Attaque d’Israël contre l’Iran : les États-unis poursuivent leurs manœuvres en sous-main
Pierre Barbancey
L'Humanité du 27 octobre 2024
Il est donc avéré que les États-Unis ont exercé des pressions suffisamment ciblées et menaçantes pour que Benyamin Netanyahou obtempère. © ATTA KENARE / AFP |
La séquence qui vient de s’écouler, avec des frappes sans grandes conséquences menées par Tel-Aviv sur le territoire iranien, montre que Washington peut exercer de fortes et efficaces pressions sur son allié pour ne pas mettre en péril ses propres intérêts.
Du jamais-vu. Tant du côté israélien qu’iranien, tout le monde se félicite. « L’attaque a été précise et puissante, elle a atteint tous ses objectifs », s’est exclamé Benyamin Netanyahou dans une première déclaration publique sur les bombardements menés par son pays, samedi, contre l’Iran. Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a expliqué, le même jour, que « le mal fait par le régime sioniste ne doit être ni exagéré ni minimisé ».
Pour la première fois, Israël a annoncé publiquement avoir attaqué l’Iran en lançant samedi, avant l’aube, des frappes aériennes contre des installations de fabrication de missiles dans trois provinces du pays, dont la capitale Téhéran. Les forces armées iraniennes ont déclaré que seuls des « systèmes radar » avaient été endommagés et ont fait état de quatre officiers tués. Les responsables et les médias iraniens ont également minimisé l’impact de l’attaque, saluant les capacités défensives de l’Iran.
Des attaques réfléchies avec les États-Unis
Officiellement, Israël ripostait à des tirs de missiles de l’Iran le 1er octobre contre son territoire. Une attaque iranienne qui visait, selon Téhéran, à venger la mort, le 27 septembre, du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, tué dans un bombardement israélien près de Beyrouth, et celle, le 31 juillet à Téhéran, du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, tué sans aucun doute par Israël.
L’Iran a revendiqué son droit à se défendre après les frappes israéliennes de samedi et Israël a évidemment menacé Téhéran de lui faire « payer un prix élevé » s’il ripostait. Mais, pour l’heure, le chapitre semble clos. « J’espère que c’est la fin », a benoîtement commenté le président américain, Joe Biden, comme un spectateur ennuyé après un mauvais feu d’artifice. Les États-Unis n’ont-ils vraiment rien à voir avec cette dernière séquence ?
Le président israélien, Isaac Herzog, a salué, samedi, l’allié historique d’Israël, et la coopération « publique et secrète » entre les deux pays après les bombardements sur l’Iran. Depuis l’attaque iranienne d’octobre, les responsables politiques israéliens avaient multiplié les annonces de représailles mais la réponse a pris près d’un mois, en partie en raison des « discussions intenses entre responsables israéliens ainsi qu’entre Israël et les États-Unis sur l’échelle et les cibles » de la riposte, selon Joost Hiltermann, le directeur du programme Moyen-Orient de l’International Crisis Group (ICG) interrogé par l’AFP.
D’après lui, Washington a insisté pour que ces représailles soient « proportionnées, afin que l’Iran n’ait pas besoin de répondre ». Si la riposte israélienne s’arrête là, cela signifiera qu’ils ont eu gain de cause, selon Joost Hiltermann. « Ce serait un exemple, pour une fois, de diplomatie américaine efficace vis-à-vis d’Israël. »
Un possible cessez-le-feu au Liban ?
Si le premier ministre israélien s’est félicité des destructions occasionnées en Iran, « cette réponse est loin de correspondre à l’opération promise par Netanyahou, elle est modérée et limitée dans ses objectifs », estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève. Il estime par ailleurs que Tel-Aviv a « revu ses exigences à la baisse » sous l’influence américaine.
Il est donc avéré que les États-Unis ont exercé des pressions suffisamment ciblées et menaçantes pour que Benyamin Netanyahou obtempère. En revanche, le 30 septembre, Joe Biden avait laissé entendre qu’il était opposé à des opérations terrestres israéliennes au Liban, appelant au cessez-le-feu après l’assassinat du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
Mais, le lendemain, les troupes israéliennes pénétraient au pays du Cèdre. Depuis quelques jours, la diplomatie américaine s’active à nouveau pour que l’invasion du Liban du Sud s’arrête, Washington voulant préserver sa marge de manœuvre. En revanche, s’agissant de Gaza, les navettes se poursuivent entre les différents protagonistes sans que les États-Unis ne tapent du poing sur la table et ne forcent Israël à s’engager dans un véritable cessez-le-feu.
Celui-ci aboutirait à la libération des otages détenus par le Hamas (mais ceux-ci sont disséminés un peu partout dans le territoire palestinien), de prisonniers palestiniens et, surtout, au retrait des troupes israéliennes. Tout semble montrer que les Américains estiment que le moment n’est pas encore propice, au regard de leurs propres projets. Ils viennent néanmoins de montrer qu’ils sont les véritables maîtres du jeu, Israël n’étant qu’un pion jouant sa propre partition dans l’espace dévolu par le grand allié.