Mandat d’arrêt de la CPI contre Benyamin Netanyahou : un tournant pour la justice internationale ?
L'Humanité du 11 décembre 2024
En affirmant que le Benyamin Netanyahou bénéficie d’une « immunité », la France renie ses engagements en faveur du droit international et créée un dangereux précédent.© Ena Christophe/Pool/ABACA |
La décision de la Cour pénale internationale vise pour la première fois un chef de gouvernement occidental. Ses implications sont importantes pour la suite du conflit israélo-palestinien, mais aussi plus largement pour le droit international.
Les mandats d’arrêt émis par la CPI sont des actes de justice qui rompent avec les logiques coloniales et leur « deux poids, deux mesures ».
Par Elsa Faucillon, Députée PCF des Hauts-de-Seine
Depuis des décennies, l’occupation fait son œuvre violente, des Palestiniens sont tués, attaqués, arbitrairement emprisonnés par les soldats et les colons israéliens. Depuis tout ce temps, la communauté internationale est restée passive, paralysée, incapable de faire appliquer le droit international.
Entre 1948 et mars 2024, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté 229 résolutions sur la colonisation israélienne, le statut de Jérusalem ou le retour des réfugiés palestiniens ; elles sont restées lettre morte. À Gaza, depuis un an, l’humanité est ensevelie sous un tapis de bombes. Ceux qui survivent risquent de mourir de faim, de soif ou par manque de soins. Tous affrontent une guerre génocidaire.
Gaza est déjà un tombeau pour les Palestiniens, le risque était donc grand que l’enclave soit aussi le cimetière de la justice internationale. Depuis sa création, la CPI connaît de nombreuses critiques sur sa capacité à s’attaquer à des criminels occidentaux. Elle n’a condamné jusqu’à présent que des responsables africains.
Le 21 novembre 2024, la chambre préliminaire de la CPI a enfin délivré les mandats d’arrêt contre Benyamin Netanyahou, Yoav Gallant et Mohammed Deïf. Ces mandats confirment sur le plan judiciaire que les massacres, les destructions à grande échelle et les entraves à l’aide humanitaire relèvent de crimes contre l’humanité. Bien que l’accusation de génocide n’ait pas encore été retenue, faute de saisine de la chambre préliminaire sur ce point, elle pourrait être ajoutée ultérieurement.
C’est donc une décision historique, résistant aux pressions politiques de puissances occidentales. Voyons aussi dans cette décision le caractère exceptionnellement grave et tragique des faits jugés. Les mandats d’arrêt émis ne sont pas de simples formalités administratives, sce sont des actes de justice qui rompent avec les logiques coloniales et leur « deux poids, deux mesures ».
Les 125 États membres de la CPI ont désormais l’obligation juridique de coopérer avec la Cour et d’arrêter Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant s’ils se trouvent sur leur territoire. Si leur arrestation à court terme reste peu probable, la décision de la CPI resserre l’étau. Historique aussi car les décisions prises sur l’Ukraine et Gaza (Israël et la Russie ne sont pas membres des accords de Rome) par la CPI permettent de crédibiliser l’institution sur le long terme.
La justice internationale doit désormais poursuivre son œuvre, enquêter à Gaza, en Ukraine et de par le monde, alors que les États-Unis et d’autres tenteront de saper son travail. Dans ce contexte, « l’immunité » invoquée par la France est encore plus grave. Le gouvernement français se dérobe ainsi à son devoir de justice, donc à son œuvre de paix. Soutenir l’impunité, c’est trahir les principes mêmes du droit international. L’impunité des uns prépare celle d’autres, demain, alimentant les tensions et les conflits. Face aux vents contraires, la justice internationale doit tenir bon. Elle est essentielle à la paix et à la dignité des peuples. La soutenir, c’est garantir un avenir fondé sur le droit et l’équité.
Juger Netanyahou, c’est rétablir le droit sur l’inhumanité et lui rendre sa place dans nos sociétés qui l’ont fondé.
Par Guillaume Ancel, Ancien officier, chroniqueur de guerre et auteur sur le blog « Ne pas subir »
Israël a subi, le 7 octobre 2023, une attaque terroriste du Hamas qui a fait 1 400 morts et disparus. En riposte, le premier ministre Benyamin Netanyahou a lancé une opération « militaire » contre toute la bande de Gaza, qu’il a fait dévaster à coups de bombardement et d’explosion.
Cette guerre de vengeance a probablement fait plus de 100 000 morts, dont la moitié est enterrée à jamais sous les décombres de ce territoire systématiquement ravagé par des bombardements indiscriminés et disproportionnés. Aujourd’hui encore, ces bombardements continuent, alors que plus aucune cible militaire ne peut les justifier. Ce n’est pas une guerre, c’est un carnage qu’a conduit Netanyahou à la tête d’un gouvernement d’extrême droite qui a mené l’État hébreu au bord du gouffre en faisant exploser toutes les règles de la guerre.
Aujourd’hui, Benyamin Netanyahou est poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, au même titre que Vladimir Poutine qui agresse l’Ukraine par tous les moyens depuis plus de mille jours. Le chef militaire du Hamas fait aussi l’objet d’un mandat d’arrêt, mais ce dernier n’a jamais caché son utilisation de la terreur comme arme de guerre, il est condamné d’avance, tandis que la politique de Netanyahou fera l’objet d’âpres débats.
Benyamin Netanyahou refuse d’être poursuivi et il cherche désormais une forme d’impunité, celle qu’espèrent tous ceux qui ne veulent pas assumer leurs responsabilités. Cela n’est pas sans rappeler l’attitude de Marine Le Pen face à la justice, elle qui n’a cessé de réclamer des peines automatiques mais qui, menacée aujourd’hui, exige qu’elles ne lui soient pas appliquées. C’est cependant le fondement du droit que d’être appliqué à tous, et Benyamin Netanyahou bafoue une fois encore la société de droit en réclamant son impunité.
Pourtant, le fait que Netanyahou soit jugé par la Cour pénale internationale s’avère indispensable pour protéger l’avenir même d’Israël, pour que la responsabilité des crimes commis ne soit pas portée par l’ensemble de la société israélienne mais bien par celui qui en a décidé. L’opération menée non pas contre le Hamas, mais contre l’ensemble de la bande de Gaza, sa dévastation consciente et volontaire relèvent d’une politique de terreur qui ne semble pas si éloignée de la terreur qu’a voulu semer le Hamas en attaquant des civils israéliens.
Pour mettre fin à cette spirale de violence, de haine et de vengeance, il est temps que le droit reprenne sa place dans nos sociétés qui l’ont fondé, pour que l’humanité revienne sur ces terres désolées et que l’inhumanité soit condamnée.