Guillemette Thomas, une soignante sous le feu israélien
Émilien Urbach
L'Humanité du 30 septembre 2024
À l’issue d’un an de mission en Palestine, la coordinatrice médicale de Médecins sans frontières à Jérusalem se fait l’écho du calvaire des humanitaires qui œuvrent sous les bombes de l’armée israélienne.
Durant onze mois, elle a vécu, avec son époux et leurs deux enfants, à Jérusalem-Est. Rentrée en France au début de l’été, Guillemette Thomas y travaillait comme coordinatrice médicale de Médecins sans frontières (MSF). Anesthésiste-réanimatrice de formation, la coordinatrice médicale a vu sa mission changer radicalement après l’attaque de la branche armée du Hamas du 7 octobre 2023 et la violente riposte israélienne qui a suivi.
Jusqu’alors, la jeune quadragénaire coordonnait et développait, non sans difficulté mais de façon sereine, l’action de MSF sur l’ensemble du territoire morcelé de la Palestine : à Naplouse, Kalkilya, dans la région de Jénine, dans le nord des territoires occupés de Cisjordanie, mais aussi au sein de trois cliniques situées dans la bande de Gaza.
« Le système de santé palestinien est ciblé de façon systématique, méthodique »
Jusqu’à ce fameux matin du 7 octobre 2023. « À 7 heures du matin, on nous prévient que des roquettes viennent d’être tirées en direction de Jérusalem, confie-t-elle. C’est le début d’une guerre au cours de laquelle le système de santé palestinien, robuste jusqu’ici, va être ciblé de façon continue, systématique, méthodique, sans épargner les humanitaires. »
L’une de ses collègues, Aurélie Godard, une anesthésiste-réanimatrice qui n’a pu être évacuée immédiatement après l’attaque, peut en témoigner. « On dénombre 40 000 morts à Gaza depuis le 7 octobre, auxquels viennent s’additionner quatre à dix fois plus de victimes en raison de la non-prise en charge de pathologies. »
La jeune mère se rend vite compte de l’ampleur de l’attaque du 7 octobre et des conséquences de la riposte israélienne qui ne tarde pas. L’école de ses enfants à Jérusalem ferme. Eux rentrent en France, puis reviennent quelques semaines plus tard. Guillemette Thomas, elle, reste sur place. Sa priorité : mettre en sécurité les équipes de MSF bloquées à Gaza.
« Trois semaines de bombardements incessants s’écoulent avant que nous parvenions à faire sortir, par nos propres moyens, les membres internationaux de nos équipes, explique-t-elle. Il était impossible de mettre véritablement à l’abri les nationaux. » Ce sont eux, cependant, qui permettront à l’ONG de poursuivre son action humanitaire sur place. Dans les hôpitaux de Gaza-City, 168 soignants posent, sous les bombes, plus de 350 pansements par jour. Au bout d’une semaine, ils sont en rupture de stock.
En novembre, de nouveaux soignants parviennent à venir en renfort. Mais l’armée israélienne vient d’ordonner de quitter le nord de la bande de Gaza. « Le 18 novembre, dans une première tentative d’évacuation, deux de nos membres sont visés par des snipers israéliens, s’insurge la jeune médecin. Et sept de nos véhicules, pourtant identifiés, sont détruits. On ne parviendra à mettre tout le monde à l’abri que huit jours plus tard. Et jusqu’à janvier, il ne sera plus possible de travailler. »
« Tous les matins, je me demande si un collègue n’est pas mort dans la nuit »
L’ONG tente de reprendre son activité à Khan Younès, jusqu’à la mi-février, mais les bombardements s’intensifient. L’équipe se déplace vers Rafah, dans le sud. Les humanitaires parviennent à y accomplir leur travail jusqu’au 6 mai, date de l’invasion israélienne de la ville. Entre-temps, des activités d’orthopédie, de chirurgie plastique et de kinésithérapie ont pu reprendre dans l’hôpital de Nasser.
« Je connais les conflits armés, précise Guillemette Thomas. J’ai vécu plusieurs mois au Congo. À Gaza, la violence s’exerce de nuit comme de jour, de façon indiscriminée, sur une population piégée. Les hôpitaux sont assiégés. Plus aucun médicament ne rentre. C’est un choix politique de l’État israélien… Tous les matins, je me réveille en me demandant si un collègue n’est pas mort dans la nuit. » Six membres de MSF sont morts depuis le début de la guerre.
De retour à Marseille depuis juillet, les enfants de la jeune médecin ont repris le chemin de l’école à la rentrée. « Nous leur parlons beaucoup. Malgré les difficultés et l’intensité du travail sur place, la situation m’a convaincue de la nécessité de l’action de MSF auprès des populations meurtries par la guerre.
Ici, la façon dont les médias traitent ce conflit est totalement biaisée. J’estime que c’est une faute professionnelle de la part de la plupart des journalistes et l’impossibilité de débattre est désespérante. C’est pour cela que je prends très à cœur, aujourd’hui, mon rôle de témoin. Il est primordial. »