"Toujours les mêmes qui trinquent" : hantés par Gaza, ultraorthodoxes exemptés... en Israël, la déprime des réservistes

Publié le par FSC

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Marianne, Julien Lacorie , correspondant en Israël, 18/11/2024

 

 

Parmi les quelque 300 000 réservistes de l'armée israélienne, le moral est en berne. La guerre à Gaza et au Liban se prolonge, ce qui les contraint à crapahuter sur le terrain au péril de leur vie pour des périodes de plus en plus longues.

 

« Cela ne peut plus continuer, ma femme n'en peut plus d'élever nos enfants sans père à la maison. » Ce cri du cœur, Yonatan, un Israélien qui a effectué 150 jours de réserve depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza et au Liban, ne l'a pas poussé auprès d'un média de gauche, mais sur les antennes de Galei Tsahal, le radio de l'armée.

Il est loin d'être le seul à être au bord du burn-out. Selon les statistiques officiels, le pourcentage d'Israéliens qui répondent présents aux ordres de mobilisation après avoir effectué 32 mois de service militaire obligatoire et jusqu'à l'âge de 40 ans, n'est plus que d'environ 80 %. Un pourcentage qui peut paraître élevé. Mais au début de la guerre, après l'onde de choc provoqué le 7 octobre de l'an dernier à la suite de massacres commis par le Hamas dans le sud d'Israël, cette proportion dépassait les 100 %, avec des Israéliens qui s'étaient portés volontaires pour rempiler sans avoir été appelés à servir.

 

Selon les médias israéliens, dans certaines unités combattantes les plus exposées, les défections frôlent la barre des 50 %. Ce coup de blues s'explique non pas tant par une opposition politique massive à la poursuite de la guerre, mais plutôt par des raisons « personnelles ». « Nous sommes parfaitement conscients que c'est dur, très dur », a admis le chef d'état-major, le général Herzi Halevi.

Ce qui fait surtout craquer de plus en plus de réservistes, c'est l'allongement des périodes de réserve. « Même lorsque je suis à la maison, je n'arrive pas à me sortir de la bande de Gaza dans ma tête », explique Yoav, un autre réserviste, auprès de la radio de l'armée. « Les réservistes ne sont pas de simples variables d'ajustement que l'on peut manipuler à volonté. Nous allons arriver à un point où personne ne pourra plus porter le fardeau », reconnaît Ofir Cohen, un général chargé des réservistes.

 

« LE FARDEAU N'EST PAS PARTAGÉ ÉQUITABLEMENT »

 

Mais la marge de manœuvre de Tsahal est des plus limitées. L'armée manque d'environ 10 000 hommes pour mener une guerre sur de multiples fronts. Difficile d'en demander plus aux réservistes. Avant la guerre, les Israéliens effectuaient en moyenne 25 jours de réserve étalés sur trois années. Mais depuis un an, ces périodes sont passées à 135 jours pour les soldats et 168 jours pour les officiers. Et ces réserves n'ont rien d'une partie de plaisir entre camarades de régiment. Près de 800 militaires ont été tués, et plus de 5 000 blessés. À ce bilan, il faut ajouter des centaines d'autres au moins, qui ont dû être pris en charge à la suite de stress post-traumatiques provoqués par les combats.

 

À cela s'ajoute une vie familiale fracturée, avec des femmes la plupart du temps contraintes d'aller travailler tout en assurant l'éducation des enfants et les tâches ménagères. Sur le papier, les réservistes reçoivent l'équivalent de leur salaire comme compensation. Des mois d'absence peuvent toutefois porter atteinte à des carrières et freiner des promotions.

De leur côté, les commerçants, les patrons de micro-entreprises et les professions libérales perdent souvent des clients, voire font faillite. Les étudiants payent aussi le prix fort. « J'ai perdu deux années d'étude. Mais je ne peux pas laisser tomber mon unité. Je ne me pardonnerais pas si quelqu'un qui m'aurait remplacé était blessé ou tué », explique Noam, étudiant en informatique de Tel Aviv, qui ne cache pas sa colère. « Ce qui me rend dingue, c'est que le fardeau n'est pas partagé équitablement. Ce sont toujours les mêmes qui trinquent », s'insurge-t-il.

BATAILLE POLITIQUE

 

Il fait ainsi allusion à l'exemption de service militaire dont bénéficient 65 000 jeunes Israéliens de 18 à 26 ans de la communauté ultraorthodoxe qui regroupe 12 % de la population israélienne. Depuis la création de l'État d'Israël en 1948, ils échappent à l'armée pour se consacrer à l'étude de la Torah dans les yéchivot, les séminaires talmudiques.

 

La Cour suprême a récemment statué que ce privilège était illégal. Résultat : Benyamin Netanyahou est en train de concocter un texte de loi, qui permettrait de légaliser cette exemption sous la pression des deux partis ultra-orthodoxes, membres de majorité, qui ont menacé de démissionner si les jeunes de leur communauté devaient être mobilisés. Cette défection ne manquerait pas de provoquer la chute du gouvernement.

 

Cette exemption est toutefois devenue intolérable avec la prolongation de la guerre, pour les deux tiers des Israéliens, selon les sondages. Bon gré, mal gré, Israël Katz, le ministre de la Défense, a donné, la semaine dernière, son feu vert à 7 000 ordres de mobilisations d'ultraorthodoxes. La réaction ne s'est pas fait attendre. Yated Neeman, un quotidien ultraorthodoxe, a appelé ce lundi 18 novembre à la désobéissance en une, sans être inquiété par les autorités. Difficile de prédire pour le moment qui va l'emporter dans cette épreuve de force.

 

Seule certitude : les autres mesures envisagées pour regarnir les rangs tels l'allongement du service militaire obligatoire de 32 à 36 mois, le report de l'âge limite pour les réservistes de 40 à 45 ans pour les soldats, et de 45 à 50 ans pour les officiers, auront du mal à passer au Parlement, même au sein de la majorité, si les ultraorthodoxes remportent la bataille de conscription.

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