GAZA : la revue « The Lancet » estime que le nombre de décès dus à l’armée israélienne est sous-estimé de 40 %

Publié le par FSC

Tom Demars-Granja
L’Humanité du 10 janvier 2025

 

La revue « The Lancet » estime que le nombre réel de Gazaouis morts à cause des bombardements et des exactions de l’armée israélienne est sous-estimé d'environ 40 % par rapport aux chiffres diffusés. Une différence qui s'explique par la difficulté de dénombrer précisément les civils gazaouis disparus et par le manque de moyens à disposition au sein d'une bande de Gaza dévastée.


La bande de Gaza n’est désormais qu’un gigantesque cimetière. Et, alors que le ministère de la Santé du Hamas estime déjà que le total de civils tués par l’armée israélienne se compte en dizaines de milliers, la revue médicale britannique The Lancet estime que le nombre de morts à Gaza, au cours des neuf premiers mois de la politique génocidaire entreprise par le gouvernement du premier ministre Benyamin Netanyahou, est supérieur d’environ 40 % à celui enregistré par le ministère de la Santé palestinien.


Du lancement des représailles israéliennes, suite à l’attaque de la branche armée du Hamas le 7 octobre 2023, jusqu’au 30 juin 2024, le ministère de la Santé a fait état d’un bilan de 37 877 morts. L’étude du Lancet, publiée ce jeudi 9 janvier, estime toutefois qu’entre 55 298 et 78 525 décès ont été causés par des lésions traumatiques à Gaza au cours de cette période. Le nombre probable de tués estimé par la revue britannique est donc de 64 260 morts jusqu’à cette date.

10 000 habitants de Gaza toujours portés disparus


Ce qui représente 2,9 % de la population de Gaza avant la guerre, « soit environ un habitant sur 35 », relate l’étude. Un chiffre supérieur de 41 % à celui diffusé dans les champs politique et médiatique jusque-là. À titre de comparaison, le ministère de la Santé du Hamas a estimé, jeudi 9 janvier 2025, que 46 006 Gazaouis sont décédés au cours des quinze mois de bombardements et d’exactions de l’armée israélienne.
The Lancet précise néanmoins que le bilan réel de civils tués dans la bande de Gaza devrait être encore supérieur à ses estimations : son étude ne concerne que les morts dues à des lésions traumatiques et n’inclut, par conséquent, pas les décès indirects, dus au manque de soins, de nourriture, d’eau ; ni les milliers de disparus dont les Gazaouis n’ont pas pu retrouver les corps, enterrés sous les décombres. L’agence humanitaire des Nations unies, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), a déclaré qu’environ 10 000 habitants de Gaza, toujours portés disparus, seraient enterrés sous les décombres.


« Nous n’avons retenu dans notre étude que les personnes dont le décès avait été confirmé par leurs proches ou par les morgues et les hôpitaux », a ainsi déclaré Zeina Jamaluddine, épidémiologiste à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, principale autrice de l’étude. Cette étude remet ainsi en cause les déclarations du gouvernement israéliens et de son armée – mais aussi d’une grande partie de la presse, notamment française – qui n’ont cessé de mettre en doute la crédibilité des chiffres diffusés par le ministère de la Santé de Gaza. Chiffres qui ont, par ailleurs, été jugés fiables par les Nations unies (ONU).


Pour réaliser leur étude, les chercheurs dont le travail a été publié par The Lancet ont employé une méthode statistique appelée « capture-recapture ». Déjà utilisée pour estimer le nombre de morts dans d’autres conflits dans le monde, cette méthodologie s’appuie sur trois listes : une première fournie par le ministère de la Santé du Hamas, qui comprend les corps identifiés dans les hôpitaux ou les morgues ; une seconde, basée sur une enquête en ligne lancée par le ministère de la Santé, dans laquelle les Palestiniens ont signalé le décès de leurs proches ; une troisième, établie à partir des notices nécrologiques qui furent publiées sur des réseaux sociaux comme X, Instagram, Facebook et WhatsApp, lorsque l’identité du défunt a pu être vérifiée.


Les chercheurs ont ensuite examiné les listes de morts à la recherche de doublons. « Nous avons cherché les chevauchements entre les trois listes (…) afin d’obtenir une estimation totale de la population tuée », a précisé Zeina Jamaluddine. Patrick Ball, un statisticien du Human Rights Data Analysis Group, basé aux États-Unis, qui n’a pas participé à l’étude du Lancet, a utilisé la méthode statistique de capture-recapture pour estimer le nombre de morts lors de conflits au Guatemala, au Kosovo, au Pérou et en Colombie. Selon lui, l’étude du Lancet correspond à une « bonne estimation » de l’entreprise génocidaire en cours dans la bande de Gaza.


Mêmes conclusions pour Kevin McConway, professeur de statistiques appliquées à l’Open University britannique, qui – s’il rappelle qu’il y a « inévitablement beaucoup d’incertitude » lorsqu’on fait une estimation à partir de données incomplètes – a jugé « admirable » que les chercheurs aient utilisé trois méthodes d’analyse statistique pour vérifier leurs estimations. « Dans l’ensemble, je trouve ces estimations raisonnablement convaincantes », a-t-il estimé.


Zeina Jamaluddine a reconnu s’attendre à ce que « les critiques fusent de toutes parts » à propos de cette étude, tant le sort des Gazaouis est au centre d’une bataille idéologique. Avec cette étude, la chercheuse souhaite ainsi s’élever contre ce qu’elle qualifie « d’obsession » sur les chiffres de la mortalité dans la bande de Gaza. Car, comme elle le rappelle, « nous savons de toute façon qu’elle est très élevée ».
 

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