Le sort incertain de Hussam Abu Safiya, « la voix du secteur de la santé dévasté de Gaza », arrêté par l’armée israélienne
Par Ghazal Golshiri
Le Monde du 03 janvier 2025
Hussam Abu Safiya, directeur de l’hôpital Kamal-Adwan (Gaza), le 21 novembre 2024. AFP |
Le docteur Hussam Abu Safiya, pédiatre de 51 ans et directeur de l’hôpital Kamal-Adwan, dans le nord de la bande de Gaza, est un modèle de patience et de rigueur. Malgré les bombardements incessants de l’armée israélienne, il a dirigé avec détermination ce qui est devenu le dernier hôpital encore fonctionnel dans cette région, prodiguant des soins essentiels aux enfants et aux patients en soins intensifs.
Depuis le début de décembre 2024, alors qu’Israël intensifiait ses opérations militaires dans la région, le docteur Abu Safiya n’a cessé de plaider pour la protection de son établissement et l’intervention de la communauté internationale. Ces appels sont restés sans réponse. Le 27 décembre 2024, les forces israéliennes ont lancé une opération majeure contre l’hôpital, le rendant inutilisable. Au cours de cette intervention, Hussam Abu Safiya et plusieurs membres du personnel médical ont été arrêtés. Munir Al-Bursh, directeur général du ministère de la santé à Gaza, a rapporté que le médecin avait été violemment frappé par les forces israéliennes, contraint à se déshabiller et à porter des vêtements de détenu.
L’armée israélienne a déclaré avoir mené cette opération dans la zone de l’hôpital pour y arrêter « au moins 240 terroristes du Hamas et du Jihad islamique », affirmant que l’établissement servait de « base terroriste ». Dans un premier temps, répondant à un journaliste de CNN, elle avait reconnu la détention du docteur Abu Safiya, qu’elle accusait d’être « un opérateur terroriste du Hamas », groupe responsable de l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023 en Israël.
Un de ses fils tué lors d’une frappe
Mais, mercredi 1er janvier, l’armée a déclaré à l’ONG Physicians for Human Rights-Israel qu’elle n’avait aucune trace de la détention du médecin, information rendue publique seulement jeudi soir. La secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, a affirmé sur X que le médecin devait désormais être considéré comme « une victime de disparition forcée » et que, à ce titre, « il cour[ai]t un risque élevé de torture et de mauvais traitements ».
Citant trois détenus palestiniens libérés, la chaîne américaine CNN avait affirmé que le docteur Abu Safiya était actuellement détenu au camp militaire de Sde Teiman, dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël. L’un de ces témoins, Ala Abu Banat, assurant connaître le médecin, a déclaré : « [Les Palestiniens arrêtés lors de l’opération contre Kamal-Adwan] sont toujours détenus. Ils ont été fortement maltraités, surtout les médecins. »
Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 30 décembre, Idris Abu Safiya, le fils du médecin, a fait part de son inquiétude sur le sort de son père : « Nous avons reçu des témoignages de prisonniers libérés affirmant qu’il avait été humilié et qu’il avait subi de mauvais traitements. Il a notamment été forcé de se déshabiller et utilisé comme bouclier humain [à Gaza]. »
Avant son arrestation, le docteur Abu Safiya avait répondu avec précision aux questions du Monde sur la mortalité infantile dans son hôpital. Il tenait un registre méticuleux des décès de nouveau-nés causés par le manque de nourriture et de médicaments. Débordé par l’afflux constant de blessés et les difficultés imposées par le siège israélien, il prenait toujours le temps de s’excuser avant de reprendre la conversation avec des réponses claires et détaillées.
Né en 1973 dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza, Hussam Abu Safiya est issu d’une famille déplacée en 1948 de la ville palestinienne de Hamama, dans le district d’Ashkelon. Il y a quelques mois, il avait installé sa famille à l’hôpital, espérant la protéger. Mais son fils de 21 ans, Ibrahim, a été tué dans une frappe israélienne devant Kamal-Adwan, alors que l’armée israélienne avait imposé un blocus sur le nord de Gaza. Une vidéo montre le docteur Abu Safiya dirigeant les prières funéraires de son fils dans la cour de l’hôpital où celui-ci a été enterré.
Un symbole de la tragédie de Gaza
Lui-même blessé à la cuisse en novembre, Hussam Abu Safiya avait publié une vidéo depuis son lit d’hôpital, affirmant : « Nous continuerons à fournir des services, quel qu’en soit le coût. » Le 12 décembre, alors que les attaques israéliennes s’intensifiaient, il avait lancé un appel sur les réseaux sociaux pour l’instauration d’un corridor humanitaire vers son hôpital, décrivant une situation de plus en plus insoutenable pour le personnel soignant et les patients. « La situation est devenue très difficile pour nous. Nous travaillons tous les jours sous les bombardements, les menaces et la terreur », expliquait-il.
Les dernières images du médecin avant son arrestation, le 27 décembre, diffusées sur la chaîne israélienne 14, montrent un drone israélien ordonnant au personnel de Kamal-Adwan de se rendre dans la cour. Cette vidéo montre le docteur Abu Safiya en blouse blanche, avançant seul vers un char israélien, où un soldat lui demande de monter à bord après une brève poignée de main.
De nombreuses organisations internationales demandent sa libération immédiate. Amnesty International l’a décrit comme « la voix du secteur de la santé dévasté de Gaza », saluant son travail « dans des conditions inhumaines » même après la perte de son fils. « Les hôpitaux à Gaza sont redevenus des champs de bataille et le système de santé est gravement menacé », a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, qui appelle à la fin des attaques contre les hôpitaux à Gaza.
Un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, publié le 31 décembre 2024, indique que, entre octobre 2023 et juin 2024, au moins 136 frappes ont visé 27 hôpitaux et 12 autres installations médicales, provoquant des destructions massives et de lourdes pertes humaines parmi les patients et le personnel soignant. Ces attaques, souvent justifiées par des allégations d’utilisation militaire des infrastructures médicales par des groupes armés palestiniens, ont gravement compromis l’accès aux soins, causant la mort de nombreux blessés.
Le rapport mentionne également des cas de détention arbitraire, de torture et de mauvais traitements infligés au personnel médical. Des fosses communes découvertes après des raids militaires sur des hôpitaux de Gaza suscitent de graves inquiétudes. Le Haut-Commissariat qui, dès avril 2024, évoquait d’éventuels « crimes de guerre », appelle à des enquêtes indépendantes et exige la libération immédiate des humanitaires détenus.