« Les Palestiniens sont soumis à de graves tortures, à des mauvais traitements, des humiliations » : plongée dans l’enfer des prisons israéliennes
Rosa Moussaoui
L'Humanité du 05 décembre 2024
En novembre, on dénombrait 10 200 Palestiniens dans les prisons israéliennes.© Rina Castelnuovo/The New York Times |
Les témoignages recueillis par les avocats ou auprès d’anciens détenus jettent une lumière crue sur la grave détérioration des conditions de détention et sur les traitements inhumains et dégradants qui se sont généralisés depuis le 7 octobre dans les prisons et dans les camps militaires.
Samih Aliwi a rendu son dernier souffle le 6 novembre dernier. Ce Palestinien de 61 ans placé en détention administrative – sans jugement –, était incarcéré à la prison de Ketziot, dans le Neguev. Une grave négligence médicale des services pénitentiaires israéliens lui a coûté la vie.
Le prisonnier à la santé fragile, qui avait subi en 2022 une intervention chirurgicale, s’était plaint de sérieux problèmes de santé dès le mois de mai 2024 : il souffrait de fortes douleurs abdominales, de gonflements, d’une perte d’appétit et d’une subite perte de poids. Malgré les signalements, il n’a fait l’objet que d’examens médicaux superficiels.
Au mois d’août, l’avocat Samer Sama’an lui avait rendu visite. Il s’était alarmé de l’état du détenu, laissé sans soins médicaux sérieux. Là encore, pas de réponse des autorités pénitentiaires. En septembre, l’état de Samih Aliwi s’est brutalement détérioré. Il ne parlait plus, souffrait d’hypokaliémie et ne pesait plus que 40 kg. Ce n’est qu’à ce stade critique qu’il a fini par être transféré vers un centre médical, avant d’être conduit à deux reprises dans des hôpitaux, puis de nouveau jeté dans sa cellule.
Un tribunal a rejeté sa demande de libération… la veille de son décès
Un tribunal a rejeté sa demande de libération… la veille de son décès. « La mort de Samih Aliwi met en évidence le grave danger auquel sont exposés les Palestiniens dans les prisons israéliennes. Ses plaintes répétées, sa condition médicale non traitée malgré de nombreux appels démontrent un modèle de négligence médicale et de mesures punitives qui mettent en danger la vie des prisonniers palestiniens. La mort de Samih est l’une des dizaines de décès survenus l’année dernière et attribués à cette négligence systémique », s’indigne Naji Abbas, de l’ONG Physician for human rights Israël (PHRI).
D’après le recensement mis à jour quotidiennement par la Commission palestinienne des affaires des détenus, le Club des prisonniers et l’association Addameer pour les droits de l’homme, les autorités israéliennes ont procédé à 11 800 arrestations en Cisjordanie et à Jérusalem depuis le 7 octobre 2023.
Le nombre total de détenus dans les prisons israéliennes s’élevait en novembre à 10 200. Parmi eux, 3 443 détenus administratifs, dont 100 enfants et 32 femmes, en plus des 1 627 détenus classés comme « combattants illégaux » – une catégorie qui n’existe pas dans le droit international, invoquée par Israël pour piétiner les conventions de Genève.
« Un nombre important de détenus de la bande de Gaza restent introuvables, ce qui les soumet de fait à une disparition forcée », souligne Addameer. Avant le 7 octobre, le nombre total de détenus dans les prisons israéliennes était de 5250, dont 40 femmes, 170 enfants et 1 320 détenus administratifs. Dans la bande de Gaza, les forces d’occupation israéliennes auraient procédé à 4 500 arrestations depuis le 7 octobre.
Le cas de Samih Aliwi n’est pas isolé : 62 détenus palestiniens sont morts dans les prisons, les camps militaires et les camps de détention israéliens depuis le 7 octobre 2023. Les dépouilles de 43 détenus sont toujours entre les mains des autorités israéliennes, qui en refusent la restitution aux familles des défunts. Les négligences médicales et la privation de soins ne sont pas les seules causes de ces décès.
Après quatre mois de détention, Adnan Al Bursh, 50 ans, chef du service orthopédique de l’hôpital Al-Shifa, à Gaza, a succombé à des actes de torture atroces le 19 avril 2024 dans la prison d’Ofer, en Cisjordanie. Tlaleng Mofokeng, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à la santé, s’est dite « horrifiée » par la nouvelle de sa mort et exige une enquête internationale indépendante sur les circonstances de son décès.
Un recours systématique à la torture
Torture, traitements inhumains et dégradants, privation de nourriture, violences sexuelles, détention au secret, disparitions forcées : ces violations des droits humains se sont généralisées dans les prisons israéliennes depuis le 7 octobre 2023. Avec les entraves posées depuis cette date aux visites des avocats, les informations ne filtrent qu’au compte-goutte. Mais l’association Addameer a pu compiler des témoignages recueillis auprès d’une centaine de détenus au cours de 55 visites dans des prisons ou des camps militaires. Ils jettent une lumière crue sur les conditions de détention des prisonniers palestiniens.
Dans les camps militaires, où les personnes arrêtées en vertu de la loi sur les « combattants illégaux » sont entassées dans des baraquements, soldats et membres des forces spéciales s’adonnent de façon systématique à la torture. Les détenus sont exposés durant les mois d’hiver à des températures basses, sans accès suffisant à des matelas et des couvertures. Les prisonniers dorment peu, à même le sol.
Insuffisamment nourris, ils sont privés de l’hygiène la plus élémentaire, au point qu’ils contractent, pour beaucoup d’entre eux, des maladies cutanées. Les traitements médicaux leur sont refusés, même en cas de blessures graves antérieures à la détention, comme les blessures causées par des explosions ou des éclats d’obus.
Dans ces camps, « Les détenus seraient constamment menottés, auraient les yeux bandés et seraient contraints de s’asseoir ou de s’accroupir pendant de longues heures, du lever au coucher du soleil, forcés de se maudire », résume le rapport d’Addameer. Désignés par des numéros auxquels ils doivent répondre lors d’appels récurrents, ils sont systématiquement fouillés à nu, soumis à des positions de stress et des mesures de contention, parfois livrés à des chiens d’attaque. Ils font souvent l’objet d’abus sexuels, de menaces, de coups.
Des images montrent des détenus de Gaza dans le camp de Sde Teiman agenouillés, les mains liées, les yeux bandés : des scènes dignes des centres de torture américains en Irak, comme Abou Ghraib, dont les images avaient choqué le monde entier en 2004.
« Au cours des interrogatoires, ils sont soumis à de graves tortures, à des mauvais traitements, des humiliations, des abus psychologiques et des tactiques de coercition », détaille le rapport. À Sde Teiman, une salle d’interrogatoire est baptisée « la discothèque » : les tortionnaires y diffusent de la musique poussée à des volumes assourdissants, et accueillent là les détenus en leur promettant que « la fête va commencer ».
Dans les prisons, la nourriture est « juste suffisante pour maintenir les détenus en vie », souvent sale et couverte de moisissures, relève encore Addameer. Certains passent des jours sans manger. Les passages aux toilettes sont étroitement contrôlés et considérablement restreints. Les prisonniers n’ont accès à la douche qu’une à deux fois par semaine ; coupe-ongles et brosses à dents leur sont refusés ou confisqués.
L’accès aux produits d’hygiène de base, y compris menstruelle, est drastiquement limité. Aucun produit de nettoyage ne leur est fourni pour maintenir leurs cellules propres. L’insalubrité et le manque d’hygiène sont tels, que la gale s’est propagée partout à la faveur des transferts, dans les prisons comme dans les camps militaires.
Viols, attouchements et tortures sexuelles
Un rapport du Bureau des droits de l’homme des Nations Unies, publié le 31 juillet dernier, confirme tous ces constats : « Alors que les conditions de détention des Palestiniens détenus par Israël étaient déjà très préoccupantes avant le 7 octobre 2023, la situation s’est considérablement dégradée par la suite. Les autorités israéliennes ont encore restreint l’accès à la nourriture, à l’eau, à l’assainissement et à l’électricité, aux traitements médicaux, aux médias et à l’information, aux visites familiales et à la consultation de représentants légaux. »
Ce document onusien fait état de « descentes régulières, parfois quotidiennes » dans les cellules surpeuplées, où les prisonniers sont contraints de « dormir à même le sol ». Ils sont soumis à « de sévères restrictions alimentaires provoquant la faim et la malnutrition », à « de mauvaises conditions de vie, d’hygiène et de santé » et sont exposés « à des températures froides en raison de la confiscation des couvertures et de l’enlèvement des vitres des fenêtres par temps froid ».
Ce rapport décrit encore des « passages à tabac systématiques, des humiliations et des menaces », « des agressions physiques graves et répétées, en lançant des chiens sur les détenus », et des violences sexuelles généralisées : nudité forcée d’hommes et de femmes, coups portés sur les parties génitales, électrocution des parties génitales et de l’anus, insultes à caractère sexuel et menaces de viol, attouchements de femmes par des soldats hommes et femmes.
Ces violations systématiques, répétées, généralisées n’embarrassent guère le gouvernement israélien. En charge du dossier des prisonniers palestiniens, le ministre de la Sécurité intérieure Itamar Ben Gvir, tête de proue de l’extrême droite, va jusqu’à s’en vanter. Ceux qu’il désigne comme des « terroristes » doivent, revendique-t-il, être soumis aux « conditions les plus strictes » . Son vœu pour ces prisonniers : « Ils devraient recevoir une balle dans la tête. » Depuis 1948, 800 000 Palestiniens seraient passés par les prisons israéliennes.