Mandat d’arrêt de la CPI contre Netanyahou : un tournant pour la justice internationale ? (2)
L'Humanité du 15 décembre 2024
En affirmant que le Benyamin Netanyahou bénéficie d’une « immunité », la France renie ses engagements en faveur du droit international et créée un dangereux précédent.© Ena Christophe/Pool/ABACA |
La décision de la Cour pénale internationale vise pour la première fois un chef de gouvernement occidental. Ses implications sont importantes pour la suite du conflit israélo-palestinien, mais aussi plus largement pour la justice internationale.
En affirmant son indépendance, la CPI renoue avec une justice universelle. L’impunité ne peut plus être l’attribut acquis des puissants.
Clémence Bectarte est Avocate à la cour, coordinatrice du groupe d’action judiciaire de la Fidh
Clémence Bectarte
Uniquement tournée contre les pays du Sud global ? Au service des pays occidentaux et de leurs alliés ? La Cour pénale internationale vient de livrer, le 21 novembre, une éclatante réponse à ses détracteurs. Faisant preuve d’une indépendance qu’il faut saluer, ses juges ont en effet émis des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef de la branche armée du Hamas, Mohammed Deïf, sans doute mort, mais poursuivi tout de même, la preuve de son décès n’ayant pas été apportée.
Les juges de la CPI ont ainsi renoué avec l’esprit qui a accompagné sa création. Celui d’une justice indépendante, permanente et surtout universelle. Elle est chargée de juger les crimes les plus graves, ceux qui heurtent les consciences, ceux qui ne peuvent rester sans réponse : les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et, depuis plus récemment, le crime d’agression.
Longtemps décriée pour son manque d’universalité, la CPI a été souvent accusée de ne poursuivre que des auteurs de crimes commis sur le continent africain, même si les ONG rappelaient à juste titre que ces enquêtes étaient ouvertes car les États africains eux-mêmes avaient saisi la Cour. Elle a peu à peu élargi son champ d’action. Des enquêtes se sont ouvertes sur des crimes de son ressort commis en Géorgie, au Venezuela, au Myanmar ou aux Philippines.
Restait cependant entière la question de savoir si la cour réussirait à s’affranchir du joug des États occidentaux, et la décision de ne pas poursuivre des responsables britanniques et américains dans les enquêtes ouvertes sur les crimes commis en Afghanistan et en Irak, en réponse au 11 septembre 2001, a renforcé l’image d’une cour qui ne parvenait pas à affirmer son indépendance, son impartialité.
Le mandat d’arrêt émis le 17 mars 2023 à l’encontre de Vladimir Poutine à la suite de l’invasion de l’Ukraine avait certes constitué une étape, en démontrant que la CPI pouvait envisager des poursuites contre des États puissants. Mais à nouveau, c’est un dirigeant ennemi de l’Occident qui était visé.
Dans ce contexte, les mandats d’arrêt émis constituent donc un tournant historique, portant le message que nul responsable d’État n’est à l’abri de l’application du droit international pénal et que l’impunité ne peut plus être l’attribut acquis des puissants. Même s’il est peu probable que Netanyahou ou Gallant soient arrêtés dans un avenir proche, rappelons que la justice internationale sait être patiente.
Les crimes dont ils sont accusés sont imprescriptibles. Au-delà de leur cas, l’affirmation de l’indépendance de la CPI à travers l’émission de ces mandats est en soi une réponse à la quête de justice de toutes les victimes des crimes les plus graves. Dans ce monde instable, qui semble aujourd’hui renforcer ceux qui piétinent la démocratie, un espoir de justice est possible et la CPI vient de lui donner un nouvel élan.
C’est un événement historique. Mais leur mise en œuvre n’est pas acquise en raison des tergiversations de pays occidentaux, dont la France.
Béligh Nabli, Professeur des universités en droit public
Béligh Nabli
Une juridiction internationale émet, pour la première fois, des actes incriminant des dirigeants appartenant au bloc occidental. Un précédent qui tend à relégitimer la CPI, qui faisait face à la critique lancinante qu’elle ne poursuivait et ne condamnait essentiellement que des responsables africains. À l’inverse, après avoir déjà émis des mandats contre le président russe V. Poutine (chef d’une grande puissance nucléaire), les mandats contre B. Netanyahou et Y. Gallant charrient un message fort : la fin de l’impunité des alliés des puissances occidentales.
Toutefois, si ces mandats d’arrêt restreignent la liberté de circulation des deux responsables israéliens, désormais appelés à évaluer les risques de leurs déplacements à l’étranger, leur future arrestation n’est pas acquise. La CPI ne dispose pas des forces de police pour exécuter ses décisions et demeure donc dépendante de la coopération des 125 États membres du statut de Rome, dont ne fait pas partie Israël. Certes, ils ont l’obligation d’arrêter les personnes poursuivies et de les remettre à la cour. Or, de fait, les réactions varient du côté des alliés d’Israël.
Au-delà du cas des États-Unis, non membre de la CPI, la France elle-même défend une position des plus ambiguës. Elle soutient qu’elle ne pourrait pas exécuter les mandats d’arrêt en raison des immunités dont Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant bénéficieraient en tant que membres d’un gouvernement d’un État ne reconnaissant pas la CPI. Une position injustifiable en droit, la CPI ayant été instituée justement pour déroger au principe coutumier des immunités internationales dont jouissaient traditionnellement les gouvernants.
La pratique et la jurisprudence de la CPI sont univoques : les États parties ont l’obligation d’arrêter et de remettre les personnes recherchées par la cour, même si elles ont le statut de chef d’État ou de gouvernement d’un pays qui ne reconnaît pas sa compétence. Ainsi, du point de vue du droit international, la France est tenue de coopérer avec la CPI. En ignorant ses obligations, la France risquerait d’être sanctionnée par l’Assemblée des États parties de la CPI.
Politiquement, une telle position sape la crédibilité de la France, qui aime à ériger le droit international en boussole de sa politique extérieure. Une crédibilité d’autant plus affectée que la ligne suivie au nom du soutien inconditionnel à Israël dévoile de manière crue une politique du double standard, à géométrie variable. Il suffit ici de rappeler que la France avait salué la délivrance des mandats de la CPI contre Vladimir Poutine, puis fustigé le comportement de la Mongolie, État partie au statut de Rome, qui avait violé ses obligations en ne procédant pas à l’arrestation de V. Poutine, qui se trouvait sur son territoire. Derrière ces fluctuations, la France participe à la fragilisation du droit et du système international au profit d’une sorte de « loi de la jungle » dictée par les seules logiques d’intérêt et de rapports de force.