Depuis 1967, au moins huit cent mille arbres ont été déracinés, brûlés ou détruits par les autorités ou les colons israéliens

Publié le par FSC

Par Clothilde Mraffko
Le Monde du 08 septembre 2024

PALESTINE : L’olivier, symbole malmené en terre occupée

       N31°42.6640' E035°13.1423'. ADAM BROOMBERG ET RAFAEL GONZALES

Depuis 1967 et l’occupation par Israël de la Cisjordanie, des milliers d’oliviers ont été détruits par les autorités ou les colons israéliens. Entre 2022 et 2023, les photographes Adam Broomberg et Rafael Gonzalez ont immortalisé les arbres encore debout, pour certains millénaires, emblèmes de l’enracinement palestinien dans ces territoires.


« Personne ne dit à un olivier : “Comme tu es beau !” Mais : “Quelle noblesse et quelle splendeur !” », ­écrivait le poète palestinien Mahmoud Darwich. L’arbre qui tapisse les collines de la Cisjordanie est un symbole pour son peuple. Source de revenus, il incarne sa résistance et son enracinement dans cette terre occupée par Israël depuis 1967. Adam Broomberg, artiste juif ­sud-africain de 53 ans, et Rafael Gonzalez, photographe allemand et espagnol de 27 ans, qui vivent tous deux à Berlin, ont immortalisé dans une série de portraits ces oliviers de Cisjordanie, pour certains millénaires. L’arbre est au centre de l’image, happant l’œil dans les détails de son tronc noueux. A l’arrière-plan, la vie palestinienne ­apparaît : le mur érigé par Israël, les habitations denses, le cimetière.


« Je n’avais jamais vu d’arbres aussi vieux ! Se tenir à côté de l’olivier Al Badawi, qui a 4 500 ans, le toucher, a été l’une des expériences les plus remarquables de ma vie, se souvient Adam Broomberg. Pensez à tout ce dont cet arbre a été le témoin, combien d’empires il a vus venir et disparaître… » Ces oliviers, si puissants sur les portraits immobiles de leur livre Anchor in the Landscape (« ancrage dans le paysage », non traduit), sont menacés.


Depuis 1967, au moins huit cent mille arbres ont été déracinés, brûlés ou détruits par les autorités ou les colons israéliens. Deux des oliviers du livre ont été abattus depuis que les photos ont été prises. « Il est très important qu’une sorte d’archive existe pour prouver l’existence de ces arbres, qui sont là depuis si longtemps mais qui sont devenus si vulnérables » depuis plus de cinquante ans, juge Adam Broomberg.

Jets de pierres et checkpoint


Chaque portrait a pour titre les coordonnées GPS de ­l’olivier. L’ensemble dessine une cartographie qui se concentre dans le sud de la Cisjordanie, dans la région de Hébron, où les colons israéliens sont installés au cœur de la vieille ville palestinienne. Adam Broomberg y a créé l’ONG Artists + Allies × Hebron (AAH) avec Issa Amro, célèbre activiste palestinien de 44 ans, qui se bat pour rester sur ses terres. Sa terrasse surplombe une oliveraie. Le duo de photographes a travaillé sur le terrain en utilisant une chambre grand format qui requiert à la fois du temps et de la précision. Etre deux leur évitait de trop s’exposer au danger.


« Un jour, nous étions à l’intérieur de la maison d’Issa Amro, à Hébron, et nous avons été encerclés par des enfants de colons. Ils étaient entre trente et quarante et ils ont commencé à nous jeter des pierres », rapporte Rafael Gonzalez, dont c’est le premier corpus publié. Sur le terrain, « Adam a été poussé et frappé par des colons à plusieurs reprises, poursuit-il. Il a fallu beaucoup plus de temps que nous l’avions prévu pour prendre les photos ». L’autre défi était de s’assurer que les pellicules ne soient pas exposées à la lumière lors des contrôles aux checkpoints ou à l’aéroport.

 

 

       N31°42.5696’ E035°13.1748’. ADAM BROOMBERG ET RAFAEL GONZALEZ


Adoucir la conversation sur Israël


Au cours d’un de leurs trois séjours en Cisjordanie pour ce projet, entre 2022 et 2023, Rafael Gonzalez a lancé, ironique, à son acolyte : « Arrivés à un certain âge, les photographes se mettent aux photos d’arbres ! » En réalité, Adam Broomberg, dont le travail est très engagé politiquement, s’y intéresse depuis longtemps.
En 2005, son premier ­projet en Israël a pour objet les pins, plantés « systématiquement » sur les ruines de villages palestiniens détruits en 1948, lors de la création de l’Etat hébreu. Cette espèce est invasive, elle pousse vite et efface les crimes. « J’avais déjà une réflexion politique et conceptuelle sur le rôle des arbres, ceux qui sont indigènes et ceux qui ont été en quelque sorte “transplantés”, à l’instar de ces pins », explique le photographe.


Adam Broomberg est né à Johannesburg, dans une Afrique du Sud en plein apartheid, au sein d’une famille de survivants de l’Holocauste. Il lui a fallu du temps pour se défaire de l’éducation qu’il a reçue dans une école sioniste juive. A Berlin, où il vit depuis sept ans, il fait face aujourd’hui à des accusations d’antisémitisme pour ses critiques envers Israël et son soutien à la cause palestinienne.


Sa mère, morte en décembre 2022, est, elle, restée une fervente sioniste, marquée par l’extermination d’une large partie de sa famille dans les camps de concentration nazis. Son fils lui a transmis cette autre façon de voir les choses à travers ses portraits d’oliviers. « Ma mère l’a compris. Parce que ces arbres, c’est une façon de parler du problème sur un registre différent, sans le sentiment d’urgence ni le genre de langage toxique qui a commencé à être utilisé le 7 octobre. C’est une façon plus douce d’aborder la question. »


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Anchor in the Landscape, d’Adam Broomberg et Rafael Gonzalez, éditions Mack, 2024, 128 p., 48 €.

 

 

       N31°31.4370’ E035°06.1409’. ADAM BROOMBERG ET RAFAEL GONZALEZ
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