ERDOGAN à la manoeuvre : « Il n’y a pas de place pour le YPG-PKK dans l’avenir de la Syrie » : à Damas, les Kurdes directement menacés par la Turquie
Pierre Barbancey
L'Humanité du 23 décembre 2024
Le ministre turc des Affaires étrangères, présent à Damas aux côtés du nouvel homme fort Ahmed Al Charaa (ex-Abou Mohammed Al Joulani), s’est comporté comme le représentant d’une puissance tutélaire. L’objectif affiché : en finir avec les combattants kurdes.
C’est sans doute la rencontre la plus importante de ces derniers jours pour Ahmed Al Charaa, le chef de Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Il a laissé tomber son nom de guerre – Abou Mohammed Al Joulani – et troqué son treillis pour un costume et, pour la première fois, une cravate.
Si, le 22 décembre, il a mis les petits plats dans les grands, c’est qu’il recevait celui qui a pratiquement été son mentor politique et représentant de la puissance tutélaire turque, Hakan Fidan. Aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, ce dernier a longtemps été à la tête du MIT, les services de renseignements. À ce titre, il avait une relation privilégiée avec Al Charaa, y compris quand celui-ci frayait avec Daech et al-Qaida.
Les forces de protection kurdes visées par le HTC
À l’issue de leur entretien, les deux hommes ont tenu une conférence de presse assez déconcertante tant leurs rôles semblaient inversés. Ahmad Al Charaa a ainsi déclaré que son administration travaillait à la protection des minorités, soulignant l’importance de la « coexistence » dans ce pays multiethnique et multiconfessionnel.
Depuis deux semaines et la chute du régime baasiste, rien n’a encore été entrepris en ce sens : l’intérim n’est absolument pas inclusif et il se refuse à toute application de la résolution 2254 pour une transition du Conseil de sécurité de l’ONU.
Le dirigeant du HTC a eu cette phrase étonnante : « Nous nous efforçons de protéger les confessions et les minorités contre tout conflit entre elles », et contre les acteurs « extérieurs » qui tentent d’exploiter la situation « pour provoquer une discorde sectaire ». Il a également fait savoir que « la logique de l’État est différente de celle de la révolution, et nous ne permettrons pas la présence de toute arme échappant au contrôle de l’État ».
Une attaque claire envers les YPG
Si cela concerne tous les groupes armés du pays – y compris ceux de son propre camp, djihadistes massacreurs, qu’il entend intégrer dans une nouvelle armée nationale – il vise avant tout les forces de protection kurdes (YPG). Ces dernières avaient payé un lourd tribut dans la lutte contre l’État islamique et gardent toujours les combattants de Daech dans les camps de prisonniers.
Elles se trouvent désormais totalement abandonnées y compris par l’Union européenne (UE) et surtout les États-Unis. Pourtant, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a averti que le groupe islamiste tenterait de rétablir ses forces au cours de cette période.
Hakan Fidan n’a pas fait le déplacement à Damas pour rien. Alors qu’un journaliste lui demandait si la Turquie allait opérer une offensive dans le nord de la Syrie, c’est-à-dire en pays kurde, il a eu cette réponse dénuée d’ambiguïté : « Les YPG volent les ressources énergétiques du peuple syrien. Les YPG doivent être placés dans une position où ils ne menacent plus l’unité de la Syrie. Il n’y a pas de place pour le YPG-PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan – NDLR) dans l’avenir de la Syrie. Les YPG doivent se dissoudre au plus vite. Ce n’est pas le moment d’attendre et de voir. Nous devons agir immédiatement. »
Pour bien marquer sa puissance, le représentant d’Ankara, dont les troupes stationnent en Syrie, a ajouté : « L’intégrité territoriale de la Syrie n’est pas négociable.