Cisjordanie : à Al-Mughayyir, les attaques incessantes des colons

Publié le par FSC

Pierre Barbancey
L'Humanité du 03 octobre 2024

 

À Al-Mughayyir, en Cisjordanie, les attaques de colons sont quasiment quotidiennes. En avril, un jeune palestinien a tété tué. © Nicolas Cleuet / Le Pictorium

 

Ce village de Cisjordanie a été pris d’assaut par 400 colons, en avril. Un jeune Palestinien a été tué. Depuis, quasiment chaque jour, une descente violente des occupants israéliens empêche les Palestiniens d’accéder à leurs champs.


Bonnet vissé sur la tête, la barbe frémissante sous le vent qui balaie les collines de la Cisjordanie, Fayez Abou Alia, d’un geste de la main, montre les magnifiques oliviers alignés dans la vallée, en contrebas. Un vert changeant au gré des feuilles qui donne au paysage des airs de tableau impressionniste. Mais ici, point de chevalet. Nous sommes dans le village d’Al-Mughayyir, à 25 kilomètres à l’est de Ramallah par la route « normale » – si tant est que ce mot a encore un sens dans cette région…


Un itinéraire essentiel pour les habitants, qui peuvent ainsi se rendre rapidement dans la grande ville pour des formalités administratives ou des consultations médicales. Une route vitale, en somme, que la puissance israélienne occupante coupe régulièrement. Un moyen supplémentaire de mettre la pression sur les Palestiniens, de leur gâcher leur quotidien.
Au lieu de la demi-heure habituelle, il nous aura ainsi fallu près d’une heure trente pour arriver à Al-Mughayyir en passant par des routes étroites aux bas-côtés mal assurés et truffés de nids-de-poule.

Un village encerclé par les colonies israéliennes


Le village est situé dans une zone montagneuse surplombant la vallée du Jourdain. Ce qui en fait une cible de choix pour les colonies israéliennes environnantes, notamment celle de Shilo, qui l’encerclent presque totalement. La manœuvre est en cours.
C’est ce que nous montre Fayez Abou Alia, solidement appuyé sur sa canne, conséquence d’une blessure datant de la première Intifada (1987-1993), alors qu’il n’avait pas 14 ans. Il anime la branche locale de l’Union des comités agricoles. Une association qui aide les paysans en leur fournissant du matériel mais qui documente également la violence des colons, notamment les destructions et les vols de bétail.


Les autorités israéliennes multiplient les interventions pour empêcher les Palestiniens de rendre publiques ces exactions. Un jeune villageois qui participait à ce travail de révélations s’est retrouvé vingt-sept mois en détention administrative. Fayez, lui, a reçu des menaces par téléphone d’un officier du Shin Bet, le renseignement intérieur israélien.

Une vie dans la peur permanente


« Vous voyez le mirador ? demande-t-il en pointant du doigt la colline en face, dès que nous essayons de descendre pour nous occuper des oliviers, l’armée est prévenue et arrive aussitôt pour nous en empêcher. Lorsqu’on parvient à accéder à l’oliveraie, on ne peut rester au mieux que 10 minutes. »


En réalité, Al-Mughayyir est un village assiégé. Le mot n’est pas trop fort. Les 4 500 habitants vivent dans la peur permanente. Nous voici dans la maison d’Afif Abou Alia surnommé Abou Jihad, dont le fils Jihad est mort le 12 avril dernier, comme le rappelle une large banderole tendue sur la façade de la bâtisse.


« C’était un vendredi, se souvient-il comme si c’était hier. Alors que nous étions tous à la mosquée, environ 400 colons ont attaqué le village. » La veille, un jeune d’une colonie avait été retrouvé mort dans un ravin avec son âne. Immédiatement, sans preuve, les Israéliens ont accusé les paysans palestiniens et organisé une marche punitive.

« Personne ne fait rien pour nous protéger, ni les pays arabes, ni le reste du monde »


« Ils se sont regroupés plus bas, il y avait des voitures et même des bus. Ils étaient comme des fous. Certains brandissaient des couteaux. Ils ont même poignardé des moutons », raconte Fayez. Devant la résistance des villageois, les colons s’en sont pris à deux habitations isolées, ont mis le feu à des voitures et tout ce qui pouvait brûler.
Les pompiers, arrivés de Taybeh, ont été bloqués par les soldats. « Deux colons ont tiré. Jihad a été touché. Il est mort. Il devait se marier au mois de septembre », précise le père en tirant nerveusement sur sa cigarette. Les yeux d’Abou Jihad sont secs. Son chagrin, il le partage avec sa famille et ses proches.


« Nous devons nous défendre. Ce qui fait le plus mal, c’est ce sentiment d’abandon, cette impression que personne ne fait rien pour nous protéger, ni les pays arabes, ni le reste du monde. C’est pour ça que, lorsqu’on a vu les missiles iraniens dans le ciel, nous avons tous crié de joie et les youyous des femmes ont retenti. Quelqu’un, enfin, s’intéressait à nous. »

« Le colon est à la fois le juge et l’assassin »


Lorsque vous lui demandez, naïvement, s’il a tenté une action en justice après la mort de son fils, Abou Jihad vous regarde comme s’il essayait de discerner si votre question est vraiment sérieuse.
Un peu agacé, il répond : « Ça ne sert à rien. Le colon est à la fois le juge et l’assassin. Les colons et les militaires sont les mêmes. Porter plainte, c’est se mettre dans le collimateur des soldats et des services de renseignements israéliens. C’est se mettre en danger. C’est se trouver menacé, voire arrêté. »


Ayham Abou Nuaim, qui pratique l’élevage, cultive du blé et du houblon pour les animaux, en sait quelque chose. Depuis le 7 octobre 2023, il n’a plus accès à sa terre. « Je suis harcelé presque tous les jours par des colons qui viennent en jeep. Souvent, ils me volent des moutons et même le bois que je stocke pour l’hiver. »

Complicité absolue entre l’armée et les colons


Sur une vidéo, on voit des adolescents arriver. L’un d’entre eux porte un revolver à la ceinture. Ils bousculent le père d’Ayham. « Je l’ai montrée à un officier qui m’a dit que si je montrais ça au bureau de coordination et de liaison du district (DCO, censé établir une connexion entre les polices israélienne et palestinienne – NDLR), ils viendraient m’arrêter. »


C’est d’autant plus difficile qu’un des frères de Jihad est en détention administrative depuis vingt mois. Il risquerait d’en faire les frais puisque le dossier est secret et que son enfermement peut être renouvelé autant de fois que le juge militaire le décide sans avoir à communiquer ses raisons y compris aux avocats du prisonnier. Selon l’association Addameer, basée à Ramallah, plus de 3 300 Palestiniens se trouvent dans ce cas.


Une situation qui n’est pas nouvelle. « Depuis qu’il y a des colonies autour du village, nous sommes attaqués. Mais ça a augmenté en nombre et en intensité depuis le 7 octobre de l’année dernière », rappelle Fayez Abou Alia.

La violence est partout


La veille de notre arrivée, l’armée est entrée à Al-Mughayyir, accompagnée de colons. Ils ont rassemblé les jeunes hommes et les ont pris en photo un par un. Puis ils sont passés dans chaque magasin du village pour récupérer les enregistrements vidéo des caméras de surveillance que les commerçants installent justement pour enregistrer les exactions et les dégâts occasionnés à leurs boutiques par les colons.
Ils font même des clichés des vêtements que portent les Palestiniens pour avoir plus de possibilités de repérer ceux qui, parfois masqués, résistent à la violence de l’occupation.

Lors des perquisitions, les soldats fouillent ainsi dans les penderies et les affaires personnelles, en profitant pour voler des bijoux et de l’argent, avance un villageois.
La violence est partout. Pas un jour sans qu’un incident n’éclate.

« Je portais ma chasuble du Croissant-Rouge palestinien, mais ils m’ont empêché de passer »


Husam Abou Alia (en Palestine, les villages sont composés de grandes familles de milliers de personnes, les Abou Alia sont, à Al-Mughayyir, l’une des plus importantes) est ambulancier.


« Il y a un mois, les colons sont venus jeter des pierres et ont sérieusement blessé quelqu’un. Je portais ma chasuble du Croissant-Rouge palestinien, mais ils m’ont empêché de passer. » Un vieil homme a tenté d’intervenir, il a été frappé par les soldats.
« Je suis alors descendu de mon ambulance et j’ai demandé aux militaires pourquoi ils faisaient ça. L’un d’entre eux m’a demandé d’approcher et m’a dit qu’il allait m’expliquer. Lorsque je me suis trouvé face à lui, il m’a aspergé de gaz poivre. »

« Nous allons rester sur notre terre »


La récolte des olives est prévue le 20 octobre. Que va-t-il se passer ? La situation économique des villageois d’Al- Mughayyir est dramatique. « Autrefois, je tirais 80 gallons d’huile d’olive de mes fruits. L’an dernier, seulement 5. On avait demandé un permis à l’armée. On a eu droit à un seul jour, jusqu’à 15 heures. Mais, à 10 h 30, les soldats sont arrivés et nous ont fait partir. »


Abou Jihad, Husam, Fayez ou Ayham, tous disent leur « peur constante ». Mais tous ajoutent : « Ça ne veut pas dire qu’on va lâcher. Nous allons rester sur notre terre. Ce dont nous avons besoin, c’est que notre moral remonte, sentir que nous ne sommes pas seuls. »
Alors que le soleil commence à décliner, ils nous conseillent de partir. Les colons peuvent arriver. Il en va ainsi d’une journée ordinaire d’un paysan palestinien.

 

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