De l'usage occidental des terroristes

Publié le par FSC

Pierre Barbancey
L'Humanité du 1er décembre 2024

 

Vue générale des destructions causées par une frappe aérienne non identifiée sur Alep, en Syrie, après sa prise par des groupes armés anti-régime, le 30 novembre 2024. © AAREF WATAD / AFP

 

L’offensive éclair déclenchée le 28 novembre depuis la province d’Idleb par l’ancienne franchise d’al-Qaida, HTS, a surpris l’armée de Bachar Al Assad, qui se regroupe à Hama, où pourraient avoir lieu les prochains affrontements.


Les images ont fait le tour des réseaux sociaux. On y voit des groupes d’hommes armés pénétrer en pick-up 4×4 dans une ville présentée comme Alep. D’autres vidéos montrent des combattants posant devant la fameuse citadelle de la ville. Beaucoup ont les cheveux longs. L’un d’entre eux, dans une séquence où ils se déplacent à pied, tente tant bien que mal de masquer le badge qu’il a sur la poitrine et qui n’est autre que le logo de l’« État islamique ». Alep n’est plus sous le contrôle du pouvoir syrien. Il n’aura fallu que deux jours (et plus de 200 morts), au grand dam d’une partie des habitants, notamment les Kurdes et les Arméniens.


Cette offensive éclair qui a commencé le 28 novembre a surpris tout le monde, à commencer par les autorités de Damas et leur allié russe. Les bombardements effectués par ce dernier n’ont pas permis de repousser l’attaque. Bachar Al Assad se trouvait même à Moscou la veille.

Hama, point de départ de la contre-offensive du régime de Damas


Le prochain affrontement pourrait se dérouler dans la province de Hama, vers laquelle les djihadistes ont fait route bien qu’on ne connaisse pas leur but ultime. Ils se seraient emparés de nombreux villages mais l’armée régulière a dressé des barrages et se regroupe à Hama même pour préparer une contre-offensive.


« La Syrie continue de défendre sa stabilité et son intégrité territoriale face à tous les terroristes et leurs soutiens, et elle est capable, avec l’aide de ses alliés et amis, de les vaincre et de les éliminer, quelle que soit l’intensité de leurs attaques », a fait savoir le président syrien lors d’un appel téléphonique avec son homologue émirati.


Un cessez-le-feu parrainé par Moscou et Ankara avait permis en 2020 d’instaurer un calme précaire dans le nord-ouest du pays. La province d’Alep vivait depuis quatre ans dans un calme relatif malgré sa proximité avec la région d’Idleb, au nord-ouest, contrôlée par l’organisation djihadiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), l’ex-branche syrienne d’al-Qaida, anciennement connue sous le nom de Front al-Nosra.


Cette dernière a lancé, mercredi, une vaste offensive contre les forces du pouvoir, faisant déjà plus de 240 morts. Le HTS est épaulé par les islamistes armés et formés par la Turquie. Les djihadistes et leurs alliés ont coupé jeudi la route vitale reliant la capitale Damas à Alep. Le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) a indiqué que « plus de 14 000 personnes, dont près de la moitié sont des enfants, ont été déplacées » en raison des violences.

Le résultat de l’affaiblissement du Hezbollah


Depuis plusieurs mois maintenant, la direction de HTS entendait profiter de la situation créée par Israël. Tel-Aviv, en effet, n’a de cesse de bombarder des installations militaires syriennes et les zones où se trouvent des combattants du Hezbollah ainsi des gardiens iraniens de la révolution. C’est donc cette alliance qui pourrait apparaître contre-nature qui a incité les djihadistes à passer à l’action.


Daniel Rakov, lieutenant-colonel de réserve de l’armée israélienne, qui collabore au Jerusalem Institute for Strategy and Security (JISS), écrivait samedi sur son compte X : « La chute du nord de la Syrie aux mains des rebelles endommage l’infrastructure des Iraniens et du Hezbollah dans cette région et rendra difficile le travail de restauration du Hezbollah. Assad sera plus sur la défensive, et alors qu’il se bat pour la survie de son régime, l’aide à l’Iran et au Hezbollah au Liban est d’un intérêt secondaire. »


Sean Savett, porte-parole du Conseil national de sécurité des États-Unis, a expliqué que « le refus persistant du régime d’Assad de participer au processus politique décrit dans la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies (qui appelle à un cessez-le-feu et à une résolution politique du conflit en Syrie – NDLR) et sa dépendance à l’égard de la Russie et de l’Iran ont créé les conditions qui se développent actuellement ». Il s’est empressé d’ajouter : « Les États-Unis n’ont rien à voir avec cette offensive qui est menée par Hayat Tahrir al-Sham, une organisation terroriste désignée. »


Pour Israël, deux buts sont recherchés. Le premier est de participer à une offensive régionale visant à affaiblir un peu plus le pouvoir de Bachar Al Assad. Celui-ci n’est plus dans la même situation qu’il y a dix ans et l’objectif n’est plus de le renverser à tout prix (sauf si une opportunité se présente), mais de forcer Damas à abandonner son alliance avec Téhéran et avec le Hezbollah, les armes que reçoit ce dernier de l’Iran passant par la Syrie.


Cela s’inscrit dans le projet régional américain d’un nouveau Moyen-Orient dans lequel l’ensemble des pays s’aligneraient sur Washington ou seraient muselés politiquement et économiquement. Pour l’Iran, la punition relève de l’isolement et peut-être d’une guerre dès l’arrivée effective de Donald Trump à la tête des États-Unis.

Vers la fin du statu quo


On peut effectivement penser que le statu quo actuel – qui explique le calme observé depuis quatre ans – va voler en éclats. L’arrivée du nouveau locataire à la Maison-Blanche pose déjà la question du maintien des quelque 500 soldats américains déployés au nord-est de la Syrie, dans les zones pétrolifères et contrôlées par l’Administration autonome du Nord-Est syrien (Aanes).


Il s’agit du Kurdistan syrien (le Rojava) et des districts de Hassaké et Deir ez-Zor. Ce départ possible des troupes américaines – évoqué par Trump lui-même – aiguise l’appétit de la Turquie. Celle-ci, en intervenant militairement en territoire syrien à plusieurs reprises (en 2016-2017, 2018 , 2019, 2020 et 2022), est parvenue à empêcher la continuité territoriale de l’Aanes.


Pour cela, Ankara a installé des troupes rebelles dans lesquelles se trouvent d’anciens membres de l’« État islamique » (Daech). C’est ainsi qu’a vu le jour une Armée nationale syrienne (ANS). En réalité, cette ingérence turque n’est pas nouvelle. Dès le début de la guerre en Syrie, en 2011, Ankara a formé des transfuges de l’armée syrienne sur son territoire sous la supervision du MIT (les services de renseignement turcs) parmi lesquels a émergé l’Armée syrienne libre (ASL) en juillet 2011, qui n’existe plus.


La Turquie espère installer durablement une zone tampon en territoire syrien pour éviter toute porosité avec les combattants kurdes, regroupés au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui ont des liens très forts avec les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), renforcés dans leur lutte contre Daech.

Aujourd’hui, les Kurdes sont inquiets. Selon le Congrès national du Kurdistan (KNK), « une attaque majeure contre la région kurde de Tal Rifaat, dans le nord-ouest de la Syrie », se prépare. Tal Rifaat abrite plusieurs centaines de milliers de réfugiés kurdes qui ont été contraints à fuir en 2018 suite à l’offensive menée contre la localité d’Afrin.


« Selon des sources locales, la Turquie a également ouvert la frontière avec le nord-ouest de la Syrie, permettant à plus de combattants djihadistes d’entrer en Syrie », affirme le KNK. Les populations kurdes d’Alep sont évidemment menacées par l’avancée des djihadistes. C’est pourquoi les unités combattantes YPG et YPJ des Forces démocratiques syriennes se sont déplacées. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), ces forces se seraient emparées de l’aéroport international d’Alep. Mais quelques heures plus tard, les djihadistes annonçaient s’y être installés à leur tour.


Les prochains jours seront cruciaux pour l’avenir de la Syrie mais également pour la région. « La sécurité de la Syrie et sa stabilité sont liées à la sécurité nationale de l’Irak et impactent la sécurité régionale dans son ensemble, ainsi que les efforts visant à établir la stabilité au Moyen-Orient », estime le premier ministre irakien, Mohamed Chia Al Soudani. « Nous soutenons fermement l’armée et le gouvernement en Syrie », a fait savoir le chef de la diplomatie iranienne, Abbas Araghchi, avant de s’envoler, dimanche, pour Damas.


La grande interrogation reste l’attitude de la Russie, dont le soutien à Damas ne se dément pas. Moscou pourrait néanmoins exploiter la situation pour affaiblir la présence iranienne en Syrie. Une présence qui complique les volontés russes. « La lutte à Alep pourrait bien être le début d’une nouvelle phase qui refaçonnera les dynamiques du pouvoir dans la région », veut croire le journaliste kurde Amed Dicle.
 

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