« Nous ne disposons pas assez de médicaments pour couvrir les besoins » : Hassan Issa, un héros ordinaire à Beyrouth
Lina Sankari
L'Humanité du 17 octobre 2024
Hassan Issa, ambulancier du Secours Populaire Libanais, militant de L’Union de la Jeunesse Démocratique Libanais © Nicolas Cleuet; |
La guerre lancée par Israël en 2006 a poussé l’ambulancier, alors âgé de 16 ans, à s’engager auprès du Secours populaire libanais. En septembre, il a délaissé son métier d’ingénieur pour devenir ambulancier, et ainsi venir en aide à la population.
Derrière un physique qui semble taillé au couteau, Hassan Issa tient presque du philosophe aristotélicien. Il manie le juste milieu. Lorsqu’on lui demande quelles ressources il puise en lui afin de se rendre sur les zones bombardées de Beyrouth, il hausse les épaules en souriant. Ni téméraire ni pusillanime, il agit.
Pourtant, Hassan n’a pas toujours été ambulancier. Formé sur le tas par la force de la guerre lancée par Israël contre le Liban depuis le 23 septembre, l’homme de 31 ans a mis de côté son métier d’ingénieur informatique pour se porter au secours des blessés au nom de la défense civile.
Pas de tri religieux
« C’est juste pour aider les gens. C’est normal, je suis communiste », lâche-t-il un brin désarçonnant dans un Liban qu’on ne présente plus que tiraillé entre ses 18 confessions. C’est également à ce jeu que joue le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lorsqu’il appelle, le 10 octobre, les Libanais à s’entretuer et à saisir « l’opportunité » du tapis de bombes qui s’abat sur eux pour en finir avec le Hezbollah, donc avec la résistance à Israël : « Chrétiens, druzes, musulmans sunnites ou chiites… vous êtes à la croisée des chemins », leur dit-il alors.
Au cœur du centre du Secours populaire national du quartier de Mar Elias, on ne trie pas les victimes en fonction de leur religion. Les bénévoles s’affairent, préparent des sandwichs pour la distribution du soir aux déplacés ; Hassan Issa est comme un poisson dans l’eau. Engagé dans l’association de solidarité depuis la guerre israélo-libanaise de 2006, alors âgé de 16 ans à peine, le secouriste n’a aucun mal à déceler ce qui dissocie ce conflit du précédent.
« C’est bien plus compliqué qu’il y a dix-huit ans. Pas seulement à cause des bombardements sans distinction, mais aussi du fait des moindres moyens dont nous disposons pour déployer l’aide. Le Liban est en crise perpétuelle », explique celui qui ne se départit jamais de son large sourire, citant, dans un inventaire à la Prévert, la crise économique de 2019 qui a engendré une extrême pauvreté, la chute de plus de 90 % de la valeur de la livre face au dollar, la spoliation des économies des habitants par les banques nationales et la double explosion du port de Beyrouth qui a porté préjudice à de nombreux travailleurs.
« Les dons se sont réduits et l’absence de gouvernement depuis deux ans n’aide pas à la coordination optimale, surtout sans eau et sans électricité », relève-t-il. Le quasi-effondrement des institutions libanaises a fait le reste. « C’est le Liban, c’est son histoire depuis 1982 (date de la première invasion israélienne – NDLR) », résume-t-il, stoïque.
La santé mentale affectée
Depuis le bombardement du centre du Secours populaire, situé dans la banlieue sud, les bénévoles redoublent de vigilance. Selon le Bureau des droits de l’homme des Nations unies, plus de 100 médecins et secouristes ont été tués au Liban depuis octobre 2023. Plusieurs rapports font état de frappes aériennes visant les centres médicaux et les pompiers qui se rendent sur les lieux des bombardements.
« À quel agenda cela répond-il, si ce n’est d’en finir avec tout ce qui fonctionne encore au Liban ? » interroge Jad Dib, le responsable du centre de Mar Elias, aux côtés d’Hassan Issa. En droit international, la terreur et le ciblage exercés sur le personnel de santé relèvent du crime de guerre.
Autre conséquence du conflit, la dégradation de la santé mentale. Un quart des Libanais souffraient déjà de problèmes liés à l’anxiété et à la dépression avant 2019. « C’est particulièrement flagrant chez les jeunes. Nous ne disposons pas assez de médicaments pour couvrir les besoins et cela nous oblige à envisager notre travail différemment lorsque nous sommes en mission », détaille Hassan Issa.
Il y a deux jours, ses équipes ont ainsi trouvé deux sœurs de 15 et 16 ans complètement mutiques, qui refusaient de s’alimenter et de se laver après la perte de quatre membres de leur famille dans une frappe israélienne. « L’idée qu’elles avaient échappé à la mort leur était insupportable », relate Hassan. Comme d’autres, il s’accorde à penser qu’aucun lieu n’est sûr au Liban. Une guerre sale où se déploie un schéma déjà connu à quelques centaines de kilomètres de là, dans la bande de Gaza.