« Pour que personne n’oublie Madeleine »
Nous reprenons ce témoignage paru dans Ouest France malgré l'incidente anti-communiste sous couvert d'anti-stalinisme dont l'auteur ne peut se départir.
Comme si l'engagement de Madeleine dans les FTP et auprès des communistes ne résultait que du hasard?
Et comme si ce long compagnonage tout au long de sa vie ne résultait pas sur le partage du combat contre le fascisme et le nazisme.
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« J’ai eu la chance il y a quelques années de me rendre plusieurs fois par mois au domicile de Madeleine Riffaud pour l’interviewer et j’étais devenu son ami. Aujourd’hui, alors qu’elle vient de quitter notre monde à l’âge de cent ans après avoir vécu quatre guerres, après avoir été l’une des premières correspondantes de guerre françaises et l’une des premières militantes anticolonialistes, je me sens obligé de préciser certains détails de sa vie dont elle craignait qu’on ne les réécrive ou qu’on les passe sous silence.
Au départ je n’avais rien compris à son histoire qui me révoltait : elle était connue pour avoir abattu de deux balles dans la tête un officier allemand le 23 juillet 1944, en plein jour, sur le pont des Arts à Paris. Je ne trouvais pas ce fait d’armes particulièrement glorieux.
Et puis je l’ai rencontrée dans son appartement du Marais entourée de ses perruches criardes. Et puis elle m’a tout expliqué : pendant l’été 1944, après le débarquement de Normandie, le conseil National de la Résistance demanda aux résistants parisiens de ne pas attendre l’arrivée des Américains pour libérer Paris et de tuer de sang-froid et de façon spectaculaire en plein jour et sur la voie publique des soldats allemands, pour bien prouver à l’opinion publique qu’ils n’étaient ni invincibles ni immortels. Les hommes s’étaient défilés. Quelques femmes allaient oser agir.
Pour y arriver la jeune Madeleine qui n’avait que 20 ans et qui était entrée en résistance à 18 ans sous le nom de « Rainer » en sortant du sanatorium où elle avait failli mourir, allait mobiliser ce que Paul Éluard avait appelé « les armes de la douleur » et des douleurs qui avaient déjà ravagé existence de la jeune femme.
Elle avait été violée à quatre reprises par le guide qui la convoyait vers son sanatorium en 1940. Le 10 juin 1944, deux instituteurs amis de ses parents, enseignants comme eux, et qui avaient bercé sa petite enfance, avaient été brûlés par les SS avec les femmes et les enfants du bourg dans l’église d’Oradour sur Glane.
Il y avait enfin eu cette ultime douleur qui l’avait crucifiée lorsque le chef de son réseau de FTP avait été abattu peu avant la libération de Paris par un officier allemand que le résistant communiste avait épargné 8 jours plus tôt.
Entourée de fantômes
Comment la petite catholique très croyante avait-elle atterri chez les FTP et non chez les FFI ? Tout simplement parce que seuls les résistants communistes acceptaient que les femmes prennent les armes alors que les FFI les cantonnaient à des rôles d’agents de liaison.
Arrêtée par un milicien français alors qu’elle venait de commettre son attentat, Madeleine avait été livrée aux SS. Comme elle refusait de dénoncer son réseau sous la torture, elle avait subi un nouvel épisode de son chemin de croix : les SS avaient torturé à mort sous ses yeux un jeune couple de lycéens arrêtés pour faits de résistance en lui disant « si tu ne parles pas, ils vont mourir et ce sera de ta faute ».
Les deux jeunes gens étaient morts dans d’horribles souffrances. Madeleine ne s’en était jamais remise. Elle allait vivre ensuite toute sa vie entourée des fantômes de l’officier allemand qu’elle avait abattu et des deux lycéens qui avaient agonisé sous ses yeux.
Après la Libération, Madeleine est devenue journaliste à l’Humanité. Elle a couvert la guerre d’Algérie, la guerre d’Indochine, la guerre du Vietnam, mais elle a vite été harcelée par Georges Marchais et par les Staliniens du Parti Communiste Français de l’époque qui n’admettaient pas cette petite catholique qui gardait sa liberté de penser. Dégoutée par cette mise à l’index, Madeleine qui n’avait pas oublié que la guerre avait interrompu ses études de sage-femme, devint simple fille de salle à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu sous une identité d’emprunt, vidant les pots de chambre et assurant la toilette des incontinents. « Rainer » était devenue « Marthe ».
Elle résista toute sa vie
Au bout d’un mois, la mère supérieure de l’hôpital la congédia en lui disant qu’elle devait arrêter de fuir le monde et retrouver son vrai métier qui consistait à témoigner et à faire savoir. Madeleine Riffaud publia alors « Les linges de la nuit » en 1974, un témoignage sur la réalité quotidienne en milieu hospitalier, qui devient un best-seller.
Pendant la guerre d’Algérie, Madeleine avait été condamnée à mort par l’OAS comme tous les journalistes qui voulaient couvrir la guerre d’Algérie. Les 26 et 27 juin 1962, à Oran, l’OAS lança un camion contre la voiture où elle était en reportage avec Jean-Pierre Farkas et une journaliste du Parisien. Restée seule, plongée dans le coma à la suite de l’attentat, elle fut sauvée par une militante Gaulliste du quartier qui arriva à la soustraire à l’OAS venue l’achever. Madeleine y laissa un os de l’avant-bras.
Telle fut Madeleine, qui arrêta avec trois résistants un train de soldats allemands aux Buttes Chaumont le 23 août 1944 en l’attaquant à la grenade et à la mitraillette. Elle fut décorée de la croix de guerre 39/45 avec palme citée à l’ordre de l’armée par le général de Gaulle pour ses combats de la place de la République, « à la tête de ses hommes » avec « pendant toute la lutte l’exemple d’un courage physique et d’une résistance morale remarquables »
Elle est celle qui résista toute sa vie : contre les nazis, contre les Staliniens, contre l’OAS, et qui portait dans son corps les stigmates de ses résistances. Elle qui vient de mourir le jour où Donald Trump réaccédait à la Présidence des États-Unis d’Amérique au détriment de la liberté et des droits de l’ensemble de ses concitoyennes. »