SYRIE : Moshe Ya’alon, ex ministre israélien de la Défense, : « En Syrie, si le choix est entre l’Iran et l’« État islamique », je choisis l’« État islamique

Publié le par FSC

Pierre Barbancey
L'Humanité du 03 décembre 2024

 

Près de Hama, le 3 décembre 2024. La bataille de Hama pourrait décider du sort de la rébellion islamiste comme du pouvoir central. Kinene Hindevi /Anadolu via AFP

 

Après la prise d’Alep, les djihadistes de HTS et leurs alliés pro-Turcs de l’ANS ont pris la route de Damas mais sont face à un verrou défendu par l’armée régulière syrienne. La Russie et l’Iran sont en soutien et des milices chiites arrivent d’Irak. Israël poursuit ses bombardements sur les positions du Hezbollah en Syrie mais aussi au Liban.


Quelles sont les véritables ambitions d’Abou Mohammed Al Jolani, l’actuel chef de Hayat Tahrir al-Cham ? En 2011, il a créé le Front al-Nosra et s’affilie à al-Qaida. Et si, le 28 juillet 2016, le Front al-Nosra annonce qu’il rompt avec la formation mise sur pied par Ben Laden et qu’il prend le nom de Front Fatah al-Cham, la rupture se fait avec l’accord du chef d’al-Qaida d’alors, Ayman Al Zawahiri. En 2017, c’est la fusion avec d’autres groupes islamistes et la naissance de Hayat Tahrir al-Cham (HTS).


Al Jolani règne sur la province d’Idleb avec l’accord de la Turquie. De là, des liens, établis depuis des années, lui ont permis de renforcer son dispositif militaire. On dit que, depuis des mois, il ronge son frein, plein d’une volonté de conquête territoriale et de pouvoir qui pourrait changer la face du Moyen-Orient.

Un enjeu colossal


Le 27 novembre, c’est le lancement de leur offensive militaire. Les djihadistes, alliés à l’Armée nationale syrienne (ANS), créée de toutes pièces par la Turquie, prennent en trois jours une bonne partie de la ville d’Alep, deuxième ville du pays où vivent 2 millions d’habitants.
Les quartiers kurdes, peuplés de 150 000 personnes, sont aujourd’hui assiégés. Les troupes du HTS ont pris la direction de la ville de Hama, en prenant possession des villages alentour. Cette route rejoint Damas, sans doute le but ultime d’Al Jolani, qui se verrait bien renverser Bachar Al Assad, dans un retournement de l’histoire rarement vu.
La bataille de Hama pourrait décider du sort de la rébellion islamiste comme du pouvoir central. L’armée arabe syrienne (AAS) s’est en effet déployée dans la ville, renforçant les défenses, alors que l’allié russe pilonne les positions alentour où stationnent les djihadistes. Le choc s’annonce rude. L’issue est d’autant plus incertaine que la ville de Hama pourrait être prise en tenaille, avec le HTS arrivant de l’ouest et les l’ANS faisant mouvement vers le nord.


L’enjeu est colossal. Pour la Russie, il s’agit ni plus ni moins que du maintien de ses deux (seules) bases qu’elle détient en Méditerranée. La chute de Damas signifierait un vide stratégique terrible pour Moscou. Pour l’Iran, les manœuvres en cours pourraient aboutir à un isolement total, de mauvais augure avant l’intronisation de Donald Trump, le 20 janvier. C’est ce que joue Israël, dont les bombardements réguliers, tant sur l’armée arabe syrienne que sur les groupes paramilitaires iraniens et le Hezbollah libanais, ont ouvert la voie aux islamistes d’Idleb.


En 2016, Moshe Ya’alon, alors ministre israélien de la Défense, avouait : « En Syrie, si le choix est entre l’Iran et l’« État islamique », je choisis l’« État islamique ». Ils n’ont pas les capacités que l’Iran a. » Le 30 novembre, Daniel Rakov, du Jerusalem Institute for Strategy and Security (Jiss), écrivait sur son compte X que l’attaque d’Alep était « ostensiblement une bonne nouvelle pour Israël ». Il ajoutait : « La chute du nord de la Syrie aux mains des rebelles endommage l’infrastructure des Iraniens et du Hezbollah dans cette région et les empêchera de travailler à la restauration du Hezbollah. »

Moscou, Ankara et Téhéran discutent


Parallèlement, Israël viole le cessez-le-feu au Liban et attaque des positions du Hezbollah tout en interdisant aux habitants de rentrer dans leurs villages. Neuf d’entre eux ont été tués depuis l’annonce officielle des hostilités. Le président du Parlement libanais, Nabih Berri, a affirmé qu’Israël avait violé l’accord « au moins à 54 reprises ».
Vladimir Poutine et son homologue iranien Massoud Pezeshkian ont affirmé leur soutien « inconditionnel » à Bachar Al Assad. Ce dernier estime que « l’escalade terroriste » visait à « redessiner la carte régionale, conformément aux intérêts et objectifs de l’Amérique et de l’Occident ». Une idée que tout le monde partage ou pressent.


Les deux dirigeants, russe et iranien, soucieux du sort de la bataille en cours, prennent garde à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Ils ont d’ailleurs appelé à une coordination avec la Turquie. Une rencontre pourrait avoir lieu lors du Forum de Doha, les 7 et 8 décembre, selon la presse iranienne.
Ce qui permettrait au Qatar, proche de la Turquie dans le cadre de son aide aux Frères musulmans, de s’impliquer davantage dans le dossier syrien alors que les Émirats arabes unis (EAU) ont repris leurs relations diplomatiques avec Damas depuis plusieurs années maintenant.


Pourtant, la tension monte dans la région. Des milices chiites iraniennes sont entrées en Syrie pour aider le gouvernement à contre-attaquer. Environ 200 miliciens irakiens ont traversé la frontière et des milliers d’autres sont en instance de départ. « Ce sont de nouveaux renforts envoyés pour aider nos camarades sur les lignes de front dans le Nord », a déclaré un haut responsable militaire à l’agence de presse Reuters.
Les pays occidentaux se comportent comme s’ils n’avaient rien à voir avec la situation. Emmanuel Macron, en déplacement à Riyad, appelle avec le prince héritier Mohammed ben Salmane à la « désescalade », de même que l’Union européenne. Les États-Unis, qui disposent de 1 000 hommes au nord-est de la Syrie, sont partagés, comme l’a expliqué à CNN Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale.


« La situation est donc complexe. C’est une situation que nous surveillons de près et nous sommes en contact étroit avec nos partenaires régionaux à ce sujet. » Ce qui n’empêche pas l’aviation états-unienne de bombarder non pas les positions djihadistes, mais celles de l’armée syrienne et de milices chiites pro-iranienne aux abords de la ville de Deir ez-Zor.

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