendredi 20 septembre, est toujours bouclé, dimanche, par des hommes du mouvement chiite, à Jamous, l’un des quartiers de la vaste banlieue sud de Beyrouth. Une odeur de brûlé flotte. Des bulldozers soulèvent des gravats. Un immeuble s’est effondré, lorsque quatre missiles ont été tirés sur cette zone résidentielle, où des cadres militaires du Hezbollah tenaient une réunion : seize combattants ont été tués. Des civils, dont des femmes et des enfants, ont aussi péri. Le dernier bilan provisoire de cinquante-deux morts, établi par la défense civile, lundi matin, pourrait s’alourdir. Neuf personnes étaient toujours portées disparues.


Cette frappe, précédée par le sabotage à l’explosif, attribué à Israël, d’appareils de communication de membres du Hezbollah, nourrit un « climat d’insécurité dans la banlieue sud », note Chadi Fares qui, depuis vendredi, est venu attendre des nouvelles de sa famille. Plusieurs de ses proches, dont quatre enfants, ont trouvé la mort dans la frappe. « Notre ennemi [Israël] ne respecte aucune règle. S’ils veulent tuer des combattants, qu’ils le fassent sur la ligne de front », dit avec colère cet homme aux cheveux longs, qui vit en dehors de la banlieue sud, mais y est né.


Avec une série d’attaques en quelques jours, la violence des affrontements qui se jouent à la frontière libano-israélienne depuis près d’un an a fait irruption aux portes de Beyrouth. La frappe israélienne ciblant un chef militaire du Hezbollah, Fouad Chokr, fin juillet, et ayant fait aussi des victimes civiles, avait déjà créé un choc dans la banlieue sud. Les habitants de cette zone chiite à l’habitat très dense, bastion du Hezbollah, étaient convaincus que le ciblage de celle-ci était une ligne rouge.


« Il y a désormais une guerre au Liban, on ne peut plus le nier, avec des destructions chaque jour », observe Kamel Mehanna, médecin et président de l’association Amel, qui tient des centres de santé dans diverses régions du Liban, dont l’un en banlieue sud.

« Tout peut arriver »


Près du lieu touché, une famille s’éloigne dans une voiture chargée de matelas ; une jeune fille porte une cage à oiseaux. Une autre famille s’engouffre à la hâte dans un véhicule, avec des affaires emballées dans des sacs-poubelle. « Il y a, depuis plusieurs mois, un va-et-vient de la population. Des habitants du Sud, dont les villages sont bombardés, ont trouvé refuge en banlieue de Beyrouth. Après la frappe de juillet, 30 % des habitants ont quitté la banlieue sud. Les gens bougent en fonction du danger qu’ils perçoivent », poursuit le docteur Mehanna. Dans le Sud, plus de cent mille personnes ont quitté leurs maisons depuis octobre 2023.


Depuis vendredi, des drones ont tournoyé dans le ciel au-dessus de Beyrouth, pendant de longues heures, y compris la nuit. Imane, habitante de la banlieue sud, n’a pas trouvé le sommeil. Elle connaissait certaines des victimes tuées dans la frappe de Jamous. « Des gens disent que si le Hezbollah n’attaquait pas Israël, celui-ci ne frapperait pas le Liban. Est-ce que ses combats ont permis d’arrêter la guerre à Gaza ? Non. Mais, au moins, le Hezbollah fait quelque chose. Pourquoi les pays arabes laissent-ils les Palestiniens être écrasés ? » Elle redoute pourtant une guerre totale, dont elle ne veut pas, comme de nombreux chiites.


La banlieue sud a déjà été, dans un passé récent, confrontée à des vagues de violence. Dans les années 2013-2015, plusieurs attentats, revendiqués notamment par l’organisation Etat islamique, avaient fauché des dizaines de civils, alors que le Hezbollah combattait en Syrie, aux côtés du régime de Bachar Al-Assad. Chacun avait été suivi d’un pic d’angoisse, s’atténuant dans les jours suivants, dans un réflexe de survie, lié à la longue histoire de crises vécues par les Libanais. Ces attentats avaient soudé les habitants autour du Hezbollah.


Infirmier aux urgences de l’hôpital Sainte-Thérèse, un établissement privé situé à la lisière de la banlieue sud, où il a assisté à l’afflux de blessés des diverses attaques, Hassan Tahan, 25 ans, a le sentiment, désormais, « que tout peut arriver : une frappe, une explosion, une voiture piégée ». Conscient du même risque, Maher Messelmani, coiffeur de 41 ans vivant à Jamous, refuse de se laisser gagner par la peur. « Je continue de me déplacer comme d’habitude, dit-il. En 2006, ma famille et moi ne sommes pas partis. » La banlieue sud, cible d’intenses frappes israéliennes lors de ce conflit, s’était alors vidée de la plupart des habitants.

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