LIBAN : Bayssour, le village druze solidaire des déplacés chiites du sud du Liban
La solidarité l'emporte sur les opérations de division de Netanyahou !
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Par Ghazal Golshiri
Le Monde du 07 novembre 2024
Ahmed, 16 ans, déplacé du Liban sud, vit avec sa famille dans un chalet qui abrite des familles de déplacés, à Bayssour (Liban), le 25 octobre 2024. RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE » |
La localité du Chouf, haut lieu de la résistance à l’invasion israélienne de 1982, a ouvert ses portes en grand aux habitants de la région frontalière, bombardés par l’Etat hébreu.
A la mi-octobre 2023, Isra Hamzi s’apprêtait à faire « une courte promenade » autour de sa maison, à Meiss El-Jabal, un village libanais frontalier de l’Etat hébreu, lorsque de violents bombardements israéliens aux alentours l’ont décidé, elle et sa famille, à prendre la fuite. « Les enfants étaient terrifiés », raconte cette Libanaise de 33 ans, mère de trois enfants, rencontrée à Bayssour, un village dans le massif du Chouf, dans le centre du pays. « J’ai pris quelques documents et vêtements de rechange. Je n’imaginais pas que cette guerre durerait aussi longtemps. »
Isra Hamzi, son mari et leurs trois enfants se sont d’abord réfugiés chez des proches dans la Dahiyé, la banlieue sud de Beyrouth, un bastion du Hezbollah. Mais fin septembre, l’armée israélienne a intensément bombardé ce quartier, les contraignant à se déplacer à nouveau. La famille s’est installée dans une école à Qamatiyé, un village des hauteurs de Beyrouth, qui a été elle aussi bombardée huit jours après leur arrivée, le 6 octobre. En quête d’un abri plus sûr, le mari d’Isra a contacté une connaissance à Bayssour, une localité majoritairement druze. « Viens ici, nous avons de la place pour vous », lui a-t-elle dit.
A cette époque, le restaurant Al-Samir, où la famille d’Isra Hamzi a posé ses valises, près d’un ruisseau, était en train d’être transformé en un centre d’hébergement pour déplacés. Lorsque Israël avait commencé à pilonner les bases du Hezbollah dans tout le Liban, le 23 septembre, Zaher Aridi et son cousin Anis, les gérants de l’établissement, avaient instantanément compris que les habitants du Liban sud ne tarderaient pas à affluer dans le Chouf, comme lors de la guerre entre Israël et le Hezbollah, en 2006. Ils ont donc érigé des cloisons en bois dans la grande salle du restaurant familial, pour y aménager douze pièces séparées, et ont installé des panneaux solaires supplémentaires pour augmenter leur capacité électrique. Des travaux similaires ont été menés dans le centre culturel de Bayssour, qui accueille aujourd’hui 20 familles et prépare 250 repas par jour.
Le projet de la famille Aridi est financé par des donations récoltées au Liban et à l’étranger. En plus du restaurant et du centre culturel, Bayssour compte quatre autres espaces accueillant des déplacés, dont deux écoles. « Ce que nous avons mis en place est loin de répondre à la demande », confie Zaher Aridi, 42 ans. « Nous devons refuser des gens qui nous appellent, désespérés, car nous n’avons plus de place. » La dernière vague de réfugiés est arrivée après l’ordre d’évacuation lancé à tous les habitants de Baalbek, provoquant un exode. « On ne peut pas faire plus. Cette guerre est bien pire que celle de 2006 », ajoute Anis Aridi.
La cohabitation se passe bien
Aujourd’hui, Bayssour, situé à environ 20 kilomètres de Beyrouth, accueille 5 000 déplacés venus du sud du pays, en plus de ses 12 000 habitants et des 3 000 réfugiés syriens déjà présents. Environ 1 000 déplacés sont pris en charge dans les six abris improvisés, et les 4 000 restants sont hébergés chez l’habitant. Au Liban, environ 1,2 million de personnes sont déplacées, soit un habitant sur cinq. La majorité est hébergée chez des proches ou dans des écoles mises à disposition par les municipalités, comme à Bayssour.
Pour beaucoup de ces déplacés, de confession chiite, c’était la première fois qu’ils rencontraient des Druzes (une minorité qui pratique une forme mystique de l’islam chiite, considérée par les sunnites comme par les chiites comme blasphématoire). Malgré quelques appréhensions initiales, la cohabitation entre les deux communautés se passe bien. « Quand les premiers déplacés sont arrivés, ils avaient peur de vivre parmi nous, parce qu’ils ne nous connaissaient pas, explique Roudina Aridi, 47 ans, responsable du refuge aménagé dans le centre culturel de Bayssour. Après quelques jours, ils sont devenus plus à l’aise. Un jour, ils m’ont demandé s’ils pouvaient prier. J’ai dit oui, et je les ai rejoints, couvrant mes cheveux avec ma veste. Ils ont beaucoup apprécié ce geste. »
Isra Hamzi, elle aussi, se sent bien accueillie à Bayssour. « Quand nous sortons faire des courses, les habitants nous demandent si nous avons besoin de quelque chose », raconte-t-elle. Surnommée la « Mère des martyrs » pour avoir perdu environ 150 de ses fils dans les guerres contre Israël, notamment lors de l’invasion de 1982, la ville de Bayssour est « culturellement ouverte, [prête] à accueillir des gens en détresse, quelle que soit leur confession », explique Roudina Aridi. « Bayssour a été sur la ligne de front pendant la guerre civile [1975-1990], expose Zaher Aridi. Nous sommes sensibles à la question de l’agression étrangère au Liban. »
« Des jours difficiles nous attendent »
Dans le Chouf, d’autres villages ont également mis en place des structures d’accueil. Les Druzes se montrent d’autant plus solidaires que leur leader, Walid Joumblatt, est un fervent défenseur de la cause palestinienne. Il a appelé à soutenir les déplacés du sud dès le début du conflit, en octobre 2023. « La solidarité prônée par M. Joumblatt est le message dominant dans les montagnes du Chouf, explique Zaher Aridi. Certains y adhèrent plus que d’autres, mais la plupart sont réceptifs. »
Au Liban, nombreux sont ceux qui s’inquiètent des risques liés à l’accueil des déplacés, en grande majorité chiites, craignant que des personnes recherchées par Israël puissent se cacher parmi eux. Le village voisin de Bayssour, Keyfoun, majoritairement chiite, a été touché début octobre par des frappes israéliennes. Une raison de plus d’être prudents. Dans les deux abris gérés par la famille Aridi, comme dans d’autres, les allées et venues des résidents sont surveillées avec attention.
« Un religieux iranien, soutien du Hezbollah, est passé dans le village et a souhaité visiter les déplacés, explique Zaher Aridi. Nous lui avons servi un café au bureau, mais nous lui avons demandé de ne pas entrer dans les abris, pour éviter d’y mettre les gens en danger. » De leur côté, les résidents des structures d’accueil sont priés d’informer leurs responsables en cas de visite d’un proche, afin de minimiser les risques pour la sécurité.
En cette fin du mois d’octobre, Yara (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille) tient dans ses bras la fille de l’une de ses voisines, dans le centre culturel de Bayssour. Originaire de Blida, un village à la frontière avec Israël, cette mère de trois enfants se dit reconnaissante de recevoir du lait en poudre et des couches pour ses petits, âgés de 1, 2 et 3 ans. « C’est le début de l’automne et il fait déjà froid, dit-elle. Je n’ai pas assez de vêtements d’hiver et seulement 20 dollars [18,6 euros] sur moi. Des jours très difficiles nous attendent. »