« J’attends à mon tour de mourir » : à Jabaliya les récits glaçants de l’horreur

Publié le par FSC

Samir Bujy, Saeed Wajjeh et Wajeh Zarefah
L'Humanité du 14 octobre 2024

 

Dans le nord de la bande de Gaza, à Jabaliya, les habitants racontent leur quotidien fait de bombardements et d’enterrements dans une ville encerclée depuis dix jours. © Mahmoud Issa / Middle East Images via AFP
L’armée israélienne continue de bombarder le nord de la bande de Gaza où se trouvent 400 000 personnes. Les habitants de Jabaliya témoignent des crimes et d’un quotidien fait d’enterrements.
Le Nord représente 17 % de la superficie de la bande de Gaza. Le territoire était rempli d’une vie simple. Les bombardements, les déplacements, les destructions, le siège et la faim sont devenus le nouveau quotidien des habitants depuis plus d’un an.
Dans les rues, les gens transportent ce qui reste de leurs souvenirs dans leurs mains et sur leur dos. Ils vont d’un endroit à l’autre, condamnés a se déplacer chaque jour pour éviter les frappes. Jour et nuit, le ciel est coloré par la lueur des explosions. Les allées qui étaient remplies d’enfants sont maintenant remplies de décombres. Les habitants sont continuellement à la recherche d’un abri. Mais il n’y a plus de havre de paix.

Jabaliya, une ville assiégée depuis dix jours
Dans cette zone du Nord où vivent plus de 400 000 personnes, l’armée israélienne mène depuis plusieurs semaines des bombardements et des combats au sol. La ville de Jabaliya est assiégée depuis dix jours. Plus de 50 personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées.
Dans le camp de réfugiés d’al-Shati, les bruits ne sont plus ceux des enfants qui jouent, ni les rires des familles qui se réunissent, ni le brouhaha des marchés, mais ceux des avions de guerre et des missiles qui tombent sur les routes et les maisons.
En un instant, tout bascule, le sol tremble sous les pieds, et il ne reste que des morceaux de corps, des cris et l’odeur de la poudre. Depuis dimanche, près de 22 Palestiniens, dont 15 enfants et femmes, sont morts. À Jabaliya, la vie des habitants est devenue une suite d’enterrements d’un frère, d’un père, d’un voisin ou d’un ami. Ici, les gens courent à la recherche d’un verre d’eau ou d’une miette de pain pour nourrir leurs enfants.

« Deux de mes fils sont tombés en martyrs, avec leurs enfants et leurs femmes »
Âgée de plus de 50 ans, Oum Muhammed Jouda porte un sac sur le dos rempli de ce qui reste de ses souvenirs et marche lentement de fatigue et d’épuisement. À première vue, on la confond avec une enfant.
Elle ne pèse pas plus de 40 kg à cause du manque de nourriture et du siège qui est imposé aux populations. Elle vit dans le camp de Jabaliya. Après plus d’un an, elle a craqué et a repris la route.
« Depuis le début de la guerre, je me suis accrochée à ma maison, deux de mes fils sont tombés en martyrs, avec leurs enfants et leurs femmes, il ne restait plus personne. Tous les deux jours, ils bombardaient à côté de nous, parfois au milieu de la nuit. Nous devions aller dans un autre endroit. »
Oum Muhammed raconte la perte de ses deux fils et de leur famille : « Nous étions dans notre maison, moi et Abu, mon mari, j’ai appelé mes enfants pour qu’ils viennent nous rejoindre afin que nous nous rassemblions dans un seul lieu. Nous avons attendu Khaled et Ayoub, nos fils, mais ils ont été bombardés sur le chemin, avec leurs enfants et leur femme. Ils sont tous morts. »

Un exil sans fin
Sous le choc, Oum Muhammad explique en larmes être restée dans sa maison durant un mois, sans rien faire. « Mes enfants que j’aime et mes petits-enfants que j’ai élevés, soudain ils sont partis et il n’y a plus personne. » Elle a été forcée d’abandonner sa maison construite avec son mari de leurs propres mains, brique par brique, et tous ses souvenirs.
À 63 ans, Oum Atiya Kreira est marqué par les blessures. Elle avait quatre fils mais les a tous perdus dans le bombardement du camp de Jabaliya. Le dixième jour du siège, les forces d’occupation empêchent l’entrée des unités médicales et de tout matériel ou nourriture.
« Je ne sais pas quoi dire, j’ai perdu mes quatre fils, témoigne Oum Atiya Kreira. Ma maison a disparu dès le début de la guerre et je suis restée chez l’oncle de notre famille, puis j’ai été déplacée à l’hôpital Yemen-Assaeed, et nous avons été pris pour cible là-bas, et nous avons été déplacés à nouveau à l’école de l’UNRWA, et nous avons à nouveau été pris pour cible. »

« Un jour, je suis allé au marché pour chercher ma femme et ma fille Maryam, je ne les ai pas trouvées »
Jeune homme d’une trentaine d’années, Mohammad Almajzoub travaillait dans sa propre boutique de vente et d’entretien de téléphones dans le camp de Jabaliya. Il est le père d’une fillette de 7 ans.
« Beaucoup de gens autour de moi ont quitté leur maison, mais j’ai décidé d’y rester et d’y mourir afin de ne pas la laisser à l’occupant », raconte-t-il déterminé. Mohammad Almajzoub poursuit : « Un jour, je suis allé au marché pour chercher ma femme et ma fille Maryam, je ne les ai pas trouvées, elles ont été… »
Il se met à pleurer en se remémorant un bombardement à l’école al-Rafie en présence de sa fille et de sa femme. Mohammed tente de se contrôler et reprend : « J’avais un magasin. Je vivais heureux. J’avais ma femme et ma fille. J’essayais de leur procurer tout ce dont elles avaient besoin. Mariam allait à l’école et était heureuse, et nous envisagions de lui donner un frère. »
Le camp rempli de vie ressemble désormais à une zone complètement détruite avec des ruines, des décombres et l’odeur de la mort. Mohammad poursuit : « Les gens sont déplacés tous les jours. L’armée israélienne veut que nous quittions le Nord et que nous allions dans le Sud. Jusqu’au dernier jour de notre vie sur notre terre, et même si nos maisons deviennent des gravats, nous vivrons sur les décombres et les reconstruirons à nouveau. »

Ahmed, 25 ans, a perdu tous ses proches
À 25 ans, Ahmed Aborda a déjà connu toutes sortes de pertes, de peurs, de douleurs et de déplacements. Il a perdu toute sa famille, sa maison, sa fiancée et beaucoup de ses amis.
« Depuis le début de la guerre, j’ai vu mourir un proche tous les jours. Avec les voisins, nous sommes restés dans notre maison et n’en sommes pas sortis. Soudain nous nous sommes réveillés au milieu de la nuit au son d’un bombardement qui n’a pas cessé, il a touché plus de 10 maisons dans le bloc à côté de nous. Plus de 40 personnes ont été tuées ce soir-là, et j’ai perdu mon frère aîné qui dormait avec ses amis, et ma mère a été blessée et hospitalisée. Elle est morte une semaine après. »
Ahmed a décidé de se rendre dans une école de l’UNRWA. « Normalement, c’est moi qui sortais récupérer de l’aide ou à manger tandis que mon père et ma sœur restaient à l’école. Mais, un jour que j’étais malade, mon père a décidé d’aller au marché. Une heure après, nous avons entendu le bruit d’un bombardement intensif. »
Ahmed Aborda a décidé d’aller à l’enterrement de son père sans le dire à sa sœur. À la fin de la cérémonie funéraire, pendant tout le retour, « (il a) pensé à ce qu’(il) dirai (t) à (s) a sœur ».
Moins de 100 mètres avant d’arriver à l’école, « ils ont visé une salle de classe et j’ai vu le feu de mes yeux et des éclats d’obus partout, j’ai couru pour trouver ma sœur, les gens étaient les uns sur les autres, tout le monde essayait de se lever et de courir pour trouver leurs enfants ».
Quand Ahmed a finalement atteint la salle de classe où sa sœur vivait avec sa famille, il n’a trouvé que les restes de son cadavre ! « Depuis le jour où j’ai perdu tous mes proches, je ne sais pas quoi faire, je vais d’un endroit à l’autre, j’attends à mon tour de mourir, pour qui puis-je vivre ? »

« Je pesais 87 kg, quand je suis sorti, moins de 60 kg »
Ibrahim Salem a été capturé dans le camp de Jabaliya par l’occupant, un mois et demi après la guerre. « Nous étions assis dans nos maisons, moi, mes parents, nos voisins, ma femme et mes trois enfants, quand les forces israéliennes sont arrivées et ont demandé à tous les habitants de sortir de chez eux. Soudain, un officier m’a appelé et j’ai dû sortir de la ligne. Mes enfants m’ont dit de ne pas y aller, mais j’ai préféré laisser mes enfants et ma femme de peur qu’ils s’en prennent à eux », raconte Ibrahim.
Il est resté soixante-quinze jours en prison. Chaque jour, les coups, l’humiliation, les interrogatoires, les chiens à côté de vous. « Nous étions sans vêtements avec un quart de repas par jour. Je pesais 87 kg, quand je suis sorti, moins de 60 kg. Le pire étant d’avoir été relâché dans le sud de la bande de Gaza, loin de ma famille », explique le jeune homme.
Libéré à Khan Younès, Ibrahim a essayé d’appeler cette dernière et de la retrouver. Après une semaine, un de ses cousins a pu la joindre. « Ils avaient déménagé dans un autre endroit. Je suis désormais rassuré à leur sujet, ils sont dans le Nord, sans personne, et moi dans le Sud. Chaque jour, j’ai peur de les perdre, surtout après dix jours de siège. »

 
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