Frédéric Paulin : le Liban pour mémoire

Publié le par FSC

Sophie Joubert
L'Humanité du 20 octobre 2024

 

Nul ennemi comme un frère, Agullo, coll. « Noir », 480 pages, 23,50 euros. Les deux prochains tomes de la trilogie paraîtront en février et septembre 2025.

 

L’auteur de romans noirs s’est lancé dans une trilogie historique sur la guerre qui a ravagé le pays du Cèdre dans les années 1980. Une réflexion sur le temps long qui fait écho à l’actualité récente.


En commençant à écrire sur la guerre du Liban, Frédéric Paulin ne se doutait pas que son travail ferait à ce point écho à la tragédie qui frappe le pays depuis qu’Israël a commencé à bombarder Beyrouth. Paru fin août chez Agullo, Nul ennemi comme un frère est le premier volet d’une trilogie qui s’étend de 1975 à l’accord de Taëf, signé le 22 octobre 1989, qui met officiellement fin à la guerre civile et est présenté comme une tentative de réconciliation nationale.


À travers une galerie de personnages fictifs qui évoluent entre le Liban et la France, le romancier pénètre les arcanes de la politique, de la justice et de la diplomatie pour mettre au jour les liens entre les deux pays et les ramifications du conflit à l’échelle internationale.
« Cette guerre qui a eu lieu il y a quarante ans me semble ne jamais avoir fini. Elle s’est poursuivie par un conflit asymétrique et de basse intensité avec l’affrontement entre les chiites et Israël au Liban du Sud, la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël. Ce qui se passe aujourd’hui ne m’étonne pas, écrire sur le passé récent était une manière de parler de ce qui pouvait arriver au Liban. »

Parler de l’histoire récente, c’est parler du moment actuel


Si l’actualité lui donne raison, Frédéric Paulin, diplômé de science politique, ancien journaliste et prof d’histoire-géo, s’intéresse au temps long et croit en l’histoire comme outil pour renforcer la citoyenneté. « Ce que j’écris sur le Liban peut servir à expliquer ce qui s’est passé le 7 octobre 2023 et ce qui se passe à Gaza. Parler de l’histoire récente, c’est parler du moment actuel. »


Né à Brétigny-sur-Orge (Essonne) en 1972, il a vécu les 14 premières années de sa vie au Plessis-Pâté, non loin du site de la Fête de l’Humanité, où il s’est rendu cette année pour la première fois. « C’est une espèce de retour aux sources assez étonnant. Je viens d’une famille de droite assez modérée ; pour mes parents, la Fête de l’Huma était un repère de l’extrême gauche mais ils ne m’ont jamais interdit d’y aller », se souvient-il, en se promettant de leur envoyer une photo.


Pour trouver des origines populaires, il faut remonter d’une génération, du côté d’un grand-père maternel né dans une famille de 10 enfants, ouvrier dans une usine de Saint-Étienne. « Mes parents étaient des transfuges de classe mais moi, je voudrais revenir sur cette histoire. J’ai dans l’idée une tétralogie sur des événements oubliés des livres d’histoire : les grandes grèves de 1947-1948 dans les mines, rebondir sur Mai 68 comme un vrai mouvement ouvrier, la lutte des ouvriers immigrés chez Citroën en 1983-1984, en finissant sur les gilets jaunes. »

Un travail de documentation presque obsessionnel


Qu’il écrive sur le génocide au Rwanda, le djihadisme ou la guerre civile en Algérie, ses romans noirs bâtis comme de grandes fresques s’appuient sur un travail de documentation presque obsessionnel.


« Par ma formation universitaire, j’ai un amour des notes de bas de page. Cette documentation, tout le monde pourrait l’acquérir à condition d’avoir le temps, l’envie, la névrose. Je n’ai pas d’informateurs de la DGSE ou des sources chez les ex-islamistes combattants ! » Pour nourrir sa trilogie libanaise, il a fait « feu de tout bois » : « Je me suis intéressé aux travaux des urbanistes, des romanciers. On dit que le souvenir de la guerre disparaît parce que les politiques et les dirigeants ne veulent pas se souvenir. La plupart de ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ont les mains pleines de sang. Mais les Libanais et les artistes font œuvre de mémoire. »


Comme beaucoup de gens de sa génération, il s’est aussi souvenu des portraits des otages français au Liban, diplomates et journalistes enlevés par le Hezbollah qui, chaque soir, ouvraient le journal télévisé d’Antenne 2 : « Ces photos ont agi sur moi quand j’avais 12 ans. Comment l’État français pouvait laisser ces hommes, Jean-Paul Kauffmann et les autres, otages pendant plus de mille jours ? Je crois que j’ai posé la question à mes parents mais qu’est-ce qu’à l’époque un citoyen lambda comprenait à Eurodif, au contentieux économique, à la vente d’armes à l’Irak, à Chapour Bakhtiar (premier ministre du Shah d’Iran assassiné en France en 1986 – NDLR) ? Tous mes bouquins sont un peu une réponse à ce gamin qui se posait des questions et ne savait pas comment y répondre. »


Récemment, lors d’une rencontre en librairie, un Libanais de 40 ans l’a remercié d’avoir écrit sur son pays : « Ses parents avaient toujours refusé de parler de cette période et de répondre à ses questions. On a fini la soirée ensemble. » La littérature permet aussi de créer ce genre de liens.
 

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