Fuite en avant israélienne contre le Liban
Scarlett Bain
L'Humanité du 22 septembre 2024
Raid israélien sur la banlieue sud de Beyrouth... |
Chercheur associé à l’Iris et spécialiste du Moyen-Orient, Karim Émile Bitar analyse les objectifs d’Israël et les conséquences possibles de sa confrontation avec le Hezbollah.
Que cherche Israël en attaquant le Hezbollah libanais ?
Karim Émile Bitar
Israël ayant été incapable d’atteindre les objectifs de guerre fixés le 7 octobre 2023, à savoir l’éradication du Hamas et la libération des otages, semble être tenté par la fuite en avant et par la volonté d’élargir le spectre du conflit en visant le Hezbollah.
Pour cela, il profite de la situation géopolitique actuelle, et notamment de la campagne électorale américaine durant laquelle les États-Unis ne seront pas en mesure, quand bien même ils le souhaiteraient, d’exercer la moindre pression sur Israël et le moindre appel à la retenue. Israël souhaite affaiblir autant que possible le Hezbollah en frappant ses réseaux de communication, en liquidant un grand nombre de ses cadres dirigeants et son arsenal militaire.
Le Hezbollah est par ailleurs affaibli politiquement du fait de l’état même du Liban. La société et l’économie libanaise sont exsangues, ses structures étatiques s’effondrent et ne sont pas en mesure de supporter une nouvelle guerre. C’est dans ce contexte qu’Israël cherche à frapper le plus de cibles possible, éventuellement à inciter le Hezbollah à une riposte qui sortirait des règles d’engagement.
Et cela pourrait donner un prétexte à la coalition d’extrême droite au pouvoir en Israël pour lancer une vaste offensive et tenter d’impliquer les États-Unis dans une guerre régionale contre l’Iran.
Dans quelle situation se trouve le Hezbollah ? Quelle peut être sa réplique ?
Karim Émile Bitar
Le Hezbollah se trouve aujourd’hui dans une situation extrêmement délicate. Le mouvement, depuis une vingtaine d’années, laissait entendre qu’il avait établi un équilibre de la terreur avec Israël.
Aujourd’hui, nous constatons que ce n’est pas véritablement le cas. Les attaques de cette semaine ont montré que le Hezbollah était très vulnérable et qu’Israël avait une considérable supériorité technologique.
Donc, l’objectif des frappes de ces derniers jours mené par le Hezbollah contre Israël vise à rétablir un tant soit peu cette dissuasion, sans toutefois aller trop loin afin qu’Israël ne saute pas sur l’occasion pour lancer une guerre totale.
Par guerre totale, j’entends une invasion terrestre du Liban à laquelle le Hezbollah pourrait répliquer en visant plusieurs villes Israéliennes. La situation est plus instable que jamais. Le risque d’escalade est bel et bien réel.
Quels peuvent être les effets de cette confrontation entre le Hezbollah et Israël sur la situation à Gaza ?
Karim Émile Bitar
Il y a en effet une imbrication entre la situation libanaise et la situation à Gaza, et c’est bien cela qui inquiète les Libanais. Les deux terrains de guerre sont inextricablement liés.
Si Israël devait lancer une vaste offensive, une menace existentielle pèserait sur la survie même de l’État du Grand Liban (expression historique qui désigne le Liban dans ses frontières actuelles – NDLR). Aujourd’hui plus que jamais, les impasses et les impostures de cette guerre contre le terrorisme sont visibles : elle fait infiniment plus de victimes que le terrorisme lui-même.
Ce mot est devenu une appellation que l’on colle dès lors que l’on cherche un permis de tuer, d’éradiquer des populations entières, et il serait grand temps que l’on remette en question ce concept de guerre contre le terrorisme.