Netanyahou : poursuivre la guerre ... pour rester au pouvoir ... et échapper à la justice

Publié le par FSC

Pierre Barbancey
L'Humanité du 09 septembre 2024

 

Engagé pour la paix au Proche-Orient, Gershon Baskin a souvent négocié avec le Hamas. Il explique les difficultés des discussions actuelles, les blocages à l’œuvre et appelle à la reconnaissance d’un État de Palestine.
Fondateur et directeur du Centre de recherche et d’information Israël-Palestine (Ipcri), Gershon Baskin a été l’initiateur et le négociateur de discussions secrètes entre Israël et le Hamas pour la libération, en 2011, de plus de 1 000 prisonniers palestiniens, dont Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas dans la bande de Gaza, en échange du soldat franco-israélien Gilad Shalit, capturé en 2006.

Sur quelles bases se sont fondées les discussions actuelles sous l’égide des États-Unis, de l’Égypte et du Qatar ? Quels sont les sujets abordés ?

Gershon Baskin


Les négociations qui se poursuivent depuis deux mois et demi portent sur le plan que le président Biden a présenté publiquement en mai. Celui-ci comprend un accord en trois étapes dont la première, censée durer quarante-deux jours, implique un cessez-le-feu. Israël devrait alors se redéployer hors des zones peuplées et, durant ces six semaines, le Hamas libérerait 32 otages.


À ma connaissance, une liste de noms est actuellement discutée. Dans le cadre de ces négociations, les Américains poussent pour qu’Israël se désengage du corridor de Philadelphie (zone de 14 kilomètres le long de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza – NDLR), qu’ils considèrent comme une zone peuplée. Au Caire et à Doha, les négociations ont porté sur le retrait des forces israéliennes de cinq à huit postes militaires le long de ce corridor de Philadelphie, durant les six semaines de cessez-le-feu.


Sur ce point, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’accord. L’Égypte et le Hamas s’y opposent, et les Israéliens refusent de se retirer de cette zone. Quoi qu’il en soit, je pense que c’est une mauvaise stratégie, car personne ne sait ce qu’il se passera après ces quarante-deux jours.
Je plaide pour un cessez-le-feu de trois semaines, prémice à un cessez-le-feu total, le retrait israélien de Gaza, la libération de tous les otages israéliens et d’un nombre convenu de prisonniers palestiniens retenus dans les prisons israéliennes. J’ai demandé au Hamas de dire aux Égyptiens et aux Qataris de travailler en ce sens. Je leur ai tout communiqué, ainsi qu’aux Américains et aux Israéliens.

 

Comment se déroulent ces discussions puisque Israël et le Hamas ne se parlent pas directement ?

Gershon Baskin


Lorsque vous n’avez pas de discussion directe, les conversations sont complexes. Les trois parties – les États-Unis, le Qatar et l’Égypte – ont chacune leurs propres intérêts, leur propre façon de communiquer. Vous ne savez jamais si les messages qui sont livrés sont fidèles à ce que vous avez énoncé.
Vous ne savez pas non plus si les réponses que vous recevez sont retransmises de façon exacte. Les documents écrits sont donc les seuls sur lesquels il est possible de compter mais ils n’aident pas à une compréhension optimale. Chacun se concentre sur la forme, parfois au détriment du fond. C’est, selon moi, une très mauvaise façon de mener des négociations.


Qu’est-ce qui empêche un accord ?

Gershon Baskin


Le Hamas ne signera pas un accord qui ne met pas fin à la guerre, et Netanyahou ne l’acceptera pas si cela met fin à la guerre.

Tous les autres points sont des détails : prisonniers, redéploiement, couloir de Philadelphie…
 

Comment le Hamas peut-il prendre des décisions alors qu’Ismail Haniyeh a été tué et que Yahya Sinouar se cache ?

Gershon Baskin


Tous les dirigeants sont consultés, qu’ils soient à Gaza, en Cisjordanie, à Doha, à Istanbul ou à Beyrouth. Le Hamas a également tenté de consulter ceux qui se trouvent dans les prisons israéliennes. En vain. Ils essaient de parvenir à un consensus mais n’y arrivent pas toujours.


Au deuxième mois de la guerre, déjà, certains membres du Hamas m’indiquaient que Yahya Sinouar n’était pas le seul décideur. Lorsqu’une décision est prise, elle est annoncée par le chef du Hamas à Beyrouth, Oussama Hamdan. Et même s’il y a désaccord, tout le monde se plie à cette décision.


Khalil Al Hayya, l’adjoint de Sinouar, se trouve hors de Gaza depuis le début de la guerre. Au cours des deux dernières semaines, il a publié des déclarations sur le compte Telegram de l’organisation en signant de son nom. Cela apparaît comme l’expression finale du Hamas. C’est un fait nouveau.



Quel est l’objectif de Netanyahou ?

Gershon Baskin


Rester au pouvoir ! C’est ce qui le préoccupe. Ne pas avoir une commission d’enquête nationale et ne pas devoir se présenter aux élections. Demeurer en poste aussi longtemps qu’il le peut car il croit au mythe de la destruction totale du Hamas.
Benyamin Netanyahou veut éliminer Yahya Sinouar. Mais la mort récente de six otages israéliens a un peu changé la donne. Si Yahya Sinouar est tué, le Hamas exécutera tous les otages. Il n’y a aucune raison de ne pas le croire et tout le monde le comprend.


Dans ce contexte, quel est le but de l’offensive israélienne en Cisjordanie ?

Gershon Baskin


L’offensive en Cisjordanie se poursuit depuis le 7 octobre. Elle s’intensifie ces derniers temps, avec son lot de morts et de destructions. Ben-Gvir et Smotrich (ministres israéliens d’extrême droite de la Sécurité nationale et des Finances – NDLR) veulent une explosion en Cisjordanie pour pouvoir faire comme à Gaza : détruire les infrastructures, les habitations et forcer les habitants à partir.


Dans le même temps, les Palestiniens ne peuvent plus venir travailler en Israël et commencent à mourir de faim. Les écoles sont fermées parce que l’Autorité palestinienne, en faillite, ne peut plus payer les salaires des enseignants. Des centaines de milliers de jeunes sont dans les rues, ce qui alimente un climat de tension.
Nous assistons à un retour de l’utilisation de voitures piégées et de kamikazes, ce qui n’était plus le cas depuis la fin de la deuxième Intifada. C’est très dangereux et c’est exactement ce que certains pyromanes du gouvernement israélien veulent.


Comment les Israéliens réagissent-ils ?

Gershon Baskin


Ils ne savent pas ce qui se passe. Ils sont aveugles, ils ne regardent pas, ils s’en fichent, ils sont toujours dans le traumatisme du 7 octobre et ils ont peur que cela puisse se reproduire depuis la Cisjordanie. Ils entendent dans les médias israéliens que le terrorisme se développe dans ce territoire palestinien, qu’il y a de plus en plus d’attaques, de plus en plus de cellules terroristes, de plus en plus d’armes en circulation…


Les gens vivent dans la crainte. Alors, lorsqu’ils entendent que l’armée israélienne entre chaque nuit en Cisjordanie et tue des Palestiniens, ils sont soulagés. Ils ne comprennent pas que tout cela, en réalité, ne fait que jeter de l’huile sur le feu.


Est-ce à dire qu’ils ne considèrent pas que la libération des otages est liée à un accord de paix ou à un accord final sur l’État palestinien ?

Gershon Baskin


Personne ne parle d’un accord de paix. Personne n’évoque les négociations ou la solution à deux États. Nous tentons de faire comprendre aux gens que si nous parvenons à mettre fin à la guerre à Gaza, si la guerre au Liban s’arrête aussi, alors, peut-être qu’Israël permettra aux Palestiniens de retourner travailler en Israël. Peut-être. Mais si nous n’essayons pas, cela va continuer. La situation économique est vraiment désespérée. Les Palestiniens n’ont plus d’argent pour acheter de quoi manger.


Certes, la solution à deux États est revenue dans les discussions internationales, ce qui est important, mais elle n’a pas encore irrigué les consciences en Israël. Cela se produira peut-être après les prochaines élections. Mais tant que Netanyahou sera premier ministre, il n’y aura pas de discussion sur un processus de paix et une solution à deux États.
 


Y a-il des tiraillements entre l’administration américaine et Netanyahou ?

Gershon Baskin


Oui, il existe un conflit entre l’administration américaine et Netanyahou. Le contexte électoral pèse lourd. Biden n’étant plus candidat, il pourrait être amené à prendre des décisions qu’il n’envisageait pas. Kamala Harris aimerait que cette guerre se termine car cela n’aide pas sa campagne.


Israël dépend des États-Unis, que ce soit pour l’utilisation du veto à l’ONU ou la livraison d’armes. Les Américains ont de multiples canaux pour faire passer des messages clairs à Israël, en privé, ou publiquement si les discussions à huis clos échouent.



Est-il important que la communauté internationale reconnaisse un État palestinien ?

Gershon Baskin


Il faut que cela devienne un fait accompli (en français dans le texte) qui supprimerait le veto d’Israël sur la question de l’État palestinien. Cela ne changera pas l’occupation, mais forcera à une réorganisation dans la société civile et les politiques en Israël et en Palestine. Cette reconnaissance permettra de faire comprendre qu’un processus de paix relève d’une négociation régionale pour la stabilité, la sécurité, le développement économique.
C’est la voie à suivre pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Mais nous allons avoir besoin d’un coup de pouce de la part des Américains et des Européens sur ce point. Tous les pays qui n’ont pas reconnu et Israël et la Palestine doivent le faire.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article