« Voyage à Gaza » de Piero Usberti : un journal filmique d’une rare beauté
Eléonore Houée
L'Humanité du 05 novembre 2024
« Voyage à Gaza » de Piero Usberti, en salle le 6 novembre 2024. © JHR Distribution |
Piero Usberti signe un documentaire aussi sublime que personnel sur son voyage dans l’enclave palestinienne en 2018. Il met en avant une jeunesse ingénieuse et résiliente, ainsi que la poésie de paysages et de villes aujourd’hui saccagés.
Même face à la mort, les Gazaouis affichent leur vitalité. Une foule s’amasse autour de la dépouille de Yasser Murtaja, portée des heures durant dans les rues de la ville de Gaza. Ce photographe palestinien a participé aux manifestations de la grande marche du retour en 2018 qui avaient pour but de commémorer l’exode de son peuple en 1948, aussi appelé Nakba (« catastrophe » en arabe). Il est tué par un sniper de l’armée israélienne, à l’âge de 30 ans.
Le prologue de Voyage à Gaza, du cinéaste Piero Usberti, s’ouvre sur cette marche funéraire. Plans fugaces, découpage énergique, l’histoire de la plus grande prison à ciel ouvert au monde est ensuite rappelée par Piero Usberti. Voix posée, il contient sa colère sur ces images.
Le réalisateur franco-italien, âgé de 25 ans à l’époque, se rend par deux fois dans la bande de Gaza. Il y séjourne en tout trois mois et se passionne pour ses plus jeunes habitants, en proie à de douces révoltes et pleins d’espoir. Le documentariste sait capturer le réel et saisir l’âme des villes. Son premier long métrage se déroulait dans la ville italienne de Turin, où il a obtenu une licence de philosophie.
Gazaouis, peuple ouvert
Pourtant, Voyage à Gaza n’a rien de théorique, même si l’enjeu reste de déjouer les archétypes et les clichés sur une population mal connue. Le film prend la forme d’une balade poétique. C’est d’autant plus troublant que le spectateur a en tête des images de ruines depuis plus d’un an. Des plages bondées aux restaurants animés, les lieux dépeints en 2018 apparaissent au contraire débordants de vies.
Plus que tout, cette vivacité se perçoit dans les propos des Gazaouis, ne disposant, par exemple, que de quatre heures d’électricité dans la journée. « Quand la lumière s’éteint en plein milieu du dîner, on accueille la coupure de courant avec rires et applaudissements », note le metteur en scène en voix off.
Deux jeunes femmes à la bonne humeur communicative s’amusent devant lui de la situation. À un autre moment, un Palestinien montre sa bibliothèque où se niche le Capital, de Karl Marx. Plus tard, un couple de futurs mariés expose son projet de famille au voyageur. Refusant la succession d’exposés, l’auteur imbrique avec brio ces histoires les unes dans les autres et donne à voir la normalité là où elle est invisibilisée par les discours médiatiques traditionnels.
Avec ses mouvements de caméra apparemment approximatifs et le désir gourmand de faire le plein d’images, ce saisissant journal cinématographique rappelle les films de voyage. En fait, les zooms et les légers tremblements de la caméra à l’épaule témoignent de sa maîtrise formelle.
Tout comme le choix d’un montage court et concentré qui n’occulte pas la perception de la profondeur des relations nouées sur place. Comme pour un album photo, il s’agit de trier et de sélectionner. Les plus belles séquences se déroulent au coucher du soleil ou à la nuit tombée. Gaza surprend alors par son éclat, certes immortalisé par Piero Usberti, mais figé aujourd’hui dans un passé révolu.