Education : après les enquêtes PISA-OCDE
Déclaration du Front Syndical de Classe
Le 7 décembre, quelques jours avant que Luc Chatel n’annonce la nouvelle saignée de postes programmée pour l’école publique (-3367 emplois pour 8 300 élèves supplémentaires dans le 1er degré, - 4800 emplois pour 42 500 élèves en plus dans le Second degré, - 600 emplois de personnels administratifs), tombait le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), donnant les résultats de l’enquête internationale nommée PISA : des centaines de milliers d’élèves de 15 ans, issus d’une soixantaine de pays, ont été testés en 2009 dans trois domaines-clés, la compréhension de l'écrit, la culture mathématique et la culture scientifique.
Face à ce volumineux rapport, aux constats qui y apparaissent, et aux recommandations de l’OCDE qui en découlent, la FSU a publié un communiqué intitulé « Pisa 2009, la lutte contre les inégalités doit être une priorité »(à lire sur le site de la FSU au lien suivant : http://www.fsu.fr/spip.php?article2639 ), qui paraît prendre bien faiblement la mesure de ce qui se joue derrière cet événement.
Le FSC ne peut donc que recommander la lecture de l’analyse qu’en a tirée, le 11 décembre, Nico Hirtt, enseignant et syndicaliste belge, qui a produit de nombreux ouvrages sur les processus de marchandisation et de privatisation de l’école publique à l’œuvre en Europe depuis les années 90.
Ci-dessous un extrait de cette analyse (texte intégral à découvrir sur son site http://www.skolo.org/ ), qui rappelle le lien étroit entre OCDE et politiques éducatives dans les régimes capitalistes :
<< L’enquêtePISAest un thermomètre. Avant d’en tirer des leçons, il faut s’interroger : qui l’a fabriqué et pour quoi faire ? Que mesure exactement ce thermomètre ? L’initiative des enquêtesPISAprovient de l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE), un organisme international qui regroupe les pays les plus riches de la planète et qui formule des analyses et des recommandationssur la manière de faire fonctionner au mieux le capitalisme mondial. Comment privatiser les services publics ? Comment renflouer les banques sans faire mal à leurs actionnaires ? Comment orienter la recherche universitaire pour soutenir le bénéfice des entreprises ? Comment réduire la pression fiscale sur le capital et les riches ? Comment libéraliser les marchés mondiaux ? Comment diminuer les salaires sans provoquer de révolte sociale ? Voilà le genre de questions que se posent les experts de l’OCDEet auxquelles ils trouvent généralement des réponses bien inquiétantes pour les simples mortels que nous sommes.
L’OCDE et l’école
Depuis une vingtaine d’années, l’OCDE a aussi commencé à s’intéresser de près à l’enseignement. Avec l’exacerbation de la concurrence, l’accélération et l’aggravation des crises du capitalisme mondial, il s’agissait de faire en sorte que les dépenses de l’Etat pour l’éducation répondent le mieux possible aux « besoins » de l’économie, entendez : qu’elles servent le mieux possible la compétitivité et le profit. Il faut freiner la croissance des dépenses d’enseignement et réorienter les systèmes éducatifs sur les besoins nouveaux du marché du travail : voilà la recommandation que formule depuis vingt ans l’OCDE. Or, que réclame-t-il ce marché du travail ? Non pas une croissance générale des niveaux de formation, mais leur polarisation : d’un côté, beaucoup d’emplois hautement qualifiés, de l’autre, une masse de « petits boulots » dans les secteurs de services. Dans un rapport publié en 2001, l’OCDE écrit : « tous (les élèves) n’embrasseront pas une carrière dans le dynamique secteur de la “nouvelle économie” – en fait, la plupart ne le feront pas – de sorte que les programmes scolaires ne peuvent être conçus comme si tous devaient aller loin ». Il ne faut donc surtout pas aller trop loin dans la démocratisation de l’enseignement. Pas besoin d’avoir étudié beaucoup d’histoire, de géographie, des maths et des sciences de haut niveau pour travailler dans un McDo ou pour conduire une camionnette de Coca-Cola. En revanche, insiste l’OCDE, même dans ces emplois faiblement qualifiés, il faudra que les travailleurs soient capables de s’adapter à un environnement en changement rapide et il faudra qu’ils puissent facilement passer d’un poste de travail à un autre, d’une fonction à une autre. Cette « adaptabilité », cette « employabilité » sans qualification, devraient être acquises avant l’âge de 15 ans, par l’exercice de « compétences de base » en lecture, langues, mathématiques, sciences, informatique, etc. Ensuite, à partir de 15 ans, on fera le tri de ceux qui « iront loin » (et qui pourront alors dépasser les compétences de base), ceux qui apprendront un métier (dans une formation professionnelle étroite) et ceux qui iront très vite travailler dans les emplois précaires.
Il y a dix ans, l’OCDE a donc lancé l’initiative PISA, dans le double but d’encadrer et d’encourager la réforme de l’enseignement dans ce sens. PISA c’est une batterie de tests standardisés qui mesurent à quel point les élèves de 15 ans ont atteint ces compétences de base et rien d’autre. Comme l’explique clairement le rapport que vient de publier l’unité de l’Université de Liège, qui coordonne l’étude PISA en Communauté française : « La question est moins de savoir ce que les élèves de telle année peuvent faire, mais bien comment les élèves de 15 ans sont préparés à entrer dans la vie adulte. C’est pour cette raison que PISA évalue la culture mathématique ou scientifique, et pas les mathématiques ou les sciences. Ce qui pourrait sembler être un détail terminologique traduit la volonté de l’OCDE de voir si la culture des jeunes en mathématiques et sciences est suffisante par rapport aux demandes des sociétés industrialisées ». En langue maternelle, par exemple, on n’évalue ni les techniques de base, ni l’orthographe, ni la vitesse de lecture, ni la maîtrise d’un vaste vocabulaire, ni bien sûr le plaisir que l’on prend à lire, ni la qualité de ce qu’on lit, ni l’imagination dont on fait preuve dans la rédaction d’un texte... mais principalement la capacité de comprendre un texte dans un contexte directement opérationnel. Car c’est cela qui est demandé par les marchés du travail, particulièrement dans les emplois à faible niveau de qualification.
Si je prends toutes ces précautions, ce n’est pas pour dire que les données PISA ne valent rien ou que le travail des scientifiques qui ont préparé l’enquête aurait été mal effectué. Au contraire : jamais une étude de ce type n’aura été conduite avec de tels moyens et un tel souci de rigueur scientifique. Mais il faut comprendre que le thermomètre PISA ne peut pas nous apprendre autre chose que ce pour quoi il a été conçu : mesurer des compétences basiques en lecture, en mathématique et en sciences. PISA ne nous révélera pas si les élèves connaissent l’histoire de la colonisation belge au Congo, s’ils savent écrire sans faute, s’ils savent concevoir et développer le plan d’un texte à rédiger, s’ils parviennent à mémoriser des textes ou des formules, s’ils ont entendu parler de Victor Hugo, de la traite des nègres, de la Saint-Barthélémy ou de l’athéisme, s’ils savent danser, chanter, dessiner, cuisiner, raconter des histoires, engager une discussion sérieuse ou banale, s’ils ont un vocabulaire riche ou pauvre, s’ils peuvent utiliser une formule mathématique en physique ou en économie, s’ils distinguent communisme et fascisme, s’ils savent que les éoliennes produisent une fraction infime de notre électricité,... Tout ce savoir-là, toute cette ignorance-là, ne sont pas mesurés par PISA. >>
Concernant la France, les personnels d’éducation n’ont pas dû être surpris par le constat d’une aggravation des inégalités scolaires : la France, comme la Belgique, fait partie des pays où l’écart est le plus important entre les élèves les plus forts et les plus faibles, avec 20 % des élèves en échec scolaire (et le doublement du nombre d’élèves les « moins performants ») ; inégalités scolaires fortement marquées socialement, mais aussi ethniquement, mais là encore, est-ce surprenant ?
A partir de ces constats, la direction de la FSU rappelle avec juste raison, dans son communiqué, ses principales revendications pour le service public d’éducation, mais oublie de mentionner que l’OCDE formule, en direction des ministres de l’Education, bien d’autres recommandations, qui ne peuvent qu’accélérer la casse de ce service public :
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Autonomie, le maître-mot ! « Les systèmes très performants permettent aux établissements de concevoir des programmes d’enseignement et de définir des politiques d’évaluation… L’association d’une autonomie au plan local et d’une responsabilisation effective semble produire les meilleurs résultats. Les aides pour les élèves en difficultés doivent être globales et utiliser le temps familial »
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Fort pilotage et économie doivent faire bon ménage : « Les systèmes les plus performants ont tendance à privilégier le salaire des enseignants avant de réduire la taille des classes… Les établissements appliquant une discipline stricte et se caractérisant par de bonnes relations élèves-enseignants obtiennent de meilleurs résultats en compréhension de l’écrit… Il faut arrêter les redoublements… Les chefs d’établissement doivent être des leaders… »
Enfin, on apprend qu’en 2011, « dans le cadre du 50èmeanniversaire de l'OCDE, l'organisation va lancer deux nouveaux programmes pour aider les pays à construire, maintenir et améliorer les compétences de leurs citoyens et préparer le meilleur des futurs. » Tout un programme !
Pour le FSC, « le meilleur des futurs », ce n’est certainement pas celui dessiné par les maîtres à penser du capital que servent avec zèle les Chatel, Pécresse et consorts ; il sera à conquérir par les luttes convergentes, de la Maternelle à l’Université, pour que l’école et la recherche publiques puissent enfin jouer pleinement leur rôle d’émancipation et de progrès social pour tous les citoyens de notre pays.