Au Liban, après le cessez-le-feu, le retour des déplacés prend l’allure d’un triomphe
Paul Khalifeh
L'Humanité du 27 novembre 2024
À peine le cessez-le-feu entré en vigueur, des centaines de milliers de chiites ont pris le chemin de leurs villes et village dans le sud du pays, malgré les mises en garde israéliennes.
« Je vous remercie pour votre hospitalité, nous rentrons chez nous à Bourj Chemali, près de Tyr (sud de Beyrouth). Ma maison est démolie, on s’installera chez un de mes frères. » Abou Mohammad fait ses adieux à ses hôtes, qui l’accueillaient avec sa famille depuis début octobre dans un village de la région de Jbeil, au Mont-Liban.
Le sexagénaire ne veut rien entendre. Ni appels à la prudence, ni conseils de patience. Comme des dizaines de milliers de familles déplacées, il a décidé de rentrer chez lui, mercredi au petit matin, juste après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu avec Israël.
Des embouteillages monstres
Les déplacés n’ont pas attendu le retrait des troupes israéliennes, ni écouté les conseils de l’armée libanaise leur demandant de ne pas se rendre dans leur village. Alors que l’odeur de la poudre et du brûlé ne s’est pas encore dissipée après une nuit de folie meurtrière, des milliers de voitures se sont dirigées vers le sud du Liban, la plaine de la Bekaa, et la banlieue sud de Beyrouth, dans un temps pluvieux et froid.
Des embouteillages monstres se sont formés. Les déplacés, en majorité de confession chiite, ont été encouragés par le président du Parlement, Nabih Berri, principal artisan du cessez-le-feu, au nom du Hezbollah, par l’intermédiaire des États-Unis. « Rentrez dans vos villages, même si vous devez vivre sur un tas de ruines, retrouvez vos figuiers et oliviers. Retournez fiers dans vos villages, parce qu’ils ont défait l’ennemi », a-t-il lancé mercredi matin.
Au fil des heures, cette « grande marche » prend l’allure d’un triomphe. Malgré les larmes, la perte d’un proche et les énormes destructions, la foule a l’air joyeuse. Les occupants des voitures et des camionnettes font le V de la victoire en brandissant des drapeaux du Hezbollah et des portraits du chef historique du parti, Hassan Nasrallah, assassiné le 27 septembre.
Toute la journée, le flot de véhicules se dirigeant vers le Sud et la Bekaa ne tarit pas. Les mises en garde de l’armée israélienne aux habitants des villages limitrophes de la frontière n’y font rien. Certains postent des vidéos de la localité de Kfar Kila, adossée à la clôture frontalière, près de la célèbre porte de Fatima. Les images, saisissantes, dévoilent un véritable paysage lunaire avec des quartiers transformés en tas de gravats.
L’armée israélienne continue de bombarder
Même spectacle à Khyam, grande bourgade stratégique surplombant le Doigt de Galilée qui a résisté pendant deux mois. Pour essayer d’enrayer ce flot incontrôlé, l’armée israélienne a tiré des obus d’artillerie vers Kfar Kila. Deux chars ont même retraversé la porte de Fatima et se sont dirigés vers la localité. À Khyam, des soldats israéliens ont ouvert le feu sur un groupe de journalistes, blessant un photographe de l’agence Associated Press, Mohammad Zaatari, et un reporter de l’agence russe Sputnik, Abdel Qader Al Bai.
Des habitants rentrés chez eux après le cessez-le-feu ont retrouvé des lettres laissées sur place par des combattants du Hezbollah. Dans certaines notes, signées par « les hommes de Dieu », les combattants s’excusent d’avoir utilisé des habitations civiles « pour manger et dormir », lors des combats avec l’armée israélienne.
Dans la banlieue sud de Beyrouth, durement touchée et désertée par ses habitants, les rues grouillent de monde. Des drapeaux du Hezbollah flottent au vent et des portraits d’Hassan Nasrallah trônent sur les décombres des immeubles. Des bulldozers du ministère des Travaux publics ont commencé dès les premières heures du jour à dégager les routes bloquées par des montagnes de gravats.
« Notre retour sur nos terres et dans nos maisons est la première manifestation de notre victoire sur l’ennemi israélien ! lance Mohammad, un adolescent d’une quinzaine d’années. Le grand moment sera lorsque nous enterrerons le sayyed. » La dépouille d’Hassan Nasrallah a été provisoirement enterrée dans un lieu secret, en attendant l’organisation de funérailles grandioses. Ce sera une occasion, pour le Hezbollah, de montrer que sa base populaire ne l’a pas abandonné malgré les pertes et les destructions.