Israël fait discrètement avancer l’annexion de la Cisjordanie
Eh les crimes commis à Gaza, en Cisjordanie et au Liban sont au service de cette politique d'annexion contre tout respect des résolutions de l'ONU et du droit international : une politique de brigands soutenue par les Etats-unis, l'Union européenne et l'occident collectif, même s'ils feignent de s'en émouvoir mais se gardant de toute sanction contre l'état d'Israël et son gouvernement d'extrême droite tout en continuant de lui fournir les armes nécessaires à sa mise en oeuvre !
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Clothilde Mraffko
Médiapart du 24 novembre 2024
Saisies record de terres, démolitions, nouvelles infrastructures et légalisation de dizaines de colonies… Depuis le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien accélère sa mainmise sur le territoire palestinien, sur le terrain et administrativement, transformant l’occupation en annexion.
Bezalel Smotrich, le ministre israélien des finances, n’a pas le charisme de son partenaire de coalition, Itamar Ben Gvir, le sulfureux suprémaciste juif à la tête de la police et des prisons en Israël. En revanche, il est efficace. En à peine deux ans, ce chef d’un petit parti ultranationaliste, le Parti sioniste religieux, a orchestré une série d’arrangements en apparence bureaucratiques qui transforment la nature du système qui régit l’occupation israélienne en Cisjordanie depuis plus d’un demi-siècle.
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche devrait lui donner l’occasion de formaliser cette annexion qui ne dit pas son nom. « L’année 2025 sera, avec l’aide de Dieu, celle de la souveraineté sur la Judée et Samarie », a-t-il promis le 11 novembre, reprenant le nom biblique qu’emploie une large partie des Israélien·nes pour désigner la Cisjordanie, lors de la réunion hebdomadaire de ses troupes à la Knesset, le Parlement israélien.
Avec seulement 7 députés sur 120, Bezalel Smotrich devient, fin 2022, un allié indispensable à Benyamin Nétanyahou pour bâtir son gouvernement et revenir au pouvoir. En échange, il lui arrache la promesse, inscrite dans un accord de coalition, de démanteler l’Administration civile en Cisjordanie, l’organe militaire qui gère le quotidien de l’occupation dans les territoires palestiniens.
Première étape, en février 2023 : Smotrich intègre le ministère de la défense. Il met en place une « Administration des colonies », un organe civil qui reprend une large partie des prérogatives autrefois échues à l’Administration civile. Elle supervise la planification des colonies, les constructions et l’infrastructure israélienne en Cisjordanie et les démolitions du bâti palestinien construit sans permis en zone C, la large partie du territoire sous contrôle d’Israël.
Au printemps 2024, Smotrich, qui a été formé dans une école sioniste religieuse radicale dans une colonie près de Ramallah, a achevé sa révolution silencieuse. L’armée nomme Hillel Roth, issu de la colonie ultraviolente d’Yitzhar, dans les environs de Naplouse, comme adjoint au général qui gère l’Administration civile. Roth devient ainsi une sorte de gouverneur de la Cisjordanie. À la différence de ce qui se faisait jusqu’alors, Hillel Roth n’est pas un militaire. Et il n’a d’adjoint que le nom : il répond de ses actes directement auprès de Smotrich.
« Tous les pouvoirs sont entre les mains d’Hillel Roth : il signe les ordres, il convoque le Comité supérieur de planification, il nationalise des terres, […] il signe les actes d’expropriation pour les routes, tout est entre ses mains. Tous les pouvoirs civils », expliquait Bezalel Smotrich lors d’un événement privé, début juin, enregistré par un militant de l’organisation anticolonisation La Paix maintenant. Une vingtaine de juristes, sous les ordres du ministre des finances, finalisent en juin et juillet le transfert des pouvoirs.
Annexion silencieuse
L’armée est désormais complètement écartée du processus de décision israélien en Cisjordanie, sauf pour les questions de sécurité, résume Michael Sfard, avocat défenseur des droits humains, dans une tribune parue dans Haaretz le 11 juillet. L’Administration civile existe toujours, mais elle est une coquille vide. « Il s’agit d’un changement radical dans l’appareil de gouvernance du territoire occupé, qui est passé d’une administration militaire, soumise au droit international qui lui impose de s’occuper de la population occupée, à un territoire directement géré par des fonctionnaires israéliens, dont la loyauté » va d’abord aux Israélien·nes et notamment aux colons, explique-t-il.
Les citoyens occupants contrôlent directement la population civile occupée. « C’est une annexion qui ne dit pas son nom », juge Yonatan Mizrahi, de l’ONG La Paix maintenant. « Une annexion qui n’accorde aucun droit aux Palestiniens », puisqu’elle n’est pas formalisée légalement.
« La prochaine étape consistera à tenter d’appliquer la loi israélienne en Cisjordanie », note Ziv Stahl, directrice exécutive de l’ONG israélienne de défense des droits humains Yesh Din. Son organisation a publié en août une analyse, avec trois autres organisations israéliennes, de cette « réforme silencieuse ». Elle craint que la Cour suprême israélienne, largement affaiblie par l’autre grande réforme annoncée par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou – celle de la justice, qui a jeté des centaines de milliers d’Israélien·nes dans les rues – ne soit pas en mesure de contrer l’annexion le moment venu.
Officiellement, le gouvernement israélien ne reconnaît pas de changement politique sur le sujet. « Le statut final des territoires sera déterminé par les parties à travers des négociations directes », indiquait le bureau du premier ministre en juin. En 2019, Benyamin Nétanyahou, qui tentait de se faire réélire pour échapper à son procès, avait promis d’annexer une partie de la Cisjordanie. Il a suspendu ce projet en échange de l’accord de normalisation avec les Émirats arabes unis.
Le plan Trump, en 2020, proposait l’annexion de certains grands blocs de colonies en échange d’un État palestinien. Bezalel Smotrich qui, en mars 2023, lors d’une visite privée à Paris, soutenait que « les Palestiniens n’existent pas parce que le peuple palestinien n’existe pas », veut à tout prix éviter ce scénario – à l’unisson des colons.
Plus de 700 Palestiniens tués
Sur le terrain, la perspective d’un État palestinien semble depuis bien longtemps une chimère à laquelle s’accrochent les pays européens et occidentaux pour perpétuer un statu quo qui n’existe plus, faute de vouloir agir. Les Palestinien·nes dénoncent depuis des années une annexion de facto de la Cisjordanie, dont les « exemples les plus éloquents » sont « l’établissement et l’expansion des colonies israéliennes, la confiscation de terres palestiniennes et la construction du mur d’annexion sur le territoire occupé », énumérait ainsi l’ONG de défense des droits humains palestinienne Al-Haq dans un rapport en 2021.
Depuis plus d’un an, la situation a atteint une tout autre dimension, entre les massacres de l’armée israélienne à Gaza et la violence brutale de la colonisation en Cisjordanie, qui a déplacé de force plus de 1 600 Palestinien·nes. « Les dirigeants internationaux doivent se réveiller à présent car Israël a clairement l’intention de faire disparaître la Palestine et le peuple palestinien, dénonçait dans un communiqué publié en juillet Issam Younis, le directeur général de l’ONG de défense des droits humains palestinienne Al-Mezan. La solution à deux États n’est plus guère pertinente avec l’expansion des colonies et les accaparements de terres qui se poursuivent. »
Entre le 7 octobre 2023 et le 31 octobre 2024, 742 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, selon les chiffres rapportés par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) – et près de 44 000 à Gaza à la date du 19 novembre. La violence des colons, rouage essentiel de l’accaparement des terres par Israël en Cisjordanie, a explosé. « Les tribunaux condamnent rarement les colons accusés d’actes violents, soulignait un rapport de l’International Crisis Group, une organisation de prévention des conflits publié le 15 octobre. Les colons radicaux, autrefois en marge de la politique israélienne, occupent aujourd’hui des postes ministériels [et] cautionnent la violence des colons en la présentant comme une légitime défense dans une bataille pour la terre. »
La guerre a largement affaibli les Palestinien·nes de Cisjordanie, traumatisé·es par les massacres israéliens à Gaza, commis avec le soutien tacite ou affiché d’une partie de la communauté internationale. L’économie palestinienne est plombée par la suspension de la plupart des permis de travail pour Israël et par les retenues sur les taxes douanières ordonnées par Bezalel Smotrich, qui rêve d’une banqueroute de l’Autorité palestinienne.
En septembre, l’Ocha recensait 793 obstacles physiques aux déplacements des Palestinien·nes en Cisjordanie – y compris à Jérusalem-Est. Les entrées des principales villes et des villages ont été condamnées ou ne sont ouvertes que quelques heures par jour, renforçant encore l’enclavement des zones palestiniennes sur ce territoire morcelé. Les colons ont alors le champ libre.
La guerre, catalyseur de la colonisation
Depuis le 7 octobre 2023, 47 nouvelles colonies sauvages ont été érigées dans toute la Cisjordanie. Cinq colonies ont été légalisées par le gouvernement israélien, des dizaines de routes illégales ont été creusées par des colons et plus de 2 400 hectares de terres ont été saisis par Israël. À titre de comparaison, la plus large saisie depuis Oslo, en 1999, était de 520 hectares.
Ce développement record des infrastructures est aligné avec l’objectif de Smotrich, qui espère doubler le nombre de colons israéliens pour atteindre le million d’Israélien·nes en Cisjordanie – hors Jérusalem-Est – d’ici cinq ans. « Le gouvernement avait déjà prévu d’accorder carte blanche aux colons pour ériger des colonies sauvages [non reconnues par l’État israélien – ndlr] et pour avancer l’annexion. Mais la guerre leur a permis d’amplifier et accélérer leurs plans, d’imposer des faits accomplis à une échelle qu’eux-mêmes n’avaient pas envisagée », relève Yonatan Mizrahi de La Paix maintenant. La ministre Orit Strock, du parti de Bezalel Smotrich, parlait en juillet d’une « période miraculeuse » pour décrire l’année écoulée.
Le but des colons, poursuit Yonatan Mizrahi, est « d’évacuer le plus de Palestiniens possible de la zone C, pour ne pas être obligés de leur accorder le moindre droit. Et c’est pourquoi personne ne fait rien ou presque contre la violence exacerbée des colons ». La Cour pénale internationale enquête depuis 2019 sur la colonisation en Cisjordanie, une perspective qui pouvait dissuader Israël d’avancer trop formellement dans l’annexion. Mais Benyamin Nétanyahou ainsi que son ancien ministre de la défense, Yoav Gallant, sont désormais sous le coup de mandats d’arrêt pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre à Gaza, émis par la Cour le 21 novembre.
Le salut, en revanche, pourrait à nouveau venir de Washington. La future administration américaine n’a pas encore annoncé ses ambitions pour Israël mais l’ambassadeur choisi par Donald Trump, Mike Huckabee, inquiète largement les Palestinien·nes. Il avait déclaré en 2017 : « Il n’y a pas de Cisjordanie. C’est la Judée et la Samarie. Il n’y a pas de colonies. Ce sont des communautés. Ce sont des quartiers. Ce sont des villes. Il n’y a pas d’occupation. »
L’opinion israélienne ne contestera pas une annexion formelle : les colons la désirent et le reste de la population est largement indifférent au sort des Palestinien·nes de Cisjordanie, notamment depuis les massacres du Hamas du 7 octobre 2023. « Beaucoup pensent qu’Israël contrôle déjà la Cisjordanie, note Ziv Stahl. Les jeunes notamment ne sont pas instruits sur la question. À l’école, les cartes ne dessinent pas la “ligne verte” », qui sépare Israël des territoires palestiniens occupés.
En mai, une députée du parti d’Itamar Ben Gvir, Puissance juive, a déposé un projet de loi pour intégrer les colonies israéliennes de la région d’Hébron, en Cisjordanie occupée, au plan de développement alloué à la région du Néguev, dans le sud d’Israël. Le texte a été approuvé en première lecture à 52 voix contre 37. S’il est adopté, il constituerait un premier acte législatif d’une annexion de jure.