Pourquoi l'extension de la guerre est la meilleure garantie de la survie politique de Benyamin Netanyahou

Publié le par FSC

Rosa Moussaoui
L'Humanité du 01 octobre 2024

 

Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, le 2 septembre 2024 explique sur une chaîne de télévision nationale comment le « Hamas a importé des armes depuis le retrait israélien de la bande de Gaza ». © Ohad Zwigenberg/UPI/ABACAPRESS

Depuis 1996, l’actuel premier ministre israélien a passé, au total, dix-huit années à la tête du gouvernement israélien, dont douze consécutives – un record de longévité à ce poste. Il a méthodiquement démoli tout espoir de paix. L’extension de la guerre est aujourd’hui la meilleure garantie de sa survie politique.


Il se meut dans le mensonge avec une aisance stupéfiante. Au point que la vraisemblance de ses boniments ne lui importe guère. Le 26 octobre 2006, dans une interview à Yediot Aharonot, Benyamin Netanyahou assurait avec aplomb garder d’intacts souvenirs des patrouilles des soldats anglais à Jérusalem, en Palestine mandataire. Chose impossible : il est né le 21 octobre 1949. Soit après le retrait des troupes britanniques. Gêné, son porte-parole, Ofir Akounis, avait alors plaidé le « travestissement » de ses propos.


À la tribune des Nations unies, le 27 septembre dernier, il assurait vouloir « rétablir la vérité » en surplombant une enceinte presque déserte, après le départ des délégations ulcérées par l’arbitraire de sa guerre d’anéantissement à Gaza et par son mépris revendiqué du droit international.
Benyamin Netanyahou avait fait le voyage depuis Tel-Aviv pour livrer un discours martial, promettant la destruction à « l’arc malfaisant » des « ennemis sauvages » d’Israël et à sa clé de voûte : l’Iran. « Il n’y a pas de lieu – il n’y a pas de lieu en Iran – que le bras d’Israël ne soit en mesure d’atteindre. Et cela vaut pour l’ensemble du Moyen-Orient ! » menaçait-il.

Benyamin Netanyahou est chez lui aux États-Unis, un pays dont il a la nationalité


Le soir même, son entourage diffusait une photo du premier ministre israélien dans sa chambre d’hôtel, téléphone à la main. Mise en scène de l’instant où Benyamin Netanyahou aurait donné l’ordre de bombarder le bunker abritant le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans une zone résidentielle densément peuplée de la banlieue sud de Beyrouth.


La posture d’un impitoyable chef de guerre pour ce politicien empêtré jusqu’au cou, voilà encore un an, dans les poursuites en justice engagées contre lui pour fraude, abus de confiance et corruption. Son départ de New York, ce soir-là, a été retardé de quelques heures. En raison d’un dysfonctionnement sur l’appareil qui devait le ramener en Israël, ont d’abord indiqué ses services aux journalistes.


En fait, Benyamin Netanyahou assistait avec son épouse à un dîner chic donné en son honneur par le milliardaire Simon Falic, propriétaire de la chaîne de magasins Duty Free Americas. Généreux donateur de l’extrême droite israélienne, des colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, des messianistes qui militent pour l’établissement d’un troisième temple sur l’esplanade des Mosquées, Falic est aussi… le principal financeur des campagnes électorales du chef du Likoud.


« Étant donné l’attaque réussie contre le siège du Hezbollah plus tôt dans la journée, c’était évidemment une nuit historique. Nous ne savions pas alors si le monstre terroriste Nasrallah était encore en vie ou en train de rôtir en enfer. Nous ne l’avons découvert que quelques heures plus tard », a raconté le lendemain l’un des convives, le rabbin ultraorthodoxe Shmuley Boteach, figure très controversée du judaïsme américain.
Par-delà les amitiés qu’il y cultive, le chef du gouvernement israélien est chez lui aux États-Unis, un pays où il a longtemps vécu et dont il a la nationalité ; il connaît parfaitement les codes de la politique à Washington. Le 24 juillet, devant le Congrès américain, qu’il exhortait à débloquer une nouvelle aide militaire, il s’est offert une ovation – il faut dire que cette séance avait été boycottée par une soixantaine d’élus démocrates, dont l’ancienne « speaker » Nancy Pelosi et la candidate à la Maison-Blanche, Kamala Harris.

Icône globale des droites les plus radicales


« Pour que les forces de la civilisation triomphent, l’Amérique et Israël doivent rester unis (…). Au Moyen-Orient, (…) il ne s’agit pas d’un choc de civilisations, mais d’un choc entre la barbarie et la civilisation ! » avait-il lancé, lui qui prêche depuis quarante ans « la guerre contre le terrorisme », une rhétorique qui s’est imposée dans l’ensemble du monde occidental pour justifier les interventions armées les plus arbitraires, aux issues les plus calamiteuses. Dans ce climat idéologique, Benyamin Netanyahou fait figure d’icône globale des droites les plus radicales et de héros des néoconservateurs américains.


Lui-même a grandi dans l’atmosphère réactionnaire et ultraconservatrice du sérail révisionniste : en 1962, alors qu’il n’avait que 13 ans, son père, l’historien nationaliste Ben-Zion Netanyahou, a fui le « socialisme » israélien en s’exilant avec sa famille aux États-Unis. Ce spécialiste de l’Inquisition en Espagne a élevé ses fils dans la fidélité aux idées de son mentor, Vladimir Jabotinsky, le fondateur du courant sioniste révisionniste, partisan de la création d’un État juif sur les deux rives du Jourdain par le moyen de la « colonisation de masse ». Un admirateur de Mussolini que David Ben Gourion n’hésitait pas à surnommer « Vladimir Hitler ».


L’historien et journaliste Dominique Vidal, spécialiste du Proche-Orient, souligne la parenté politique entre le sionisme révisionniste et les fascismes européens de la première moitié du XXe siècle. « Les militants du mouvement portent volontiers la chemise brune, célèbrent le culte du chef et se comportent en armée disciplinée. Chez eux, la violence est une seconde nature : contre les grévistes ou les meetings juifs de gauche, ils font le coup de poing ; contre les militants nationalistes arabes, ils tirent des coups de fusil. Et lorsque les Palestiniens déclenchent leur grande révolte, en 1936, les révisionnistes, avec leur milice, la Haganah-B, aident les troupes britanniques à la réprimer dans le sang », rappelle-t-il1.


Au mitan des années 1920, Jabotinsky appelait à étendre la colonisation « au mépris de la volonté de la population indigène » en érigeant « un mur d’acier que la population indigène ne puisse percer ». Depuis 1996, Benyamin Netanyahou a passé, au total, dix-huit années à la tête du gouvernement israélien, dont douze consécutives – un record de longévité à ce poste. Sous ses mandats, le développement des colonies a connu une accélération sans précédent. On y recensait, en 2020, plus de 705 000 habitants, dont environ 440 000 en Cisjordanie, plus de 230 000 à Jérusalem-Est et dans sa périphérie, et 35 000 sur le plateau du Golan syrien occupé.

Une stratégie méthodique de la démolition de tout espoir de paix


Le 7 octobre 2023, c’est le mur d’acier enserrant la bande de Gaza qui s’est fissuré, au prix de la mort de centaines de civils israéliens. Le déluge de bombes qui s’est aussitôt abattu sur les populations de l’enclave palestinienne, sous blocus depuis 2007, a couvert en Israël les voix exigeant des comptes sur la responsabilité de Benyamin Netanyahou et des fanatiques qui forment son gouvernement.
Le premier ministre israélien avait lui-même affirmé, en mars 2019, devant le groupe Likoud à la Knesset : « Quiconque veut empêcher l’établissement d’un État palestinien doit renforcer le soutien au Hamas et lui transférer de l’argent. C’est une partie de notre stratégie. »


Une stratégie méthodique, celle de la démolition de tout espoir de paix, grâce à laquelle Netanyahou s’est hissé au pouvoir, et par laquelle il s’y accroche aujourd’hui. Il se trouvait place Zion, dans le centre de Jérusalem, à l’automne 1995, au milieu des opposants à Yitzhak Rabin brûlant son effigie et celle de Yasser Arafat aux cris de « Mort aux Arabes » ! D’un balcon, il haranguait la foule, vouant Rabin aux gémonies, le désignant comme un « traître ».
Quelques semaines plus tard, le premier ministre israélien était abattu de deux balles dans le dos par un extrémiste juif. Au terme d’une campagne électorale émaillée par les attentats-suicides du Hamas, Benyamin Netanyahou l’emportait de justesse, pour devenir le plus jeune chef de gouvernement de l’histoire d’Israël.

De solides alliances avec les extrêmes droites dans le monde


Depuis lors, il a enterré le processus d’Oslo, avancé patiemment ses pions sur l’échiquier du « Grand Moyen-Orient » que veulent façonner les États-Unis. Il a noué, sur la base d’une haine commune des Arabes et des musulmans, de solides alliances avec les extrêmes droites dans le monde, absoutes de leur antisémitisme historique en contrepartie d’un soutien inconditionnel à la politique d’occupation et de colonisation des territoires palestiniens.


Avec les accords d’Abraham, il espérait reléguer la question palestinienne au rang d’affaire sécuritaire sous contrôle, en offrant aux pays arabes des coopérations économiques et technologiques en contrepartie de la normalisation de leurs relations diplomatiques. En interne, il s’est appuyé sur les messianistes les plus exaltés pour « fermer un à un tous les espaces démocratiques, dans un processus de fascisation du pouvoir en Israël », résume Efraim Davidi, professeur d’histoire à l’université de Tel-Aviv.


Les braises des protestations de masse contre sa réforme judiciaire, qui ont failli le faire chuter avant le 7 octobre, ne sont pas complètement éteintes. L’abandon des otages du Hamas toujours captifs à Gaza nourrit une colère sourde. L’extension régionale de la guerre obéit à la logique de confrontation qui oppose Washington à Téhéran. Elle est aussi, pour Benyamin Netanyahou, criminel de guerre que guette la possible délivrance de mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale, la meilleure garantie de sa survie politique.


(1) - Aux origines de la pensée de M. Nétanyahou, par Dominique Vidal (Le Monde diplomatique, novembre 1996)

 

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