« Malgré la douleur, nous retournerons chez nous pour rebâtir nos villages » : les civils libanais pris au piège de la guerre

Publié le par FSC

Mirna Bassil
L'Humanité du 24 septembre 2024

Le 23 septembre 2024, des bombardements israéliens sur le village de Taibeh, dans le Sud Liban. © Marwan Naamani/Zuma Press Wire/ABACAPRESS

L’armée israélienne a poursuivi, mardi 24 septembre, les bombardements sur le Sud Liban et la capitale, Beyrouth. La veille, plus de 550 personnes, dont plus d’une trentaine d’enfants, avaient trouvé la mort dans ces raids aériens. Des milliers de familles de Tyr et de Hoch, dans le sud du pays, ont pris la route pour fuir la folie meurtrière de Tel-Aviv.


Assis devant sa boutique de vêtements, Ibrahim vient de vivre un petit matin de guerre. À 6 h 30, une frappe israélienne l’a violemment sorti de son sommeil : « Le bruit de l’explosion nous a brusquement réveillés, la maison a tremblé. Comme à notre habitude, nous avons immédiatement consulté nos groupes WhatsApp pour prendre des nouvelles de nos proches et savoir où s’étaient produits les raids. C’est devenu un réflexe, une routine. Après avoir échangé quelques messages rassurants, nous avons repris notre journée comme si de rien n’était. Je suis allé travailler, mes amis aussi. Nous avons tous fait abstraction de ce qui venait de se passer. » Depuis lundi matin, les raids israéliens s’intensifient sur les villages du Sud Liban et de la vallée de la Bekaa. Ce mardi, plus de 30 attaques aériennes ont frappé, dès l’aube, la ville de Tyr et la localité de Hoch.


Café à la main, l’épouse d’Ibrahim le rejoint et s’installe à côté de son fils. Son frère, Hassan, fait alors remarquer les vrombissements incessants des drones israéliens. L’ambiance est tendue, le soleil lourd, aveuglant, seule l’odeur du café ici a quelque chose de réconfortant.

La fuite vers Beyrouth


Lorsque soudain plusieurs missiles s’abattent à proximité, la famille ne réagit quasiment pas. L’épouse d’Ibrahim annonce en regardant son téléphone : « C’est à côté de l’hôpital libano-italien », dans la région de Hoch. Les visages se crispent. Les yeux rivés sur l’écran de son smartphone, chacun s’assure que tout le monde va bien.
Les détonations sont de plus en plus proches et les ambulances sillonnent les rues, sirènes hurlantes. L’une d’elles arrive aux urgences de l’hôpital Jabal Amel, à deux minutes à pied du commerce d’Ibrahim. La peur s’installe, la tension monte. Il est 11 heures et plusieurs familles décident de prendre le chemin de l’exode, laissant derrière elles villages et maisons. Très vite, l’autoroute qui mène à Beyrouth est prise d’assaut.
La circulation devient dense, chaotique, et le long du trajet, les panaches de fumée qui déchirent le paysage témoignent de la violence des bombardements israéliens. Arrivés à hauteur de Saïda, au sud de Beyrouth, une frappe touche la localité de Ghaziyeh, à quelques kilomètres de là.


Jihad Saadé, le directeur de l’hôpital gouvernemental Rafic-Hariri, à Beyrouth, nous confiera plus tard que des dizaines de blessés, qui ont pu atteindre l’établissement, souffrent de traumatisme crânien dû à l’effondrement de leur maison. Il affirme que tous les blessés admis à l’hôpital sont des civils et que plusieurs ambulances ont été obligées de rebrousser chemin.

Les écoles, un refuge temporaire


Dans la capitale libanaise, l’arrivée des réfugiés du Sud oblige à organiser l’aide d’urgence et la solidarité. Ce jour-là, le soleil décline sur Beyrouth et dans le bâtiment de l’école hôtelière, il fait déjà très sombre. En moins d’une heure, plus de 35 familles sont arrivées là, à Dekwaneh, l’un des deux endroits dans la capitale que le gouvernement libanais a désignés pour accueillir ceux qui ont fui le Sud et les tapis de bombes israéliennes.


Maryam est pliée en deux et tient fermement le bras de son mari. À côté d’elle, sa belle-sœur essaie de calmer ses trois filles. Enceinte de huit mois, Maryam est épuisée physiquement et moralement. Elle a peur pour le fils qu’elle attend. Mais elle veut rester forte pour ses filles. « On était déjà pauvres et maintenant on sombre dans l’indigence. Pas de travail, pas d’école, déplore-t-elle. On ne peut pas garantir la sécurité de nos enfants. Au début de ma grossesse, la situation n’était pas bonne mais là, je vais bientôt accoucher et c’est de mal en pis. »
Dans un grand brouhaha, des enfants au visage fermé courent dans tous les sens. Des volontaires de Caritas-Liban se pressent pour accueillir les nouveaux venus avec compassion et patience. Dans le seul bureau éclairé du bâtiment, Jad Naddaf, directeur technique de l’établissement, inscrit le nom de chaque personne qui dormira à l’école cette nuit, consigne son numéro de téléphone et prend note du nombre de membres de chaque famille.


Son téléphone ne cesse de sonner. Entouré d’une dizaine de personnes, il continue à gérer, imperturbable, tout en répondant aux questions. « On peut accueillir beaucoup de gens, explique-t-il. On travaille de pair avec les autorités concernées, officielles et sociales, pour assurer matelas et nourriture. Ce sont des Libanais, nos parents, on se doit de les accueillir. Solidarité oblige. » Et de poursuivre : « La majorité des gens viennent du Sud, mais quelques familles sont arrivées de la Bekaa ».

D’un exode à l’autre


Au 4e étage, les chambres sont déjà pleines. Ali, 35 ans, vient de Maaroub, un village du Sud Liban. Il a fait le chemin avec 30 membres de sa famille. Déjà, lors de la guerre de 2006, ils avaient dû fuir leurs foyers. Leur vie, finalement, est une série de fuites et de retours.
Ce retour, Ibrahim y croit dur comme fer. Lui qui avait quitté son village d’Aïta el-Chaab, « un village agricole limitrophe des territoires palestiniens occupés », dès le 8 octobre 2023 pour trouver refuge dans la ville côtière de Tyr, explique que les bombardements israéliens sur Aïta ont commencé juste après la riposte du Hezbollah au « génocide de Gaza ».


Onze mois plus tard, le village n’est plus qu’un champ de ruines. « Tout est détruit », soupire-t-il. À chaque fois que la famille retournait au village, poursuit-il, sa fille, âgée de 7 ans, ramassait des cailloux autour de la maison pour les mettre dans un sac. « C’est avec ces pierres que nous allons reconstruire notre maison », promettait-elle. « Nous avons tant souffert depuis les années quatre-vingt, sous l’occupation, puis en 2006. Malgré la douleur, nous retournerons chez nous. Nous rebâtirons notre village, pierre par pierre », jure le père de famille.
Comme d’autres sans doute, les habitants d’Aïta sont prêts à tous les sacrifices pour lutter « contre cet État israélien qui ne fait aucune distinction entre les cibles militaires et les civils », affirme-t-il avec colère.

L’espoir malgré la douleur


La nuit est tombée sur la capitale libanaise et dans la banlieue de Beyrouth ; à Dekwaneh, les réfugiés continuent d’affluer. Originaire du Sud Liban, Mohammad, père de trois enfants, voit dans cette épreuve une opportunité. « Heureusement que la guerre s’est intensifiée. Cette armée (israélienne) ne s’épuisera que si on la combat. Il faut mettre fin à ce conflit », juge-t-il.


Reste les conséquences dramatiques, les morts, les blessés, les gamins traumatisés, les dizaines de milliers de déplacés dont certains ont tout perdu. Mohammad évoque la peur de ses enfants et sa foi comme rempart.
Dans le bâtiment de l’école hôtelière, il fait toujours aussi sombre. Les visages fatigués sont éclairés par les écrans des téléphones portables. Épuisée, une volontaire de Caritas murmure : « Demain, tout ira mieux. Les débuts sont toujours difficiles. »

 

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