Guerre au Liban : à qui profite l’assassinat d’Hassan Nasrallah ?
Pierre Barbancey et Lina Sankari
L'Humanité du 22 octobre 2024
Sa mort ouvre une fenêtre d’opportunités pour un certain nombre de partis politiques qui partagent une vision régionale américano-israélienne. Mêmes affaiblis, ceux qui s’y opposent ainsi que le Hezbollah restent des acteurs incontournables.
En assassinant Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, le 27 septembre, Benyamin Netanyahou pensait en avoir fini avec le mouvement chiite et obtenir une victoire rapide. Il n’en est rien. Les bombardements sur le Liban ne cessent pas et augmentent même en intensité.
Si l’ensemble de la région Sud est touché, l’aviation israélienne frappe également au nord où se trouvent plus d’un million de déplacés. Beyrouth est sauvagement attaquée, la vallée de la Bekaa n’est pas épargnée et les zones chrétiennes, qui se pensaient à l’abri, touchées.
Sous prétexte d’éradiquer toute présence du Hezbollah, le premier ministre israélien procède comme à Gaza, en s’en prenant aux civils. Au Liban, il tente ainsi de diviser les populations et de dresser les différentes communautés les unes contre les autres. Les chiites sont tout particulièrement visés.
L’armée israélienne à la peine dans le sud face au Hezbollah
L’armée israélienne ne parvient pas à progresser au sud, preuve que les combattants du Hezbollah sont actifs et possèdent toujours un commandement. « L’organisation du Hezbollah est beaucoup plus compliquée qu’on ne le pense », explique à l’Humanité le chercheur Houssam Matar, pour qui l’Iran a également envoyé un message clair de soutien à son allié libanais.
« Le Hezbollah montre à Israël et aux États-Unis que la guerre va être longue et qu’il y est prêt. La confrontation se situe maintenant à un niveau régional, avec notamment les milices chiites d’Irak et les Houthis au Yémen, ce qui conforte la vision du Hezbollah. » Omar Nashabe, professeur de droit international à l’université américaine de Beyrouth (AUB), ne mâche pas ses mots lorsque nous le rencontrons.
« En tuant Nasrallah, Netanyahou pensait qu’il allait mener une guerre éclair, que le Hezbollah allait s’effondrer, que les milices allaient sortir dans la rue et que tout le monde allait s’entretuer. C’est une illusion qui a déjà fait couler beaucoup de sang. »
Un environnement de guerre délétère
Il reste que les coups portés au Hezbollah ouvrent une fenêtre d’opportunités pour un certain nombre de partis politiques qui partagent une vision américano-israélienne de l’avenir de la région. Une bataille qui n’est pas nouvelle et date au moins de la fin de la guerre civile, en octobre 1990.
Elle s’aiguise notamment avec le blocage pour l’élection du président de la République, poste revenant à un chrétien maronite. Toutes les questions s’enchevêtrent, tout le monde se tenant par la barbichette dans un environnement de guerre délétère où le droit international n’a plus guère de sens.
Le leader druze du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, dressait un constat amer et sans concession en recevant l’Humanité dans sa résidence de Clemenceau : « L’ONU, c’est fini ! ». Tout en ajoutant : « Rien ne peut arrêter Netanyahou. »
La question de la résolution 1701
C’est tout le paradoxe. Les casques bleus des Nations unis, regroupés au sein de la force intérimaire (Finul) sont aujourd’hui la cible de l’armée israélienne sans qu’aucune sanction ne soit prise. Mais ce qui reste un point d’achoppement entre les partis libanais repose sur la mise en œuvre de la résolution 1701 de l’ONU, qui a mis fin à la guerre entre le Hezbollah et Israël en 2006.
Celle-ci prévoit la cessation des hostilités entre les deux parties et stipule que seuls l’armée libanaise et les casques bleus doivent être déployés dans le Sud frontalier d’Israël. La France et les États-Unis tentent maintenant d’instaurer une résolution 1701 + qui rajouterait des conditions, notamment l’interdiction d’importation d’armements pour le Hezbollah (mais rien en revanche concernant Israël).
« L’Iran et le Hezbollah n’ont pas de problème avec la résolution 1701 à partir du moment où Israël la respecte », remarque Houssam Matar. « Mais avec la 1701 +, il s’agit d’autre chose. Paris et Washington espèrent que cette nouvelle résolution signifiera la fin du Hezbollah en tant que résistance et permettra la mise en place d’un gouvernement proche des Occidentaux. »
Bras de fer politique
Pour l’heure, le président (chiite) du Parlement et chef d’Amal, l’inamovible Nabih Berri, est opposé à toute modification de la 1701. À l’inverse, le patron des Forces libanaises, Samir Geagea, lie l’élection du président à l’application des résolutions 1701 et 1559 (sur le désarmement du Hezbollah) et se prononce pour un « État capable, juste et neutre face aux politiques des blocs ».
Une neutralité suspecte s’agissant du Liban, régulièrement agressé par Israël depuis la fin des années 1970, et que dénonce le secrétaire général du Parti communiste libanais, Hanna Gharib.
Un véritable bras de fer est en train de se dérouler. L’armée libanaise est une coquille vide sciemment sous-équipée par son principal fournisseur états-unien. Ceux qui poussent à l’application de la résolution 1559, votée en 2004, cherchent en fait à en finir avec toute possibilité de résistance armée contre Israël.
1 489 personnes tuées depuis le 23 septembre
Mais, pour l’heure, les Libanais soumis aux bombardements israéliens n’en veulent pas. Comme nous le disait avec ironie Walid Joumblatt, « dans une situation pareille, alors que l’armée israélienne est sur notre sol, on va dire au Hezbollah « Messieurs, rendez vos armes » ? » Ce qui ne l’empêchait pas de regretter que « l’Iran a fait du Liban une plate-forme de guerre ».
Les discussions à Beyrouth sont néanmoins suspendues à la situation militaire. Houssam Matar fait ainsi remarquer qu’à l’origine, en lançant son offensive terrestre, Israël espérait pouvoir marcher jusqu’au fleuve Litani.
« Les soldats israéliens pensaient que ce serait plus simple. Maintenant, ils ne parlent plus que d’une avancée en territoire libanais sur 3 kilomètres. Israël ne veut pas perdre l’image victorieuse de celui qui a tué Nasrallah et frappé le Hezbollah. Mais ce dernier n’a pas encore engagé toutes ses forces. »
Reste évidemment la dimension régionale. Israël a annoncé qu’il frapperait l’Iran. Nul ne sait à quelle échelle ni quand, mais les conséquences pourraient être terribles. D’autant que, selon Houssam Mattar, « une partie de la stratégie iranienne vise à pousser les États-Unis à prendre leurs responsabilités et ne pas s’abriter derrière la seule responsabilité de Netanyahou ». Une fois de plus le Liban est plongé dans une crise humaine et politique. Plus d’un million de ses habitants sont déplacés et au moins 1 489 personnes ont été tuées depuis le 23 septembre.
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