Carnet de route d'une grande aventure de 1200 kilomètres à travers la France solidaire de la Palestine

Publié le par FSC

 

Cet été nous sommes partis à vélo à travers la France pour un voyage long de 1200 km à la rencontre des comités de soutien de la Palestine. Jusqu’au départ nous ne savions pas tout à fait dans quoi nous nous engagions. Prenions-nous des risques inconsidérés en associant nos vies tranquilles et nos noms à ce territoire tant convoité ? Quel genre de militant allions nous rencontrer ? Notre condition physique était-elle suffisantes ? Nous espérions collecter de l’argent au profit de la Palestine mais qui allions- nous convaincre de donner au profit d’une association (Association France Palestine Solidarité) peu connue du grand public ? Les seules choses tout à fait certaines avant le départ étaient que nous avions acheté 2 bonnes montures, que notre destination finale en Ariège est un petit paradis où on se sent très bien et surtout que l’injustice faite au peuple palestinien depuis tant d’années est à nos yeux une anomalie historique valant bien qu’on mouille un peu le maillot !

 

 


Au moment de rédiger ces lignes nous avons terminé notre périple depuis 10 jours, nous sommes arrivés à destination sains et saufs, les militants que nous avons rencontrés forment dans notre univers une constellation rayonnante, (nous les saluons affectueusement) nous tenons une forme olympique (trop tard pour les JO ;-)) et nous avons dépassé l’objectif car 5600€ ont été collectés. Si la guerre en Palestine ne continuait pas avec son lot quotidien d’atrocités, si l’impunité d’Israël ne semblait pas immuable on pourrait presque fêter le succès de notre initiative !

 


Parmi les centaines de soutiens croisés/rencontrés, plusieurs fois on nous a demandé pourquoi la cause Palestinienne nous importait au point d’y consacrer de l’énergie durant nos vacances. Notre réponse est la suivante : nous avons 52 et 53 ans, ce conflit est le bruit de fond de nos vies depuis toujours. Dans une logique de choc des civilisations il alimente les peurs des occidentaux et les frustrations du monde arabe. A travers ce récit Israélo-Palestinien c’est comme si on essayait de nous dire depuis notre naissance qu’arabes et occidentaux ne peuvent cohabiter. Ce récit n’est pas le nôtre. Pour les palestiniens, pour nous, pour nos enfants, pour ces israéliens qui refusent les crimes du sionisme nous croyons à un autre récit et une autre issue, voilà pourquoi nous roulions pour la Palestine cet été !

 


Le 30 juillet nous avons donc quitté Paris par le sud, nous avons fui la canicule en Ile-de-France encouragés par une quinzaine de militants de l’AFPS et de la LDH retrouvés devant la Cité Universitaire Internationale (un symbole). La sortie de Paris a été éprouvante physiquement à cause de la chaleur mais nos drapeaux attiraient de nombreux regards, ici et là des concerts de klaxons, des applaudissements de piétons sur les trottoirs, des discussions à la sauvette aux feux rouges pour connaître nos intentions nous donnaient le sourire. On voulait faire parler de la Palestine, apparemment ça marchait, on pouvait continuer ! Free Palestine !

 


En sortant d’Ile de France par le Gâtinais nous avons dîné avec la présidente d’agir pour la Palestine qui nous a raconté ses nombreux voyages en Cisjordanie, son engagement personnel, les difficultés rencontrées pour renouveler le bureau de l’association. Avec 90 bornes dans les cuisses, un peu de vin, le menu gastronomique sur l’estomac on est retournés à la tente complètement fracassés et un peu bourrés. On peut être militant, indigné et bon vivant, la tonalité du voyage commençait à se dessiner !


Au début des années 90 alors que j’étais un jeune adulte. Je pensais que le monde avait trouvé un équilibre inédit. En 30 ans l’humanité avait été témoin de la victoire du mouvement des droits civiques aux USA, de la fin progressive des colonies, de la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud. L’idéal soviétique ayant cruellement échoué je me réjouissais aussi de la chute du mur de Berlin. Les dernières dictatures du sud de l’Europe étaient devenues des démocraties et une dynamique similaire semblait s’imposer en Amérique Latine.

 


J’étais même convaincu que sous l’égide de l’ONU nos dirigeants allaient bientôt s’attaquer au dernier des grands défis du siècle : mettre un terme à l’injuste sort réservé aux palestiniens, offrir à Israël les conditions d’un épanouissement fondé sur d’autres ressorts que la dépossession des peuples qui occupaient la terre de Palestine avant la création d’Israël en 1948. J’avais 19 ans en 1990, l’horizon restait sombre par-ci, par-là , mais à mes yeux la loi du plus fort était vaincue, alléluia !

 


34 ans plus tard, juillet 2024 : les palestiniens attendent toujours justice, leur terre est sans cesse rognée par un État israélien conquérant. Partout à travers le monde, celui ou celle qui dénonce la violence coloniale d’Israël ne tarde pas à être qualifié d’antisémite. J’avais cru que la loi du plus fort était vaincue, la vérité c’est qu’elle préparait son prochain assaut, fait de vérités alternatives et de drones tueurs.


Le 3ème jour après le départ on s’est fait une grosse frayeur. On avait fait une pause sur une route champêtre du Loiret, on venait de repartir quand j’ai vu une énorme grappe de mûres. Pensant que Janne n’était pas encore sur son vélo j’ai arrêté le mien, la remorque en travers de la route ! Je n’ai pas eu le temps d’attraper les mûres que mon vélo et moi avons été renversés par Janne que j’ai vu faire un soleil par dessus ma remorque ! Aïe ! Etendue par terre elle avait les pieds toujours accrochés aux pédales, j’ai eu très peur qu’elle ne soit sérieusement blessée et un instant j’ai pensé que notre aventure était terminée. L’instant suivant j’ai pensé qu’il allait falloir prévenir tous ceux qui avaient accepté de s’associer au projet, l’AFPS, les militants, les donateurs. Finalement Janne s’est relevée, sans gros bobo visible, avec une douleur aiguë aux côtes (surtout allongée mais pas en pédalant). Elle a affirmé qu’on pouvait repartir (la championne !), nous sommes repartis !

 

 

 

Le long de la Loire avec les pistes cyclables on peut enchaîner les kilomètres. Janne est sportive dans l'âme et c'est elle la gardienne de l'application de navigation sur le téléphone fixé sur son guidon. Avec les outils électroniques c'est ludique, ils communiquent des tonnes d'infos, certaines inutiles mais connaître notre vitesse on aimerait bien !  Quand on a un bon rythme c'est parce que Janne me dise: "24 km/heure!" Entre nous ça veut dire qu'il faut tenir alors on tient, tant qu'on peut ! A cette vitesse, avec les sacoches et la remorque derrière le vélo on sent vite  le coeur qui se gorge de sang, les cuisses qui fonctionnent  comme 2 pistons infatigables, les paysages défilent , on peut rester sans se causer pendant 10, 20, 30 kms, on déroule, on transpire  à grande eau, on vide les gourdes d'eau chauffées par le soleil ardent et on aime ça. C'est formidable !

 


Tout aussi formidable mais effrayant, un soir il y a un orage qui s’est déchaîné juste au-dessus de nos têtes. Ça crépitait partout autour de la tente, comme une expérience électrique au palais de la découverte, je pensais (sans le dire évidemment car on garde sa panique pour soi ok!) que nous allions faire la une des faits divers le lendemain matin. Après 1h00 à 2h00 au coeur du monstre, l’orage est parti, on a pu dormir un peu. Le lendemain matin, pas très frais, on a suivi encore un peu la Loire puis le canal du Berry, puis on a dépassé Montluçon pour rejoindre la Creuse avec nos premiers dénivelés. Ce n'était pas grand chose mais avec deux plateaux devant alors que nous en avions trois lors de nos précédents voyages et onze vitesses derrière on a tapé plus vite dans le dur. Des fois on aurait aimé un peu de soulagement en pédalant dans la semoule et on a un peu flippé en pensant au Massif Central qui nous attendait !


On a fait une pause de 36h00 en Creuse dont un repas Palestine Libre organisé pour l’occasion. Nous étions une bonne vingtaine. On a encore bien mangé et bien bu, partagé nos émotions face au conflit. On nous a remerciés chaleureusement pour notre initiative, on est vite devenus un peu émotionnels, peut-être un peu mièvres et bruyants mais on s’en moque, On a fraternisé et par les temps qui courent ça fait un bien fou ! Je suis sûr que le lendemain matin tous ceux qui étaient autour de la table se sont levés un peu plus forts et unis ! Free Palestine !


Après, sur les montagnes russes de Corrèze et du Cantal vaut mieux être en jambe. Ce n’est pas rare de tomber sur des pentes à 10%, 11%, voire 13%. On a connu des moments un peu «hard» avant Aurillac. On a promené nos drapeaux de la Palestine avec sérieux dans la fameuse diagonale du vide. Il n’y avait pas grand monde pour nous voir passer à part les vaches et un mec dans un petit village sur le perron de sa maison qui m’a interpellé : « C’est quoi ton drapeau ? », je lui ai dit « Palestine », il m’a répondu « Ah oui Portugal». J’ai pensé qu’on partait de trop loin, on a tracé notre route …


On s’est approché d’Aurillac en passant par Réac (la vraie orthographe c’est «Reilhac») sur la route communale C8 (comme la chaîne de Bolloré pour ceux qui ne regardent pas la TV). C’était marrant mais pas prémonitoire car nous avons été accueillis par une vingtaine de personnes dans le jardin des Carmes, un pique-nique généreux, de la musique. Les auvergnats savent recevoir ! Ils avaient même invité un journaliste de La Montagne, le journal régional qui a publié le lendemain une brève en l’honneur de notre passage dans la région. Free Palestine !


Plus au sud on a traversé le Parc Naturel des Grands Causses. A plus de 1000 mètres d’altitude, les conditions étaient idéales, tout était là : le petit vent, le soleil radieux, personne sur les routes, souvent le foin venait d’être coupé, les ballots attendaient dans les champs, partout ça sentait bon, comme une odeur de miel avec une petite acidité en plus. En plus on retrouvait la sympathie de quelques chauffeurs qui reconnaissaient les drapeaux et klaxonnaient. A une quinzaine de kilomètres de Millau on a commencé à entendre des cigales, la végétation a changé, on était dans le Sud ! Millau, c’est parait-il le Midi, moins le quart. C’est une jolie image et c’est effectivement ce qu’on a ressenti. On a traversé le centre ville qui était en pleine effervescence, avec ses commerces, son marché couvert. Avec nos drapeaux toujours là on est tombé sur d’autres drapeaux de la Palestine, énormes, bien plus grands que les nôtres ! Très naturellement on a rejoint la table des militants puis notre contact sur place est venue nous installer chez elle, comme des pachas !

 


Le soir nous allions à un pique-nique au bord du Tarn . nous y avons fait la connaissance d’autres militants, tous aussi chaleureux et profondément blessés par les horreurs en Palestine . quelle belle soirée ! on a parlé politique évidemment et histoire aussi, le Larzac était juste à côté de nous en direction du sud. l’histoire de ce territoire de luttes est formidable  et ses représentants ce soir là aussi. on s’est quitté pour quelques heures parc que le lendemain à 10h30 on est allé manifester sur la place de la capelle. nous  étions une cinquantaine mais hors vacances ils sont jusqu’à 200 a manifester, tous les samedis ! ce matin là ils avaient organisé la lecture de témoignages de détenus palestiniens, c’était glaçant !


Nous avons aussi témoigné de notre voyage et de nos motivations puis nous avons déambulé dans le centre de la ville. Les rencontres à Millau nous ont beaucoup touchés, inspirés, on va se revoir, c’est certain ! Après la manif on s’est installé à la terrasse d’un restaurant, le Marrakech ! Couscous et tajine pour tout le monde et derrière notre table sur le mur de la ruelle, un gigantesque drapeau de la Palestine ! Free Palestine !


Progressivement notre voyage pour la Palestine a trouvé sa place parmi une multitude d'initiatives citoyennes à travers le monde. Nous avons souvent senti les larmes venir et tant de fois nous avons vu rougir les yeux des camarades rencontrés. C’est difficile à expliquer mais nous sommes partis avec le besoin de faire quelque chose pour les Palestiniens et nous avons l'impression d'avoir reçu sur tout notre parcours beaucoup plus que nous ne serons jamais en mesure de donner. Un soir, alors que nous étions au camping dans l'Hérault à Saint-Chinian, nos têtes dépassaient de la tente pour regarder passer les étoiles filantes. Comme le spectacle grandiose des étoiles sous nos yeux, toutes ces belles personnes rencontrées du nord au sud formaient une carte rassurante d'une France qui rend fier, sans compromission avec ses valeurs, ni aveuglement face à la complexité du monde.


Sur les hauteurs de minerve, après 13km sous le soleil ravageur de midi et quelques litres de sueur perdus on a découvert “ les rencontres du maquis pour l’émancipation ”. cette année le thème était " maudites soient toutes les guerres ". nous y avons trouvé de la musique, des livres, des conférences; de quoi alimenter nos réflexions et un idéal de fraternité internationale.


Durant les 220 km parcourus sur les routes du Larzac en Aveyron puis dans l’Hérault, Lodève en passant par les gorges de la Beil puis le lac de Salagou, Clermont l'Hérault, Saint-Chinan, minerve et Carcassonne, la principale difficulté c’est le soleil puis le vent dans le nez qui se lève à l’approche de Carcassonne. putain ça cogne et ça souffle mais qu' est-ce que c'est beau !


Quelqu’un dont l’attachement au droit des peuples à disposer d’eux- mêmes ne fait pour moi aucun doute m’a fait part de son malaise à propos du slogan souvent scandé par les défenseurs de la cause palestinienne : «Palestine vivra, Palestine vaincra» (Il n’était pas le premier). La victoire de la Palestine semblant à ses yeux un terme inapproprié. Nous ne partageons pas cette gêne. Le projet sioniste et la création de l’État d'Israël sur les terres de la Palestine sous mandat britannique sont fondés sur la création d’un foyer pour le peuple juif exclusivement et aux dépens des populations qui occupaient cette terre avant eux.


David Ben Gourion, un des fondateurs de L’État d’Israël déclarait en 1938 «Un État juif partiel n’est pas une fin, mais seulement un début ; je suis certain que nous ne pourrons pas être empêchés de coloniser d’autres parties du pays et de la région …. Nous et eux (les Palestiniens) nous voulons la même chose, nous voulons tous les deux la Palestine. Et c’est le conflit fondamental. …. Ne nous racontons pas d’histoire….. Politiquement nous sommes les agresseurs et ils se défendent… C’est leur pays parce qu’ils y habitent, alors que nous voulons venir ici et coloniser, et de leur point de vue, nous voulons nous emparer de leur pays ».

 


Le colonialisme c’est la loi du plus fort, quand le fort décide d’agresser le plus faible pour occuper ses terres, prendre ses richesses, effacer sa culture, le plus faible n’est-il pas justifié à se battre et espérer vaincre? free palestine !


Les derniers jours dans le piémont ariégeois il a fallu ralentir. L’accueil à Saint-Girons et Massat était organisé et on nous avait intimé de respecter le plan alors on a temporisé. Nous y connaissons un jardin secret. C’est un peu le bout du monde mais on y a trouvé refuge. C’est un jardin luxuriant, quelques pieds de banane, des daturas, un palmier, toutes sortes de fleurs multicolores, des papillons, des abeilles (et aussi des moustiques et quelques insectes chelous qui piquent fort). Les toilettes sont sèches évidemment. Au milieu de ce paradis végétal on s’est douché en pleine nature avec l’eau de pluie. Notre hôte, mélomane enflammée, un peu prêtresse vaudou a voulu nous faire danser à 23h00, on n’a pas été à la hauteur mais 1000 fois merci pour cette soirée enchanteresse dans ce palais rempli de poésie.


Nos proches savent que Massat est le centre cosmique de notre univers alternatif et militant. A 10h00, dimanche 18 août, sous une pluie battante, nous étions 15 cyclistes et 3 voitures remplies pour parcourir les 27 km de Saint-Girons jusqu’à la Mairie de Massat où nous attendaient un buffet et une vente de produits palestiniens.

Avant d’arriver à la mairie nous avons été accueillis en haut de la côte du Pouech (le dernier effort de notre parcours) par un groupe de 100 personnes mobilisées par l’association Couserans Palestine. Après la chapelle on a tourné à droite, en haut à 200 mètres il y avait une énorme banderole : « Gaza : Cessez le feu », des drapeaux. Nous sommes arrivés, les gens applaudissaient, les regards étaient bienveillants et chaleureux, c’était génial et gênant. Il y a eu 1 minute de silence et d’émotion partagée puis nous sommes partis en cortège à destination de la Mairie. Sur le parvis, Janne et moi avons pris la parole pour raconter notre voyage, répondre aux questions d’une radio locale avant de partager le repas avec les gens de la vallée et plus. L’aventure était terminée !


Malgré les insultes, les mensonges, les menaces, relayés par les médias et quelques rares supporters du régime israélien croisés sur notre route nous avons exprimé notre solidarité avec les opprimés, notre attachement au droit des peuples à disposer d ’eux- mêmes et au droit international qui condamne fermement tous les actes de colonisation qui constituent une violation du droit international humanitaire, en particulier de la 4ème convention de Genève, ainsi que de plusieurs résolutions de conseil de sécurité de l’ONU en particulier les résolutions 446, 452, 465 et 2334.


Nous adressons tous nos vœux de justice et de paix à nos frères et sœurs juifs, musulmans, chrétiens, athées, bouddhistes, hindouistes, animistes, etc … la vie peut- être formidable, ne laissons pas l’injustice compromettre notre avenir commun.


Ce voyage est dédie a la mémoire de Jacques Bechter, jeune militant communiste qui 84 ans avant nous en juillet 1940 et dans des conditions bien plus difficiles a fait ce voyage entre Paris et Massat à vélo, pour les beaux yeux de mamie Paulette. il a été assassiné le jour de son arrestation à Paris le 2 juillet 1942, il avait 20 ans, torturé par la police de Pétain "les brigades spéciales" au service de l’idéologie de l’occupant nazi
 

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