Nétanyahou veut poursuivre le génocide

Publié le par FSC

Gwenaelle Lenoir
Médiapart du 18 octobre 2024

 
 

 

Yahya Sinouar à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 24 février 2017. © Photo Saïd Khatib / AFP

 

Ennemi numéro un d’Israël déclaré, chef politique et militaire du Hamas, Yahya Sinouar a été tué dans un combat avec l’armée israélienne. De nombreuses voix poussent à des négociations et à la fin de la guerre. Rien ne dit qu’elles auront gain de cause.


Yahya Sinouar est donc bien mort. Le chef du Hamas, principal instigateur des massacres du 7-Octobre, a été tué dans le quartier de Tell al-Sultan à Rafah, au sud de la bande de Gaza, mercredi 16 octobre, lors d’un affrontement avec l’armée israélienne. Selon les éléments divulgués par l’armée israélienne, les soldats ne savaient pas que, parmi les hommes sur lesquels ils tiraient, se trouvait l’ennemi numéro un de l’État hébreu.


La nouvelle de sa mort a fuité dans les médias israéliens jeudi, photo macabre de la scène à l’appui. Elle a été confirmée dans la soirée par les autorités israéliennes, après comparaison de l’ADN du corps avec celui prélevé sur Yahya Sinouar lors de son emprisonnement.


Aussitôt, des centaines de personnes se sont rassemblées à Tel-Aviv, réclamant que tout soit fait pour obtenir la libération des otages encore détenus dans la bande de Gaza. Ils et elles sont au nombre de 101, dont la moitié, estiment les autorités israéliennes, sont toujours en vie.


Yahya Sinouar, réputé intransigeant et proche de l’aile militaire, était accusé de bloquer toute négociation, même s’il est largement documenté, notamment par la presse israélienne, que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a tout fait ces derniers mois pour les faire échouer. Et qu’Israël a tué le principal négociateur et prédécesseur de Yahya Sinouar à la tête du bureau politique, Ismaël Haniyeh, le 31 juillet.


« Nous sommes à un tournant. Les objectifs fixés pour la guerre contre Gaza ont été atteints, à l’exception de la libération des otages. Sinouar, qui a été décrit comme un obstacle majeur à un accord, n’est plus en vie. Il est essentiel que toute l’attention se concentre maintenant sur la réalisation de l’objectif d’un accord qui garantira la libération de notre fils Omer et des autres otages », expliquait Ronen Neutra, père d’un otage, cité par RFI.

Appel à de nouvelles négociations


Dans une déclaration, le Forum des familles, qui regroupe une partie des proches des otages, « félicite les forces de sécurité pour avoir éliminé Sinouar, qui a orchestré le pire massacre auquel notre pays ait jamais été confronté, responsable du meurtre de milliers de personnes et de l’enlèvement de centaines d’autres ».


Il poursuit en demandant que « ce succès militaire soit mis à profit pour conclure un accord immédiat en vue de leur retour » : « Nous appelons le gouvernement israélien, les dirigeants mondiaux et les pays médiateurs à transformer ce succès militaire en succès diplomatique en recherchant un accord immédiat pour la libération des 101 otages : les vivants pour la réhabilitation et les assassinés pour un enterrement approprié. »
La plupart des dirigeants occidentaux sont allés dans ce sens. Comme s’ils considéraient que la mort de Yahya Sinouar, parce qu’il régnait sur la bande de Gaza depuis 2017 et qu’il était le cerveau du 7-Octobre, parachevait la guerre menée contre Gaza par l’État hébreu.


Le président américain Joe Biden, fervent et inlassable soutien d’Israël, a ainsi déclaré qu’il s’agissait d’un « bon jour pour Israël, les États-Unis et le monde », allant jusqu’à faire la comparaison avec la mort d’Oussama ben Laden. Il a enjoint aux dirigeants israéliens de « discuter de la voie à suivre pour ramener les otages chez eux auprès de leurs familles et pour mettre fin à cette guerre une fois pour toutes ». « Il existe désormais une opportunité pour un “jour d’après” à Gaza sans le Hamas au pouvoir, et pour un règlement politique qui offre un avenir meilleur aux Israéliens comme aux Palestiniens », a-t-il ajouté.


Le ministère français des affaires étrangères est lui aussi allé dans le sens d’une nouvelle phase : « La mort de Yahya Sinouar doit permettre de tourner la page de la guerre à Gaza, a indiqué le Quai d’Orsay dans un communiqué. Il faut la libération sans délai de tous les otages, un cessez-le-feu immédiat et l’entrée massive d’aide humanitaire dans l’enclave, pour prendre le chemin de la reconstruction et de la paix. » Une manière d’essayer, une nouvelle fois, de faire pression sur le gouvernement israélien et plus particulièrement sur Benyamin Nétanyahou.


Car si la mort de Yahya Sinouar rebat les cartes, c’est en partie seulement. Elle constitue bien sûr un nouveau coup, très dur, pour le Hamas, après douze mois de destruction massive de la bande de Gaza, mais aussi après les assassinats de plusieurs de ses plus hauts dirigeants de l’extérieur et de l’intérieur – comme par exemple Ismaël Haniyeh le 31 juillet à Téhéran, et probablement Mohammed Deif, chef de la branche militaire à Gaza, dans une frappe très meurtrière le 13 juillet.

Nétanyahou n’entend pas en rester là


Mais rien ne garantit que le premier ministre israélien et ses alliés veuillent se saisir de cette occasion, eux qui ont exprimé publiquement leur volonté de refaçonner le Moyen-Orient, ont lancé une guerre totale contre le Liban et ont arrêté le principe de frappes contre l’Iran. « Il peut y avoir, au moins en théorie, une fenêtre d’opportunité pour un accord, mais il ne semble pas que quiconque soit très pressé de le faire, déplore Ori Goldberg, un analyste politique israélien. Si Nétanyahou était intelligent, il conclurait un accord et appellerait alors à des élections anticipées qu’il remporterait. Mais il n’est pas intelligent, il est emporté dans une sorte de folie. »


Dans une déclaration télévisée jeudi soir, le premier ministre israélien s’est évidemment félicité de la mort de Yahya Sinouar. Il s’est aussi présenté à la fois en chef de guerre et en leader compatissant : « Aujourd’hui, comme nous l’avions promis, nous avons réglé nos comptes avec lui [Yahya Sinouar – ndlr]. Aujourd’hui, le mal a subi un coup dur, mais notre mission n’est pas encore achevée », s’est-il félicité. Avant de prévenir : « C’est un moment important de la guerre. Nous continuerons avec toute notre force jusqu’à ce que tous vos proches – nos proches – soient rentrés chez eux. C’est notre obligation suprême. C’est mon obligation suprême. [...] Mais la guerre, la guerre, mes chers amis, n’est pas encore terminée. Elle est dure et elle nous fait payer un lourd tribut. »
Joe Biden a annoncé envoyer d’ici quelques jours son secrétaire d’État, Antony Blinken, à Tel-Aviv. Une nouvelle fois, le diplomate essaiera de convaincre Benyamin Nétanyahou d’écouter son meilleur allié et plus gros fournisseur d’armes. Mais rencontrera-t-il plus de succès que les dix fois précédentes ?


« Maintenant qu’il a obtenu la mort de Sinouar, Nétanyahou peut afficher avoir accompli des objectifs de guerre », analyse Agnès Levallois, spécialiste du Proche et Moyen-Orient et vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée et Moyen-Orient (iReMMO). Va-t-il maintenant tenter d’obtenir la libération des otages sans passer par une négociation, donc par la force comme il fait depuis un an ? Va-t-il suivre son état-major militaire, qui prône un cessez-le-feu pour obtenir le retour des otages, et les conseils de Washington ? Je crains qu’il ne se soit persuadé que seule la force l’emporte et que seule l’option militaire est valable. Car la manière forte est la seule qu’il a utilisée depuis le début du conflit. »


Dans la bande de Gaza, l’espoir est ténu, rapporte le journaliste palestinien Rami Abou Jamous, qui vit et travaille à Deir al-Balah, dans le centre de l’enclave. Certains essaient de croire à l’ouverture de négociations. La plupart professent une forme d’indifférence : « La majorité des gens ne sont ni tristes ni contents de la mort de Sinouar, ils disent : “Nous avons nos enfants, nos maris, nos femmes, nos parents, nous attendions que Sinouar connaisse ce même sort.” Ils espèrent que Nétanyahou n’ait plus de prétexte pour continuer la guerre », raconte-t-il.


Le Hamas ne sera pas abattu par la mort de son chef. Mais il sera difficile à remplacer, et c’est probablement ainsi qu’il faut comprendre le délai – presque vingt-quatre heures – qu’a mis le mouvement pour confirmer sa mort. « Certes, le mouvement possède des institutions et chaque responsable a un adjoint prêt à prendre le relais. Un remplaçant sera donc désigné. Ce n’est pas le premier assassinat d’un responsable et le Hamas s’en est toujours remis, analyse Leila Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherche et d’études politiques de Paris (Carep). Cependant, Yahya Sinouar incarnait une figure d’autorité difficile à remplacer. Il a passé vingt-deux ans en prison, connaissait parfaitement les Israéliens et avait imposé sa vision, mettant la résistance armée au cœur de la stratégie du mouvement, depuis une bonne dizaine d’années. La question est de savoir à quel point il laissera son empreinte. »

Des images qui vont marquer les esprits
Les partisans de Yahya Sinouar le perçoivent comme un combattant jusqu’au dernier souffle. Symboliquement, sa mort peut à peine être revendiquée comme une victoire par les Israéliens. « Il est mort en combattant, aussi il n’y a pas de triomphalisme dans l’opinion israélienne », affirme l’analyste politique israélien Ori Goldberg. La puissance des renseignements israéliens et de son armée, capable de frapper n’importe qui n’importe où n’importe quand, n’a pas été déployée dans le cas de la mort du dirigeant du Hamas. On est loin de la frappe de Téhéran, de l’opération des bipeurs ou de l’assassinat ciblé de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah.
Auprès de ses partisans, Yahya Sinouar va conserver son aura. Et la diffusion par l’armée israélienne de ses derniers moments, filmés par un drone, ne fera que la renforcer, car on le voit dans un immeuble en ruines, seul, lui qu’on prétendait caché au milieu d’otages dans les tunnels. « Pour les Palestiniens qui soutiennent le Hamas ou la résistance militaire à Israël, il est, dans la scène spectaculaire diffusée par les Israéliens, quelqu’un qui a résisté jusqu’au bout », analyse Ziad Majed, spécialiste du Proche et Moyen-Orient et professeur à l’université américaine de Paris.


Il poursuit : « On voit qu’il était blessé, incapable de bouger, immobilisé sur un fauteuil, qu’il tente de résister, et puis il a lancé ce qu’il tenait à la main comme un dernier geste de refus de se rendre et de se plier aux Israéliens. Je parle du symbolisme de son mouvement et de cette scène, qui va marquer les esprits pendant longtemps et s’ajoute à un certain mythe autour de lui, qui a passé vingt-deux ans en prison et un an maintenant dans les combats à Gaza. »


Chargé des relations extérieures du Hamas, Khalil Hayya a déclaré vendredi depuis le Qatar que les otages ne seraient pas libérés sans l’arrêt de la guerre en Palestine et le retrait des forces israéliennes. Natif comme Yahya Sinouar de Khan Younès, dans la bande de Gaza, et partisan lui aussi de la lutte armée au cœur de la stratégie du mouvement, il est aujourd’hui un de ceux dont le nom circule pour prendre la tête du Hamas.
 

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