Discours prononcé par John Monks, Secrétaire général de la CES, au au colloque : Nouveau monde, Nouveau capitalisme le 07 janvier 2010.
Avons-nous bien géré la crise ?
Le moins que l’on puisse dire est que nous avons mieux géré cette crise que cela ne fut le cas dans les années 30. Cette fois, les gouvernements n’ont pas diminué les dépenses publiques alors que les recettes fiscales s’effondraient. Cette fois, dans l’Union européenne en tous cas, les Etats-providence ont fourni une protection sociale et développé des politiques volontaristes pour l’emploi au lieu de la pauvreté de masse et du chômage des années 30.
Il est toutefois ironique de constater que, avant la crise, les dépenses publiques élevées et les Etats-providence relativement forts d’Europe occidentale étaient généralement présentés comme des obstacles à la compétitivité et à une meilleure performance économique. Et pourtant, ceux-ci ont démontré leur utilité pour assurer la stabilité et sont maintenant célébrés comme « stabilisateurs automatiques ».
Nous avons donc fait mieux que dans les années 30. Mais il ne saurait être ici question d’autosatisfaction ou de nous reposer sur nos lauriers. Comme Martin Wolf l’écrivait dans le Financial Times du 30 décembre, nous avons évité la mort du patient mais nous ne lui avons pas rendu la santé. L’économie globale est très fragile et, dans beaucoup de pays, les problèmes vont empirer avant un retour à une situation meilleure.
Le chômage continue à augmenter dans la plupart des pays, les jeunes étant particulièrement frappés. Quels que soient les détails techniques d’ordre économique, il n’y aura, dans l’esprit du public, pas de fin à la récession avant que le chômage ne diminue et ne diminue rapidement.
Garantir un travail, des études ou une formation aux jeunes Européens est maintenant une priorité des plus urgentes. Faute de quoi, nous risquons de pousser de nombreux jeunes au désespoir avec toutes les conséquences personnelles et sociales que cela comporte. J’en choisirai une : l’augmentation du racisme et les risques de conflits avec des travailleurs immigrés. Le risque augmente en même temps que la hausse du chômage et des privations.
Un second problème est notre niveau très élevé d’emprunt public, non pas dû au laxisme de notre politique fiscale mais bien à l’énorme faillite du monde des services financiers. D’aucuns s’inquiètent des niveaux de dette publique encourus et la pression existe d’adopter des stratégies de sortie. Les dépenses publiques importantes doivent pourtant perdurer en 2010 et tant que le secteur privé restera déprimé. Nous devons rester calmes, ne pas céder à la panique, et nous devons refuser les pressions pour abandonner prématurément les mesures de stimulation. La dernière chose dont nous avons besoin est une série de coupes sombres dans les dépenses publiques qui pourraient très bien changer la récession en dépression. Nous avons en fait besoin d’une stratégie d’entrée pour l’introduction de nouvelles politiques pour l’industrie et le marché de l’emploi afin de faciliter la mise ou la remise au travail et d’ouvrir la voie vers une économie verte lorsque les programmes de stimulation macroéconomiques seront réduits.
Ensuite, malgré des aides massives, le système financier connaît toujours de graves difficultés et il est clair que les gouvernements ne savent pas encore comment le réformer. Le secteur fait d’ailleurs pression, avec un certain succès, pour un retour aux affaires habituelles, et aux bonus, en exerçant sur les gouvernements un chantage à la délocalisation au cas où il serait soumis à de nouvelles règles strictes.
La CES en revanche fait pression pour que plus jamais ce secteur ne soit en position d’infliger de tels dégâts à l’économie mondiale. Une réglementation aux niveaux européen et mondial est essentielle pour éliminer les failles du système et supprimer les paradis fiscaux. Le faire de manière satisfaisante s’avère certes être une tâche ardue mais il est impératif que cela soit une priorité absolue en 2010. L’adoption d’une taxe sur les transactions financières serait un pas important dans la bonne direction.
La crise économique est également une crise morale. Le système des opérations à court terme a submergé l’économie sociale de marché. Il convient qu’il soit contenu par des changements dans la gouvernance des entreprises et dans les pratiques comptables. Les sociétés devraient être responsables vis-à-vis de toutes les parties prenantes, pas seulement de leurs actionnaires. Le système actuel manque de solidarité, augmente les inégalités et n’est pas durable.
Mais ceci n’est pas seulement une crise économique et morale. Il y a également la crise du réchauffement climatique qui a été traitée de manière tout à fait inadéquate à Copenhague. L’Europe s’y est trouvée marginalisée alors que quatre pays importants en rédigeaient le communiqué. Nous étions apparemment absents ! Ceci constitue un échec pour l’Europe et nous devons déterminer pourquoi nous avons été laissés sur la touche à Copenhague alors que nous prétendons être leader en matières environnementales.
Finalement, cet exemple met en évidence la nécessité d’une Union européenne plus forte. Nous avons besoin d’un plan européen de relance efficace axé en particulier sur des garanties pour le travail des jeunes et des personnes précarisées ; sur des politiques pour l’industrie et pour la recherche-développement à même de soutenir la production dans l’Union européenne et de rendre notre économie plus verte. Nous avons également besoin d’une dimension sociale réelle qui conforte les travailleurs et les autres dans l’idée que l’Europe n’est pas seulement un marché unique pour les affaires mais qu’elle est également faite pour les gens.Comme l’a souligné lundi le Président Van Rompuy, si l’Europe est incapable d’augmenter son taux de croissance, nous aurons moins d’influence sur la conduite des affaires mondiales en général et nous aurons également des difficultés à maintenir notre modèle social et nos services publics.
Il n’y a donc aucune raison de nous reposer sur nos lauriers ou de nous auto-féliciter. Grâce au ciel, nous n’avons pas suivi le Président Hoover et les autres dirigeants des années 30. Mais les fondements de l’économie globale se sont révélés être dangereusement fragiles et il nous reste un long, très long chemin à parcourir pour sortir de la crise.