Objectif de guerre de Netanyahou : Annexer l'ensemble des territoires palestiniens au prix du génocide de ses habitants
Pierre Barbancey et Luis Reygada
L'Humanité du 29 octobre 2024
Le 14 octobre 2024, des soignants de l'UNRWA administrent des vaccins de Polio aux enfants palestiniens, dans la clinique de Deir-al-Balah, au centre de la bande de Gaza.© Omar Ashtawy / APA/SIPA |
Le vote par la Knesset de l’interdiction de l’agence des Nations unies d’aide aux Palestiniens a provoqué un tollé. Pourtant, cette décision annoncée s’inscrit dans une logique : éradiquer toute possibilité d’un État et supprimer la notion de réfugié.
Les mises en garde, il y a près de trois semaines, de l’ONU et des membres de son Conseil de sécurité – y compris, fait rare, les États-Unis – n’y auront rien changé. La Knesset a adopté, ce lundi 28 octobre, à une écrasante majorité deux textes interdisant les activités en Israël de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), et prohibant aux responsables israéliens de travailler avec elle, les seuls à s’y opposer étant les députés communistes et arabes.
Déjà dans le viseur des autorités israéliennes depuis des décennies, l’organisme a vu les coups se multiplier depuis les attaques du 7 octobre 2023. Tel-Aviv avait notamment accusé plusieurs de ses employés d’avoir participé à l’attaque meurtrière ; des allégations mises à mal par une enquête conduite par Catherine Colonna, l’ancienne cheffe de la diplomatie française mandatée par les Nations unies.
Ce qui n’avait pas empêché le Parlement israélien de qualifier, en juillet, l’agence onusienne d’« organisation terroriste ». Des pressions couplées aux intimidations, voire aux attaques directes : près de 200 membres de ses équipes ont déjà perdu la vie à Gaza.
Vers un effondrement des opérations humanitaires ?
« Des hauts responsables israéliens ont décrit la destruction de l’UNRWA comme un objectif de guerre », dénonçait il y a peu son commissaire général, Philippe Lazzarini, tout en prévenant des « graves conséquences » qu’impliquerait la mise au ban de l’agence qu’il dirige : toute la réponse humanitaire à Gaza pourrait tout bonnement « se désintégrer », avisait-il.
Principal pilier de l’aide humanitaire internationale à Gaza et en Cisjordanie, l’UNRWA emploie 30 000 personnes (pour la plupart palestiniennes) et vient en aide à plus de cinq millions de réfugiés palestiniens, dont beaucoup se trouvent aussi au Liban, en Jordanie et en Syrie.
Si l’UNRWA avait l’habitude d’assurer – depuis 1949 – des services de base (éducation, logement, accès à la santé), les opérations militaires lancées le 8 octobre dernier dans l’enclave palestinienne par Israël et le déplacement de 1,9 million de Gazaouis l’ont transformée à 100 % en agence humanitaire.
Alors que la bande de Gaza est soumise à la pire crise humanitaire de son histoire, sa mission principale est maintenant de trouver des abris, distribuer de la nourriture et de l’eau aux populations affectées par la politique génocidaire du gouvernement d’extrême droite de Netanyahou. Sa prohibition pourrait provoquer ni plus ni moins que l’effondrement des opérations humanitaires sur place.
Une « punition collective », pour Philippe Lazzarini, qui ne ferait « qu’aggraver les souffrances des Palestiniens, en particulier à Gaza, où les gens vivent un véritable enfer depuis plus d’un an ». Selon lui, plus de 650 000 enfants se verraient privés d’éducation, « mettant en danger une génération entière ».
De son côté, le chef de l’ONU, Antonio Guterres, a critiqué sur X de probables « conséquences dévastatrices pour les réfugiés palestiniens », tout en rappelant Israël aux obligations qui lui incombent « en vertu de la charte de l’ONU et du droit international ». « Il n’y a pas d’autre solution que l’UNRWA », a conclu le secrétaire général.
Quelles sont les motivations politiques du gouvernement israélien ?
S’il y a une chose que l’on ne peut pas reprocher à Bezalel Smotrich, c’est bien sa franchise. L’actuel ministre des Finances et proconsul des territoires occupés n’a de cesse d’annoncer la couleur. C’est en mettant bout à bout ses déclarations que l’on comprend la philosophie de chaque décision prise par l’exécutif dirigé par Benyamin Netanyahou et ses relais au sein de la Knesset.
Considérer qu’en rendant l’UNRWA illégale, le régime israélien ne s’attaque « que » aux réfugiés palestiniens, c’est s’arrêter en chemin. Le réfugié est, par essence, la représentation même de la présence palestinienne en 1948 et, évidemment, avant. Ce qui ne coïncide pas avec la fable sioniste popularisée par l’ancienne première ministre Golda Meir, d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ».
Bezalel Smotrich et son acolyte Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale (sic), n’osaient pas en rêver, Netanyahou l’a fait. Ils se retrouvent dans une situation exceptionnelle : ce qui s’apparente à un génocide à Gaza et un nettoyage ethnique en Cisjordanie, sans que quiconque – et surtout pas les États-Unis – n’arrête le massacre. Écarter l’UNRWA, c’est débarrasser les territoires de toute présence internationale.
Celui qui, au mois d’août, affirmait qu’il pourrait « être justifié et moral » d’ « affamer » la population civile de Gaza pour faciliter la libération des otages, s’est encore répandu, hier. Smotrich a recommandé de remplacer l’idée d’une solution à deux États par « une déclaration sans ambiguïté de la part d’Israël, faite aux Arabes et au monde entier : celle qu’un État palestinien ne sera jamais établi ». Cette déclaration symbolique, a-t-il affirmé, se fera « par le biais de l’établissement de nouvelles villes et de nouvelles colonies dans les profondeurs de la Cisjordanie ».
Quelle est la signification d’une telle décision s’agissant de Gaza ?
Le vote de la Knesset montre que la question de Gaza n’est pas dissociée de celle de la Cisjordanie ni de Jérusalem-Est. Pour le gouvernement israélien, le but ultime est l’annexion de l’ensemble des territoires palestiniens. Il profite ainsi de l’opportunité créée par la volonté des États-Unis de modifier le Moyen-Orient et en faire un archipel d’États dévoués aux intérêts américains.
Mais, s’agissant du « jour d’après » de la guerre à Gaza, les dirigeants américains et israéliens ne sont pas tout à fait sur la même longueur d’onde. Ils partagent une idée : le Hamas ne doit pas revenir aux commandes de l’enclave palestinienne. Joe Biden (mais on ne sait ce que fera Trump s’il est élu) se prononce pour une administration de Gaza par une Autorité palestinienne « renouvelée », comprendre en phase avec les volontés états-uniennes.
Benyamin Netanyahou, au contraire, entend maintenir des troupes dans la bande de Gaza (pas nécessairement des colonies) et mettre en place dans chaque microrégion, un point d’appui local : homme fort, famille ou clan. C’est dans ce sens que Bezalel Smotrich avait déjà laissé entendre qu’une gouvernance locale autonome et limitée pouvait être confiée aux Palestiniens si elle était « exempte de toute aspiration nationaliste ».
Et de souligner : « Ceux qui ne veulent pas – ou qui ne sont pas capables – de renoncer à leurs ambitions nationalistes recevront une aide de notre part pour émigrer dans l’un des nombreux pays arabes où les Arabes peuvent réaliser ce type d’ambition, ou pour émigrer dans n’importe quel autre pays du monde. »
Réactions internationales
D’ici là, l’interdiction votée par la Knesset a provoqué un véritable tollé international. Au-delà de l’ONU et de la présidence palestinienne qui y a vu la confirmation de « la transformation d’Israël en un État fasciste », plusieurs capitales européennes (Bruxelles, Oslo, Ljubljana, Madrid…) ont dénoncé « un précédent très grave pour le travail des Nations unies et de toutes les organisations du système multilatéral ».
Dès samedi 26 octobre, les ministres des Affaires étrangères du Canada, de l’Australie, de la France, de l’Allemagne, du Japon, de la Corée du Sud et du Royaume-Uni avaient publié une déclaration commune exprimant leurs inquiétudes. Mardi 29 octobre, le Quai d’Orsay a déploré « très vivement » le vote des parlementaires israéliens et « réaffirmé son soutien à l’UNRWA ». Tout en exprimant sa volonté de continuer « de veiller à ce que soient mises en œuvre les réformes nécessaires à la neutralité de son action ».
Une façon de laisser entendre que les justifications d’Israël ne sont pas tout à fait infondées ? Pour sa part, le premier ministre irlandais, Simon Harris, a appelé sans équivoque, l’Union européenne à « revoir ses relations commerciales » avec Israël après le vote qu’il a qualifié de « méprisable, déshonorant et honteux ».
Quant aux États-Unis, ni leur président ni leur secrétaire d’État ne s’étaient exprimés à l’heure où nous écrivons ces lignes. Avant le vote, Washington s’était déclaré « très préoccupé » et avait exhorté le gouvernement de Netanyahou à ne pas approuver les textes. À une semaine de l’élection présidentielle, alors qu’il manie le double discours depuis des mois, Joe Biden, lui, a lié son soutien militaire à l’acheminement de l’aide humanitaire vers Gaza.
Comment réagir lorsque son protégé entend maintenant détruire l’action de l’UNRWA ? Par ailleurs, si le républicain Donald Trump n’avait pas hésité à couper les vivres de l’agence, en 2018, il avait aussi remis en cause le fait que le statut de réfugié se transmette de génération en génération, confortant les velléités des Israéliens. Une politique poursuivie par Joe Biden…