« Notre résistance ne s’exerce pas par les armes mais par notre détermination à retourner chez nous » : la résilience des déplacés libanais frappés par Israël

Publié le par FSC

Lina Sankari
L'Humanité du 17 octobre 2024

Mona et sa fille Ciléna, née cinq jours avant le début de l’attaque israélienne. © Nicolas Cleuet / Le Pictorium

 

Le Secours populaire libanais organise la solidarité sur tout le territoire pour les déplacés du sud du pays frappés par une guerre dont les méthodes rappellent celles déjà déployées à Gaza. Une solidarité qui illustre les volontés de préserver l’unité nationale que souhaite briser Tel-Aviv.


Sanih a à cœur de montrer à quoi ressemblait son village avant le déluge de bombes. Maisons coquettes, parterres de fleurs, arbres bien alignés. Sur son téléphone, la photo d’après n’est que mort, poussière et destructions. Un paysage gris de désolation. Il y a un an, pressentant le caractère inéluctable de la guerre d’Israël contre le Liban, il accueillait, dans son village de Kfar Roummane, près de Nabatieh, à quelques kilomètres au nord du fleuve Litani, son frère de 70 ans et son épouse qui vivaient alors près de la frontière.


Avant l’ordre d’évacuation totale prononcé le 1er octobre dernier par Tel-Aviv, ces derniers continuaient à faire des allers-retours pour nourrir les animaux abandonnés par les habitants en fuite. Tous deux périront en juillet dans une frappe israélienne, corps ensanglantés et démembrés sur un bord de route, comme l’atteste une vidéo de l’armée libanaise. Son neveu subira le même sort quelques semaines plus tard. « Regardez-les. Voyez-vous des combattants du Hezbollah (le mouvement chiite – NDLR) ou plutôt des civils ? », interroge Sanih, qui préfère ne pas révéler son nom.

1,2 million de déplacés


L’invasion terrestre israélienne déclenchée le 1er octobre, combinée aux bombardements sans distinction, l’oblige à fuir à son tour. « Personne n’a envie de quitter sa terre. Tous les déplacés prétendent au retour. Rien n’est plus important qu’une maison. Notre résistance ne s’exerce pas par les armes mais par notre détermination à retourner chez nous », insiste-t-il. Comme 43 autres membres de son village, il est désormais accueilli dans le centre de soins du Secours populaire libanais (SPL) reconverti en lieu d’accueil à Mrouj, au cœur du mont Liban (nord), une région traditionnellement plus épargnée. Au total, la guerre a fait 1,2 million de déplacés depuis un an.


À quelques dizaines de kilomètres de là, dans le centre pour déplacés de Saoufar, également coordonné par le SPL, un adolescent se faufile sous la tenture jaune tirée entre deux murs, un semblant d’intimité pour ces familles qui ont quitté leur maison dans la précipitation. Capuche à fourrure sur la tête, il semble déjà frigorifié, malgré les températures encore clémentes à la mi-octobre.

« L’hiver est très froid ici. Si la guerre dure et si le volume d’aide n’augmente pas, je ne pense pas que nous serons en capacité de tenir. Les besoins en fioul, en couvertures et en produits alimentaires sont énormes », plaide une bénévole, qui souhaite garder l’anonymat. Elle constate que la solidarité internationale s’est considérablement étiolée si l’on compare aux dons reçus après la double explosion du port de Beyrouth, en 2020.

Silence sur le sort des Libanais


Autre crainte, celle d’une apparition d’épidémies liées à la précarité des conditions d’accueil. La crise économique et sociale que traverse le Liban depuis 2019 ne suffit pas à expliquer les difficultés. « Demandez plutôt aux donateurs étrangers pourquoi ils nous tournent le dos », glisse la volontaire, suggérant que certains pays soutiendraient implicitement les buts de guerre israéliens. Quitte à fermer les yeux sur le sort des Libanais.


Tous les déplacés du sud font preuve d’une résilience inouïe. « Les plus anciens ont connu cinq guerres contre Israël. J’ai dû abandonner mon cursus d’anglais, mais l’université met en place des cours en ligne comme pendant le Covid. Le plus important est d’étudier où que l’on soit », relativise Mariam, bonnet orange vissé sur la tête. L’étudiante de 21 ans, fan de Charlie Chaplin, refuse de voir l’avenir s’arrêter sous les bombes.


À 68 ans, Nassib connaît bien le centre de Saoufar pour y avoir été déjà accueilli lors de la guerre de 2006. Chapelet à la main qu’il égrène sans fin, il se veut optimiste : « En 2006, c’était une promenade à côté de ce que l’on vit aujourd’hui. Les bombardements se concentraient sur le sud. Aujourd’hui, nous traversons le pays mais sommes de nouveau exposés à la mort à Beyrouth et dans sa banlieue sud. Il faut donc se déplacer encore plus au nord pour trouver la quiétude. » Malgré les difficultés, il l’assure : « Une solution politique qui nous permettra de revenir durablement chez nous finira par émerger. » Pour l’heure, Israël tente de créer la division entre les communautés en s’attaquant à toutes les zones où se trouvent ces réfugiés libanais, y compris dans les villages non chiites.


Ayman, bénévole au centre d’aide du quartier de Mar Elias à Beyrouth, où les volontaires s’affairent avant la distribution de l’aide alimentaire, pense devoir faire face à un nouvel exode dans les semaines qui viennent si les troupes israéliennes, pour l’instant contenues, parvenaient à avancer. « Le droit d’Israël à se défendre revient à bombarder des civils et des enfants innocents », s’insurge-t-il. Avant de conclure : « Comme à Gaza, nos secouristes sont visés. Cette terreur relève du crime de guerre. Mais le Liban finira par se relever et les déplacés par rentrer. »

 

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