Jean-Paul Delescaut de la CGT du Nord : « Les guerres ne sont pas dans l’intérêt des travailleurs »

Publié le par FSC

Secrétaire général de l’Union départementale de la CGT du Nord,
 Jean-Paul Delescaut était présent à Manifiesta début septembre pour participer à une rencontre entre Jeremy Corbyn et des syndicalistes pour la paix. Nous avons profité de l’occasion pour discuter avec lui du rôle que peuvent jouer les syndicats contre les guerres impérialistes, mais aussi la répression politique. En effet, Jean-Paul Delescaut a été condamné en première instance à un an de prison avec sursis pour un tract publié l’an dernier qui pointait l’origine de la violence coloniale dans les attaques du 7 octobre tout en appelant à la paix au Proche-Orient. Nous évoquons également la situation politique en France avec l’arrivée de Michel Barnier à Matignon. Et la rentrée sociale qui s’annonce chaude. (I’A)

Investig’Action : Nous vivons une époque de grands bouleversements. Les conflits se multiplient partout dans le monde. Dans ce contexte particulier, la mobilisation d’un puissant mouvement pour la paix est capitale. Quel rôle les syndicats peuvent-ils jouer ?

Jean-Paul Delescaut

La CGT a un rôle majeur. Son histoire le montre, elle a toujours appelé pour la paix, car elle représente les travailleurs. Et on connait l’adage : travailleurs de tous pays, unissez-vous !

Concrètement, notre rôle est d’être sur le terrain. Dans les entreprises où nous sommes organisés en représentant les travailleurs. Mais aussi dans les quartiers où les travailleurs privés d’emploi restent des travailleurs. À travers nos sections locales, nous devons organiser des débats aussi larges que possible et expliquer que derrière ces conflits, on trouve des pauvres qui font la guerre pour les riches.

Ce sont des enfants d’ouvriers, des travailleurs qui vont se faire tuer pour les intérêts des industriels et des puissances impérialistes. Nous devons donc développer l’analyse de classes de ces guerres impérialistes qui ne sont pas dans l’intérêt des travailleurs, mais profitent seulement à une petite minorité. À travers les tracts, les formations et divers moyens de communication, nous expliquons ainsi l’essentiel : la guerre n’est pas dans notre intérêt, nous avons besoin de paix et de fraternité entre les peuples.

Ça rejoint ce que disait le poète Anatole France durant la Première Guerre mondiale : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels ». Mais l’analyse de classes, on ne la trouvera pas sur BFM ni sur CNews ni sur aucun autre grand média. On nous raconte toujours des histoires de gentils contre des méchants, les Occidentaux étant toujours, à travers l’OTAN, du côté des gentils. Comment lutter contre cette propagande ?

Jean-Paul Delescaut

En menant le combat sur le terrain. Avec l’UD du Nord, nous mettons en place des collectifs dans les quartiers populaires et les villes pour mener des discussions de fond. Elles se mènent sur plusieurs fronts : les mécanismes de pauvreté, la lutte contre le Rassemblement National et les guerres impérialistes. Tout est lié. L’enjeu est de faire prendre conscience aux travailleurs que leurs intérêts ne sont pas ceux du Capital et que nous devons nous organiser pour aller chercher notre dû.

 

La conscience de classe est la clé. Mais il y a de nombreux obstacles. Notamment la répression de la liberté d’expression, de plus en plus violente. Vous en savez quelque chose. Vous avez été arrêté par la police à votre domicile et condamné à un an de prison avec sursis en première instance pour « apologie du terrorisme ».

Jean-Paul Delescaut

 

Oui. L’année dernière, nous avions publié un tract appelant à la paix en Palestine. Car nous savions que l’attaque du 7 octobre allait déboucher sur une violente riposte contre le peuple palestinien. À Gaza, ce peuple a été concentré sur une bande de terre qui est une véritable prison à ciel ouvert. On savait qu’Israël allait riposter violemment en tuant de nombreux civils. On s’est donc rapidement exprimé pour la paix.

Bien sûr que dans les deux camps, il y a des morts. Et bien sûr qu’un mort, c’est un mort de trop. Mais il faut compter les morts des deux côtés. Il n’y a pas que les morts israéliens. Il y a aussi des Palestiniens qui meurent et qui souffrent tous les jours. Aujourd’hui, il  y a plus de 40.000 morts palestiniens. Si on compte les blessés, les amputés ou encore les invalides, on dépasse les 100.000 victimes. On est sur la construction d’un génocide.

 

Votre cas est assez interpellant. Aujourd’hui, la loi contre l’apologie du terrorisme est utilisée pour censurer des messages pour la paix au Proche-Orient !

 

Jean-Paul Delescaut

 

Et pour museler les organisations syndicales. Théoriquement, la liberté de la presse confère également aux organisations syndicales une certaine liberté d’expression politique. Mais en France, on nous interdit de réfléchir et de communiquer avec les travailleurs. Je ne vais pas rentrer dans les détails de l’affaire, car nous avons introduit un recours contre la décision rendue par le tribunal correctionnel de Lille. Mais je peux vous dire que la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) est quand même venue me chercher à ma maison, armée, à six heures du matin ! Comme si nous étions des terroristes !

L’objectif est d’intimider ?

Jean-Paul Delescaut

 

Clairement. Mais ça ne marche pas, et tant mieux. La CGT n’est pas uniquement composée de Jean-Paul Delescaut. Je ne suis qu’un représentant de l’organisation. Nous prenons les décisions collectivement. Si bien que les intimidations contre un individu ne peuvent pas nous empêcher de faire notre travail.

Nous avons donc continué à manifester tous les samedis avec l’AFPS 59 pour exiger un cessez-le-feu à Gaza. Et nous continuerons la mobilisation. D’autant plus qu’il y a aussi la Cisjordanie où les colons israéliens continuent d’accaparer des terres qui appartiennent aux Palestiniens en détruisant tout sur leur passage. Nous devons continuer l’œuvre que nous avons engagée depuis le début : rassembler tous ceux qui le veulent au sein du mouvement pour la paix, manifester et discuter avec les travailleurs.

Un autre grand obstacle : la force de mobilisation syndicale a été mise à mal par quarante années de néolibéralisme, des offensives systémiques contre les conquis sociaux et une propagande antisyndicale très forte. Les grands médias plaident toujours la nécessité des réformes, pointent l’irresponsabilité des syndicats qui résistent et dépeignent les actions syndicales comme des prises d’otages. Pourtant, nous traversons une crise politique, économique et médiatique. De plus en plus de gens disent en avoir « marre du système ». Ce qui offre des opportunités. Dans ce contexte particulier, comment les syndicats peuvent-ils reprendre du poil de la bête ?

Jean-Paul Delescaut

 

Il faut être clair sur notre démarche. Comme nous l’avons été dans nos actions au Vertbaudet où nous avons obtenu une augmentation des salaires et l’intégration de 30 salariés intérimaires en CDI. Ou à Emmaüs avec la condamnation de la direction pour travail dissimulé et la régularisation de 59 travailleurs sans-papiers.

Pour remporter de telles victoires, il faut revenir à une conscience de classes avec un syndicat de classes. Et désigner clairement l’ennemi que nous avons en face : le Capital. Il faut déterminer cette approche pour déterminer quel syndicalisme on veut faire. Pour nous, cela implique une rupture avec le syndicalisme d’accompagnement. Nous avons une partie de la CGT qui va dans cette direction, et une autre qui n’y va pas. Mais à un moment, il va falloir se décider.

Et pour museler les organisations syndicales. Théoriquement, la liberté de la presse confère également aux organisations syndicales une certaine liberté d’expression politique. Mais en France, on nous interdit de réfléchir et de communiquer avec les travailleurs. Je ne vais pas rentrer dans les détails de l’affaire, car nous avons introduit un recours contre la décision rendue par le tribunal correctionnel de Lille. Mais je peux vous dire que la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) est quand même venue me chercher à ma maison, armée, à six heures du matin ! Comme si nous étions des terroristes !

 

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