A Gaza il n'y a pas que les bombes qui tuent : Rami Fayyad, tué à Gaza, un amoureux de la langue française

Publié le par FSC

Les conditions humanitaires déplorables ont fini par ôter la vie de cet homme qui a fait rayonner le français dans l’enclave palestinienne, avant que la guerre ne la dévaste.

Rami Fayyad n’est pas mort sous les bombes, comme des dizaines de milliers de ses compatriotes, ni de faim. Il est mort d’une simple grippe. En temps normal, le corps de cet homme de 49 ans aurait balayé le virus en quelques jours. Mais le 9 février dernier, après des mois de nourriture en conserve et de pénurie de médicaments, son système immunitaire n’a plus tenu. « Les choses se sont dégradées d’un coup. Une ambulance l’a emmené à l’hôpital, mais c’était bondé de blessés et de martyrs. Le temps qu’un médecin arrive, il était parti », se souvient Nermine Fayyad, sa femme. Le lendemain, une source diplomatique a précisé à l’AFP que la France s’était mobilisée « à tous les niveaux depuis plusieurs mois » pour que les autorités israéliennes autorisent l’évacuation du Gazaoui et de sa famille, afin qu’il puisse recevoir les soins en France. En vain. « La réponse positive est arrivée après sa mort », pose Nermine Fayyad, qui vit désormais à Strasbourg avec leurs trois enfants.

Pour ceux qui l’ont côtoyé, cet habitant de Khan Younès laisse un souvenir de douceur et de calme. « Rami, c’était la force tranquille. D’une gentillesse infinie et d’une politesse excessive. Je ne l'ai jamais vu s'énerver », décrit Philippe Lane, son ami et directeur de thèse à l’université de Rouen. « C’était le poupin éternel, un visage qui ne changeait pas d’année en année, malgré la vie à Gaza qui peut faire rapidement prendre de l'âge », perçoit de son côté Jean Mathiot, directeur de l’IF sur place de 2009 à 2012. Mais pour l’un comme pour l’autre, le plus marquant demeurait la qualité de son français. « Il parlait un langage châtié, avec un accent presque parisien au milieu de la bande de Gaza, ça détonnait complètement », relate le diplomate.

 

À la langue, Rami Fayyad vouait une passion débordante. Dans sa maison blanche surplombant un jardin garni d’oliviers, de palmiers et d’orangers, « il avait toujours un livre entre les mains », narre son épouse. Féru de littérature classique, « Victor Hugo n’avait presque pas de secret pour lui », illustre Jean Mathiot. Lorsqu’il commentait Madame Bovary, « il y mettait tellement de mots, d'expressions et d'images que son texte était presque plus compliqué que celui de Flaubert », abonde Philippe Lane. Son attachement au français est tel qu’à l’obtention d’une bourse en 2016 pour son doctorat à Rouen, Rami Fayyad prend la douloureuse décision de quitter la bande de Gaza pendant plus de trois ans, au cours desquels il ne verra pas sa famille. « Ça a été un crève-cœur, mais il me disait : "Si je rentre, je ne suis pas sûr que (les autorités israéliennes) me laisseront passer la frontière pour revenir en France" », raconte son ancien directeur de thèse.

De retour dans l’enclave en 2019, l’homme consacre le plus clair de son temps au travail, jonglant entre son emploi d’enseignant et celui d’inspecteur de français au ministère de l’Éducation de Gaza. La langue est enseignée dans deux universités et une dizaine d’écoles sur place. « Même le week-end, mon mari donnait des cours, se rappelle Nermine Fayyad. C’était quelqu’un de perfectionniste, avec ce sentiment de n’en faire jamais assez. » Malgré son rang élevé dans les échelons académiques, le francophile ne cherchait pas la lumière. « Par sa discrétion et sa simplicité, il n'a pas fait carrière. Il n'a pas eu les prétentions internationales auxquelles il aurait pu aspirer », commente Jean Mathiot. Une manière aussi de participer à l’avenir du territoire palestinien. « Comme beaucoup de Gazaouis, il était très attaché à sa terre, et comme une espèce de reconnaissance, il voulait lui transmettre sa réussite », poursuit-il.

Mais la guerre a volé les derniers mois de Rami Fayyad. La fermeture de l’IF et la connexion internet quasi inexistante l’ont empêché de donner des cours, même en ligne. Les effets de la famine et des bombardements se sont imposés à son quotidien. « Il sortait beaucoup pour nous trouver de l’eau et à manger, toute son énergie était consacrée à ça. Il devait également s’occuper de sa mère malade. Le fait que tout repose sur lui l’a beaucoup fatigué », raconte Nermine Fayyad. « Son départ est tellement brutal, on n'arrive toujours pas à croire que le manque de soins ait pu l'emporter », s’émeut Philippe Lane. « C’était quelqu’un de joyeux qui riait avec tout le monde, même s’il n’avait pas une vie sociale très développée », aime à rappeler son épouse. « Il laisse un vide immense dans notre vie. »

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