De la dignité des Palestiniens et de la lucidité de Zeev Sternhell  

Publié le par FSC

De la part d'Anne SING

à partir d'une liste de diffusion de l'enseignement supérieur

L’Humanité, chronique de Pierre Serna, 15 novembre 2024

 

Par Pierre Serna, historien, chercheur à l’Institut d’histoire de la Révolution française, IHMC

 

En 1996 parut en Israël un livre qui provoqua un grand débat, « Aux origines d’Israël : entre nationalisme et socialisme ». Son auteur, l’historien Zeev Sternhell, était déjà fort connu pour avoir osé secouer les études compassées sur la droite française dirigées par René Rémond et ses élèves à Sciences-Po. Pour ceux-ci, il n’était pas question d’entendre ou de laisser dire que le fascisme avait pu naître en France, ou même qu’il avait pu y avoir un fascisme en France. Loin de se contenter de concevoir une histoire critique de la France, Sternhell se pencha de façon dramatiquement lucide sur l’histoire de son pays et de la fondation d’Israël, dont il fut un des acteurs. Il étudia les mythes et les illusions qu’entretinrent longtemps ses premiers gouvernements.

Au départ, en 1947, il y eut bien, au travers de l’aventure des kibboutz agricoles, une utopie socialiste, désirant faire d’Israël une authentique terre promise, faite de partage et de construction d’une réelle égalité des membres d’une société née de la Shoah. Très vite, le laboratoire kibboutzien fut abandonné au profit d’une société capitaliste et nationaliste qui ne cessa plus de creuser les écarts entre les groupes sociaux et de justifier les inégalités de conditions entre citoyens israéliens de différentes catégories, selon qu’ils étaient arabes, juifs, juifs érythréens, ce qui révoltait Sternhell.

Actif démocrate, l’extrême droite israélienne en fit une cible, allant jusqu’à plastiquer sa maison, lui-même échappant de justesse à l’attentat qui devait le tuer avec sa famille de retour de France. Il en fallait plus pour faire taire l’historien, dont la famille avait disparu dans les camps de concentration, et avait combattu pour l’indépendance de son pays. Inlassable acteur de la paix entre Israéliens et Palestiniens, il évoquait dans un entretien accordé à TV5 Monde, le 10 avril 2018, le « ghetto de Gaza », dans lequel son pays avait enfermé les Palestiniens.

À cette époque, il dénonçait une violence outrée à l’annonce de 30 morts palestiniens qui n’avaient fait que manifester. Il critiquait déjà les conditions atroces dans lesquelles vivaient les habitants de Gaza et fustigeait la politique de colonisation de Netanyahou. Hélas, le grand historien a disparu le 21 juin 2020 et sa voix manque cruellement dans les rangs des partisans de la paix en Israël. Mais son œuvre demeure, car il pointait la brutalisation de la société israélienne, construite désormais pour éliminer les Palestiniens en refusant de reconnaître tout d’abord la Nakba, préalable à toute fondation d’un État palestinien.

Aujourd’hui, les critiques de Sternhell émises en 2018 demeurent d’une actualité vive. Si la guerre est totalement asymétrique, les Israéliens disent-ils la vérité lorsqu’ils affirment ne devoir frapper des victimes civiles que parce que les combattants du Hamas se cachent parmi elles ? En réalité, les chiffres que vient de certifier l’ONU sont accablants, 70 % des victimes de la guerre menée par l’armée israélienne sont des femmes et des enfants. Des victimes collatérales ?

C’est à voir. Et si Israël les visait aussi sciemment ? Quelle est la seule arme que possèdent les Palestiniens que ne possède pas Israël et qui effraie ses chefs ? La démographie. C’est l’arme du futur, c’est une munition imparable : la fécondité des femmes palestiniennes, et le futur de leurs enfants. En les visant systématiquement, Israël ne fait pas que poursuivre des soldats parmi eux. Ils frappent le cœur de la dignité palestinienne et ses deux piliers capables de faire vaciller, dans dix ans, dans vingt ans, Israël, qui a décidé de tuer de façon calculée « les femmes et les enfants d’abord ». Il faut l’écrire désormais pour la dignité du peuple palestinien, pour la défense de ses femmes et de ses enfants, pour rendre hommage au combat pacifiste et à l’intelligence politique de Sternhell qui n’imaginait pas le futur sans deux États en paix.

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« Aux origines d’Israël : entre nationalisme et socialisme », de Zeev Sternhell, Gallimard, coll. « Folio », 2004 (Ire éd. 1996)

 

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