Entre préjugés et diplomatie, l’incident de Jérusalem est aussi révélateur des tensions en France
Mohammed Salah Ben Ammar,
ancien ministre de la Santé en Tunisie.
L'Humanité du 14 novembre 2024
Lors de sa visite à Jérusalem, le ministre des Affaires étrangères a refusé d’entrer dans un site religieux pourtant considéré comme territoire français, en raison de la présence de policiers israéliens armés à l’intérieur. Ces agents, présents « sans autorisation » et refusant de quitter les lieux, ont fini par plaquer au sol et arrêter brièvement deux gendarmes français après un échange de mots. La zone du domaine national de l’Éléona, qui est sous la protection de la diplomatie française, se trouve sur la grotte où, selon la tradition, le Christ aurait enseigné le Pater Noster. Située sur le mont des Oliviers à Jérusalem-Est, cette région est sous occupation israélienne depuis 1967.
On ne peut pas suspecter ce ministre, récemment nommé, ni son ministre délégué, Benjamin Haddad, de sympathiser avec les Palestiniens, c’est le moins qu’on puisse dire. À ce jour, la France continue de fournir des armes à Israël. Les chiffres alarmants des Nations Unies indiquent que 70 % des 45 000 victimes à Gaza sont des femmes et des enfants, dont 15 000 élèves, n’ont aucun effet sur la droite française au pouvoir qui a ouvertement pris fait et cause pour Israël.
Les timides réactions et la couverture médiatique suite à cet incident diplomatique sont révélatrices de ce que nous constatons depuis le début de la guerre.
Lors d’une émission sur LCI, Samantha de Bendern («Chercheuse » à la Royal Institute of International Affairs) déclare : « Une chose qui pourrait excuser le comportement des Israéliens « Si les gendarmes avaient l’air d’origine maghrébine, ou avaient l’air d’être arabes ». Et le journaliste lui répond : « On a vérifié, ce n’est pas le cas », sans réagir plus devant l’énormité de cette affirmation.
Cette remarque soulève des interrogations sur les préjugés qui conditionnent les prises de position dans cette guerre. L’idée que le faciès des gendarmes, s’il pouvait faire croire qu’ils étaient d’origine maghrébine, pourrait excuser l’agression des gendarmes français et le non-respect d’un territoire français est simplement sidérante. Plus encore, l’absence de réaction du journaliste qui animait l’émission est le reflet d’une chose désormais admise sur plusieurs plateaux télévisés : la déshumanisation des Palestiniens et le délit de faciès des Arabes.
Ce type de commentaire traduit l’état d’esprit admis, de façon consciente ou inconsciente, de beaucoup. Les Arabes sont la source du problème.
Ce biais, que ressentent parfaitement les Maghrébins en France, semble être devenu une norme dans le traitement médiatique de la guerre à Gaza. Un Palestinien est un terroriste, et le drapeau de la Palestine ou le port du keffieh sont des offenses, quand ce n’est pas qualifié d’acte antisémite.
Le parti au pouvoir en Israël ne cesse de répéter que c’est une guerre de civilisation, et il peut être fier des résultats obtenus dans une certaine opinion publique. Une bagarre entre hooligans de deux clubs de football est qualifiée, dans le langage médiatique, de pogrom et les chefs d’état se bousculent pour dénoncer ces actes sans avoir cherché à comprendre la réalité des faits dans sa totalité.
On peut se demander comment aurait été perçue la réflexion de la chroniqueuse sur LCI si elle avait concerné d’autres communautés.
En outre, l’incident diplomatique en question met en lumière la complexité des enjeux géopolitiques au Moyen-Orient.
La France, ancienne puissance coloniale ayant des liens très forts avec le Maghreb, n’a pas fait preuve de prudence dans son traitement de cette guerre. Dans cet exercice d’équilibriste, elle s’est mis à dos toutes les parties.
Pourquoi peu rappellent que, selon les conventions internationales, un peuple occupé a le droit de se défendre, même avec des armes ? Ce droit à l’autodéfense est reconnu comme un principe fondamental du droit international humanitaire, permettant aux populations sous occupation de résister à l’oppression et à l’injustice.
Les humiliations et abus subis par les Palestiniens sont connus de tous, mais ils ne font pas réagir les chancelleries occidentales qui fournissent des armes à l’occupant. Les assassinats de Palestiniens en Cisjordanie occupée provoquent peu de réactions. Les bombardements du Liban et les milliers de morts non plus.
Toute forme de contestation de la politique israélienne est accueillie avec un flot d’accusations de soutien au terrorisme et, pire, de qualificatifs que j’ose à peine écrire.
Ce qui s’est passé au domaine national de l’Éléona n’est pas un événement isolé et n’est pas nouveau. Les précédents présidents, tels que Chirac et Jospin, ont également vécu des situations similaires. Tous les diplomates qui ont été impliqués dans le dossier du Moyen-Orient rapportent des réalités révoltantes, mais à Paris, les autorités françaises restent déconnectées de ces conclusions.
La France insoumise est le seul groupe parlementaire à avoir pris des positions pro-palestiniennes et ce n’est pas une bonne chose pour la crédibilité de la classe politique française qui à force de courir derrière l’extrême droite, ne sait plus où donner de la tête. Mais qui peut croire à la sincérité de l’extrême droite ? Elle déteste simplement plus les Arabes que les Juifs. C’est la seule chose qui explique son positionnement dans ce conflit. La droite française gaulliste le sait parfaitement mais se perd dans des considérations et des calculs politiques aberrants.
L’incident diplomatique de l’Éléona et le commentaire sur LCI bien que paraissant anodins par rapport à la destruction de Gaza et aux 45 000 morts, sont révélateurs des dynamiques de pouvoir, des stéréotypes, des préjugés et des conflits d’identité qui influencent les politiques en France et au-delà.