Pourquoi la mort de Yahya Sinouar n’ouvre pas de perspectives de paix ?
Pierre Barbancey
L'Humanité du 20 octobre 2024
Beit Lahia, une ville située près de Jabaliya et de Beit Hanoun a été la cible de nouvelles attaques, samedi 19 octobre, faisant 87 morts selon le ministère gazaoui de la Santé. © Islam AHMED / AFP |
Tel-Aviv refuse tout cessez-le-feu et poursuit son nettoyage ethnique en vue d’une annexion. Les États-Unis profitent de l’occasion pour remettre sur la table la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël.
La mort du leader du Hamas, Yahya Sinouar, va-t-elle permettre un cessez-le-feu dans la bande de Gaza et au Liban ? À l’évidence, la réponse est négative malgré les déclarations de plusieurs dirigeants occidentaux, à commencer par Joe Biden, qui s’est écrié : « Il y a maintenant la possibilité d’un « jour d’après » à Gaza sans le Hamas au pouvoir et d’un règlement politique qui offre un meilleur avenir aux Israéliens et aux Palestiniens. »
Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, lui, a été on ne peut plus clair. « Cela ne veut pas dire la fin de la guerre à Gaza, mais le début de la fin. » Dans un message vidéo, il a également pris soin de s’adresser aux familles des Israéliens toujours retenus dans le territoire palestinien.
« Ceci est un moment important de la guerre. Nous continuerons d’exercer pleinement la force jusqu’à ce que tous vos êtres chers reviennent à la maison », a-t-il expliqué. Samedi 19 octobre, des avions israéliens ont largué des tracts au-dessus du sud de Gaza sur lesquels était imprimée une photo de Sinouar accompagnée du message suivant : « Le Hamas ne gouvernera plus Gaza. »
« Manque d’aide humanitaire »
Plus au nord, ce ne sont pas des morceaux de papier que l’aviation a lancés, mais des missiles, frappant une population civile déjà terriblement visée. Le camp de Jabaliya a été encerclé et 33 personnes ont été tuées samedi. Depuis la veille, environ 20 000 Palestiniens ont fui les lieux malgré les bombardements incessants, selon l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens.
Paltel, le plus grand fournisseur de télécommunications à Gaza, a averti que le service Internet était complètement hors service dans le nord du territoire. C’est d’ailleurs Beit Lahia, une ville située près de Jabaliya et de Beit Hanoun – les trois villes ont été gravement touchées depuis un an par l’offensive israélienne –, qui a été la cible de nouvelles attaques, samedi soir, faisant 87 morts selon le ministère gazaoui de la Santé. « Cela fait suite à des semaines d’opérations intensifiées qui ont entraîné de nombreux décès de civils et un manque presque total d’aide humanitaire pour les populations du nord », a dénoncé Tor Wennesland, le coordonnateur de l’ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient.
Au Liban, la situation ne cesse de se dégrader. Beyrouth, qui avait connu quelques jours d’accalmie, a de nouveau été touché, samedi et dimanche, par un raid aérien sur sa banlieue sud. Là même où le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a été tué le 27 septembre.
Dans le sud, l’armée israélienne ne parvient toujours pas à avancer, rencontrant une résistance de la part des combattants du mouvement chiite. Une série de drones a également été envoyée en Israël, en particulier sur la ville de Cesarée, où se trouve la résidence de Netanyahou. C’est aussi la preuve que, si l’organisation a été affaiblie ces dernières semaines, elle n’en a pas moins retrouvé une bonne partie de ses capacités, montrant ainsi que la stratégie israélienne d’élimination pour éradiquer le Hezbollah a échoué.
Il en est de même avec le Hamas. Certes, la mort de Sinouar est un coup dur pour l’organisation palestinienne, mais les combats ne sont pas terminés et un nouveau chef pourrait être rapidement nommé. Le nom de Khaled Mechaal, qui avait déjà occupé le poste juste avant Ismaïl Haniyeh, est souvent évoqué.
Zone militaire fermée
Malgré les déclarations de l’administration américaine, celle-ci ne fera pas pression sur Netanyahou pour arrêter la guerre. Le but de ce dernier est maintenant clair. Il s’agit de procéder à un nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza en vue d’une annexion, et non plus simplement d’une recolonisation du territoire palestinien. D’où l’importance de faire partir les populations.
Le plan proposé à Netanyahou et au Parlement israélien par un groupe de généraux à la retraite intensifierait les pressions, donnant aux Palestiniens une semaine pour quitter le tiers nord de la bande de Gaza, y compris la ville de Gaza, avant de la déclarer zone militaire fermée. Ceux qui restent seraient considérés comme des combattants – ce qui signifie que les règlements militaires autoriseraient les troupes à les tuer – et on leur refuserait de la nourriture, de l’eau, des médicaments et du carburant, selon une copie du plan donnée à Associated Press.
Comme le rappelle le site New Arab, selon des documents israéliens classifiés qui ont été divulgués, l’objectif stratégique ultime était d’expulser tous les résidents de Gaza vers la péninsule du Sinaï en Égypte, mais la résilience palestinienne, associée à la position ferme de l’Égypte contre un tel transfert, a contrecarré cette volonté. Israël n’a cependant pas abandonné son objectif principal ; il se concentre simplement, pour l’instant, sur le dépeuplement du nord.
Donner les clés de la reconstruction de Gaza à l’Arabie saoudite
De son côté, l’administration américaine poursuit, elle aussi, ses propres objectifs, alimentés en réalité par les guerres de Netanyahou, visant à remodeler le Moyen-Orient. Mais, à quelque deux semaines de l’élection présidentielle, les démocrates au pouvoir tentent de donner le change afin de ne pas perdre une frange de l’électorat attachée aux droits des Palestiniens et à la paix.
Le secrétaire d’État, Antony Blinken, et le chef du Pentagone, Lloyd Austin, ont envoyé une lettre au ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, demandant à Tel Aviv d’assouplir l’interdiction d’entrée dans le nord de la bande de Gaza des denrées alimentaires et autres matériaux vitaux, afin qu’il n’y ait pas d’« implications » pour l’acheminement rapide d’armes massives des États-Unis vers Israël.
En réalité, cette missive indique surtout que Washington ne veut pas se trouver impliqué dans un plan de purification ethnique aussi déclaré que le plan des généraux israéliens. Et, pour Washington, il convient surtout d’utiliser l’opportunité de la mort de Yahya Sinouar pour reprendre les discussions en vue de la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite.
« Est-ce que je me soucie personnellement de la question palestinienne ? Non, mais mon peuple, oui », aurait déclaré Mohammed ben Salmane, le prince héritier saoudien à Antony Blinken en janvier 2024, selon The Atlantic. L’idée maintenant étant de donner les clés de la reconstruction de Gaza à l’Arabie saoudite dans le cadre d’une vague entité baptisée Palestine. Si on ne sait très bien qui serait aux commandes, en revanche, on sait au profit de qui.