Mairie de TOULOUSE : la censure de ce qui se passe à Gaza ... derrière le risque mensonger de trouble à l’ordre public

Publié le par FSC

C O M P L I C I T É et instrumentalisation de la lutte contre l'anti-sémitisme

En complément de l'interdiction des journalistes dans la bande de Gaza .. Et de leur exécution massive (près de 200 tués depuis plus 1 an !).

Pour que le génocide continue sans témoins !

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Emmanuel Riondé
Médiapart du 07 janvier 2025

 

L’exposition réalisée par Médecins sans frontières (MSF) « We did what we could » lors du prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre en octobre 2024. © Photo Lou Benoist / AFP

La mairie de Toulouse a annulé la tenue d’une exposition de MSF consacrée à la situation vécue par la population civile de Gaza. Une décision que l’hôtel de ville n’hésite pas à justifier en convoquant à demi-mot le spectre de l’antisémitisme.

Ce pourrait presque être un sujet du bac philo : qu’est-ce qui trouble le plus l’ordre public ? Une guerre de quinze mois faisant plus de 45 000 morts dans un seul camp, dont une immense majorité de civils, enfants compris ; ou les manifestations pacifiques qui s’opposent à ces massacres ?

À Toulouse, la mairie dirigée par Jean-Luc Moudenc (ex-Les Républicains) a planché pour finalement décider d’annuler une exposition consacrée à la situation dans la bande de Gaza, car « sa tenue pose un risque évident de trouble à l’ordre public », selon les arguments que le service communication de la ville a communiqués à Mediapart.

Intitulée « We did what we could » (« nous avons fait ce que nous pouvions »), cette exposition a été réalisée par l’ONG Médecins sans frontières (MSF). Elle entend, selon les supports de communication joints, « raconter le siège, les bombardements et l’horreur du quotidien à Gaza à travers l’expérience de ses soignants, en première ligne du conflit […].

Ils témoignent des attaques d’Israël contre les hôpitaux et racontent leur quotidien qui rend leur mission quasi impossible : les afflux massifs de patients, les déplacés qui s’y réfugient, les pénuries de médicaments et de nourriture et les ordres d’évacuation ». Bref, un travail de documentation d’autant plus précieux qu’il agrège des témoignages directs de concerné·es sous le feu et sur un terrain fermé aux médias du monde entier depuis quinze mois. « We did what we could » a d’ailleurs été présenté lors de la 31e édition du prix Bayeux des correspondants de guerre en octobre dernier.

À Toulouse, l’exposition était proposée dans le cadre du festival annuel Cinéma et droits de l’homme et devait se tenir du 6 au 26 janvier dans les locaux de l’Espace diversités laïcité de la ville. Un vernissage était annoncé le 11 janvier en présence d’Isabelle Defourny et d’Andrea Bussotti, respectivement présidente et directeur de la communication de MSF.

Dans une lettre ouverte adressée au maire de Toulouse, publiée lundi 6 janvier, la présidente de MSF et ses cosignataires (Amis du Monde diplomatique, Médecins du monde, Amnesty International Midi-Pyrénées, l’ACAT Centre-Pyrénées et le CCFD-Terre solidaire 31) se disent « consternés par [la décision de la mairie] de refuser d’accueillir [cette] exposition ».

Une décision que la mairie de Toulouse explique, dans la réponse qu’elle nous a adressée, par un « contexte local […] tendu, notamment par l’interdiction, depuis le 7-Octobre, de plusieurs manifestations liées au conflit israélo-palestinien par la préfecture et dont la radicalité posait un problème de trouble à l’ordre public ou encore le ciblage récent de plusieurs commerces toulousains au motif de leur prétendu soutien à Israël, sur le seul motif de la judéité présumée de leur propriétaire… ».

Les cosignataires de la lettre ouverte s’indignent de « l’amalgame » ainsi opéré « entre ces événements, dont certains sont légalement répréhensibles, et une exposition présentée par une association humanitaire engagée sur le terrain et destinée à rendre compte du sort des Gazaouis ».

Commerces ciblés par une campagne de boycott


Au-delà de cet amalgame problématique, c’est la réalité des faits énoncés par la mairie qui pose question. La « radicalité » des manifestations de soutien au peuple palestinien ? Celles-ci se tiennent régulièrement depuis quinze mois, à Toulouse comme ailleurs, réunissant, selon les occasions, entre quelques centaines et quelques milliers de personnes. Mediapart a assisté à la plupart d’entre elles et jamais nous n’avons été les témoins de quelque violence que ce soit, ni même de « dérapages » verbaux. En revanche, ces manifestations ont été dès le début criminalisées et réprimées par les autorités, comme nous avons pu le raconter dans ces colonnes (par exemple ici).

Mais c’est surtout l’autre partie de la réponse qui pose problème : ainsi, selon la mairie, « plusieurs commerces toulousains » auraient été ciblés « au motif de leur prétendu soutien à Israël, sur le seul motif de la judéité présumée de leur propriétaire ». L’accusation – il s’agit d’antisémitisme – est grave.  Elle vise sans le dire des actions menées par le Comité toulousain de soutien à la Palestine, une structure collective rassemblant des individus et militant·es – organisé·es en association ou pas – qui mène des actions de solidarité, notamment autour de la question du boycott.

C’est dans ce cadre que le 2 octobre dernier, deux actions pacifiques de sensibilisation (avec banderole et prise de parole publique) ont été menées dans le centre de Toulouse devant les magasins Sabon et Optical Center. La première enseigne, appartenant au groupe Yves Rocher, est épinglée pour avoir distribué des centaines de colis à l’armée israélienne. La chaîne Optical Center est, elle, dans le viseur de la campagne de boycott depuis longtemps à cause de son soutien assumé aux soldats de l’armée israélienne, auxquels elle distribue des lunettes et prothèses auditives. Les deux marques font partie des cibles des campagnes de boycott menées par de nombreuses organisations telles que l’Association France Palestine solidarité. Rien de nouveau.

Mais cet automne, ces deux actions ont donné lieu à un article paru le 9 octobre dans Actu Toulouse, tissu d’inexactitudes et d’approximations, dont certaines seront reprises sans trop de précautions par le maire de Toulouse et relayées par de nombreux médias d’extrême droite, dont CNews et le Journal du dimanche. Deux jours plus tard, France 3 Occitanie publiait un récit des faits bien plus conforme à la réalité. Et le 18 octobre, dans un communiqué, le collectif Palestine vaincra, membre du comité, dénonçait la « campagne de désinformation » en cours.

À notre connaissance, aucune des graves insinuations contenues dans l’article d’Actu Toulouse - qui parle quand même de « commerces “estampillés juifs” pris pour cible à Toulouse » – n’a été suivie de plaintes pour des faits ou des propos antisémites. Interrogé pour savoir si la mairie se base sur d’autres faits que ceux-là lorsqu’elle évoque des magasins ciblés « au motif de leur prétendu soutien à Israël, sur le seul motif de la judéité présumée de leur propriétaire », le service de communication répond que « depuis, cela s’est produit avec d’autres magasins », sans pouvoir dire lesquels, et en admettant que les services ne sont pas allés au « niveau de détail » (sic) permettant de distinguer des actions de boycott politique d’actes antisémites…

« On dénonce totalement cette manière d’instrumentaliser la nécessaire lutte contre l’antisémitisme, s’insurge Tom Martin, porte-parole du collectif Palestine vaincra. En réalité, la mairie de Toulouse criminalise l’expression de toute solidarité avec la Palestine depuis de nombreuses années, comme on le voit encore une fois avec l’annulation de cette exposition de MSF. On a eu les vœux anti-BDS en 2016, l’affaire Salah Hamouri plus récemment…

Ils instrumentalisent la lutte contre l’antisémitisme, c’est coutumier mais ça n’en est pas moins abject. » En mai 2023, la venue de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri à Toulouse avait fait l’objet d’une soirée perturbée par des soutiens d’Israël, au premier rang desquels une élue de la majorité, proche de Jean-Luc Moudenc.

Maire d’une ville jumelée avec Tel-Aviv depuis 1962, Jean-Luc Moudenc a donc décidé de priver ses administré·es d’une exposition documentant une situation au sujet de laquelle, dans son arrêt du 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) parle de « risque génocidaire » et que, fin 2024, les ONG Amnesty International puis Human Rights Watch ont qualifiée de « génocide ».

« Cette décision [d’annulation], en privant le public du festival d’accès à cette exposition, participe à la déshumanisation de la population palestinienne », regrettent les cosignataires de la lettre ouverte, qui se disent « déterminés à la présenter au public toulousain dans les semaines à venir ».

 

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