FSU : pour ou contre l'adhésion à la CES ?
Professeur au lycée I.Dauphin de Cavaillon.
Nous avons discuté, le jour du congrès départemental FSU.84, dans le cadre du thème IV: « quelle FSU pour quel syndicalisme », de l'opportunité d'adhérer ou non à la CES. J'aimerais poursuivre la discussion avec ceux qui le veulent bien, car je pense que le sujet, et les conséquences possibles pour notre syndicat, doivent être débattus plus en profondeur. Le temps nous a manqué. Le résultat du vote, après le petit débat improvisé, révèle d'ailleurs un enthousiasme, pour le moins modéré pour une adhésion à la CES. Je persiste donc à penser que ce débat doit avoir lieu, même si le congrès départemental a accepté l'idée d'une prise de décision rapide dans moins d'un mois à Lille.
Mon argumentation s'organisera autour de 3 questions essentielles :
-à quoi sert la CES, c'est à dire pourquoi a-t-elle été faite ?
-Un syndicat membre de la CES peut-il infléchir la position de la CES ou au contraire la CES infléchit-elle la position d'un syndicat membre qui ne serait pas euro-compatible ?
-N'y a-t-il pas une contradiction entre le fonctionnement de la FSU et son adhésion à la CES ?
1. A quoi sert la CES, ou pourquoi la CES a-t-elle été instituée ?
A l'origine de la construction européenne, dans les années 1950 (CECA), il y a une profonde division idéologique du syndicalisme européen en fonction des deux grandes idéologies dominantes. D'un côté la confédération européenne des syndicats libres (CESL) et de l'autre, l'organisation européenne de la confédération mondiale du travail (OE / CMT). En même temps dans les cercles européistes se développe une vision du syndicalisme qui correspond à une logique fonctionnaliste. Les syndicats doivent être des groupes d'intérêts. A ce titre, ils doivent s'intégrer, comme d'autres groupes d'intérêts, et participer aux débats dans le cadre institutionnel européen. Dans cette vision du syndicalisme européen, qui est la doublure syndicale du projet politique fédéral de J.Monnet, les syndicats doivent réduire leur approche nationale pour l'orienter résolument vers le niveau européen. C'est de ce projet et de cette conception du syndicalisme qu'est née la CES. Dans cette logique du « dialogue social européen », le syndicalisme européen, comme les autres lobbies, doit avant tout, exercer une influence, une action de tous les jours auprès des institutions européennes et principalement auprès des services de la commissions, tour de contrôle des institutions européennes.
Evidemment dès le début, dans les années 1960, les syndicats qui s'orientent dans cette forme d'action syndicale, manquent cruellement de moyens par rapport à leurs vis à vis patronaux. La prétendue relance de la construction européenne au sommet de la Haye en 1969 (après la démission de De Gaulle), s'accompagne d'un nouveau dispositif de noyautage du syndicalisme européen dans de nouvelles structures pour accueillir les syndicalistes européens, qui acceptent le cadre institutionnel. Ces syndicats, en participant à ces dispositifs, ne remettront plus en cause les grandes orientations politiques décidées en partenariat entre la commission (proposition) et le conseil des ministres (décisions). En 1970, sont donc mis en place l'organisation d'une conférence tripartite sur les problèmes de l'emploi, la création d'un comité permanent de l'emploi et des rencontre organisées à Val Duchesse par le vice-président de la commission, Raymond Barre. C'est dans ce contexte d'une illusion des progrès sociaux par le dialogue social européen, que naît en 1973 la CES. Elle devient très vite le représentant unique du syndicalisme européen pour négocier avec les institutions européennes, ce qui a été confirmé dans tous les traités, en particulier dans le traité en vigueur depuis le 1 er décembre 2009, le traité de Lisbonne. Dans les années 1980, la CES insiste sur la nécessité de renforcer les pouvoirs des institutions européennes face aux gouvernement nationaux. Le début de l'acceptation du dogme néolibéral par le CES était enclenchée, puisque dans tous les traités, renforcement des compétences européennes rimaient avec inscriptions des dogmes néolibéraux : libre-échange, extension de la législation concurrentielle, disparition de la notion de services publics (SIG /SIEG)... En 1986, la CES accepta le traité de l' Acte unique, traité qui permit ensuite de faciliter l'adoption de toutes les directives qui mettront en oeuvre le grand marché. Déjà la CES, pour faire avaler ce qui pour un syndicaliste aurait du être complètement indigeste, fit valoir un progrès institutionnel à ses yeux capital : le vote à la majorité qualifiée (à la place de l'unanimité) de certains sujets, notamment le domaine social. Dès lors la mécanique est bien rodée pour que la CES fasse accepter aux salariés une nouvelle étape de la réalisation néolibérale de la construction européenne, il suffit, à chaque changement institutionnel, de donner quelques miettes revendiquées par la CES, qui les fera valoir comme une grande victoire du syndicalisme européen. Ainsi en 1992, pour que la CES soutienne le traité de Maastricht, il a simplement fallu promettre de lancement des premières négociations aboutissant à des conventions collectives européennes, organisées ensuite par une directive. Il fallait vraiment cela, car quand on lit le traité de Maastricht, même à la loupe on ne voit aucune garantie sociale donnée aux salariés. Ensuite la CES acceptera les traités d'Amsterdam, de Nice, le TCE et de Lisbonne. Dans cette évolution libérale de la construction européenne, qu'est-ce que la CES a refusé ? Rien !
Dans les années 60, 70 et 80, ce fonctionnement et ces objectifs syndicaux furent mis en oeuvre par des syndicats d'inspiration chrétienne-démocrate ou sociale-démocrate, proches des deux grandes forces politiques qui ont construit l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui. Dans les années 1990, suite aux bouleversements politiques européens, l'élargissement de la CES à des syndicats ayant une autre inspiration idéologique, laisse augurer d'un infléchissement des orientations de la CES.
2. Un syndicat peut-il infléchir la position de la CES ou au contraire la CES infléchit-elle la position d'un syndicat membre ?
On aurait pu légitimement penser que la CES aurait pu évoluer au gré des adhésions, d'autant plus que dans les années 1990, de nombreux syndicats européens membres ou proches de la Fédération syndicale mondiale d'inspiration marxiste adhèrent à la CES. La CGT est un bon exemple de ce mouvement, puisqu'elle se désaffilie de la FSM en 1995 et adhère à la CES en 1999.
Pendant ce temps, le rôle de la structure centrale de la CES (secrétariat) est renforcé, réduisant ainsi le poids respectif de chaque syndicats. Elargissement (aujourd'hui la CES regroupe 82 organisations membres de 36 pays, pour la France CFDT, CFTC, CGT, FO et UNSA) et approfondissement se firent donc en même temps, à l'image de ce que fut la construction européenne dans les années 1990.
Les syndicats qui ont adhéré dans les années 1990 n'ont jamais réussi à infléchir les positions de la CES, pour construire une Europe sociale et solidaire, comme ils le prétendaient au moment de leur adhésion.
Prenons deux exemples.
-Dans le domaine des institutions, on se rappelle en 2005, la position du secrétaire général de le CGT, favorable à la ratification du TCE, pour que la CGT s'aligne sur la position de Johns Monks, secrétaire général de la CES, qui dans la campagne référendaire parlait au nom de pratiquement tous les syndicats, en tout cas, ceux affiliés à la CES, heureusement à ce moment là la FSU avait sa liberté d'expression. Même si la CGT s'engage, contre l'avis de son secrétaire général, en faveur du non au TCE, et participe avec d'autres organisations au refus du TCE, celui-ci reviendra finalement sous la même forme, avec un autre nom : traité de Lisbonne. En 2007, à l'occasion du 11 eme congrès de la CES à Séville, Johns Monks et la CES soutiennent de nouveau le traité de Lisbonne, sans que la CGT ne s'oppose à cette décision, qui va à l'encontre de la position de la majorité des syndiqués de la CGT. En 2008, quand le traité de Lisbonne sera ratifié par le parlement, en lieu et place du peuple, la CGT ne participera à aucune manifestation de dénonciation de ce coup de force contre le verdict populaire du 29 mai 2005.
-Dans le domaine des revendications sociales, même constat, la CES impose sa ligne politique et la CGT, au mieux, ne fait que la regretter. Ainsi en est-il par exemple de la fléxicurité, imposée par le patronat européen et acceptée par la CES. La présidente du congrès de la CES, Wanja Lunby-Wedin précise seulement : « ce mot ne doit pas être utilisé seulement pour exiger plus de souplesse chez les travailleurs, mais pour permettre aussi d'obtenir plus de sécurité ». Membre de la CES, il n'est plus question pour la CGT de combattre la fléxicurité, mais d'accompagner sa mise en oeuvre, puisque son amendement a été rejeté au congrès de Séville. La délégation de la CGT au congrès de Séville a aussi regretté : « de ne pas avoir eu plus de précision quant aux bases sur lesquelles la CES va négocier sur la fléxisécurité à Bruxelles ». Ainsi la CGT non seulement n'influe pas sur les prises de décision de la CES, mais en plus, elle ne peut pas non plus influer sur les négociations entre la CES et la commission européenne. Si la CGT, premier confédération syndicale française pèse si peu dans les choix politiques de la CES, qu'en sera-t-il de la FSU ?
Si la CGT ne peut infléchir les positions européistes de la CES, on peut par contre observer les possibilités de la CES de neutraliser les positions de la CGT. On peut lire sur le site de la CGT, dans la présentation de la CES: « l'incidence grandissante de la législation européenne sur la vie des tous les jours, à changé le cadre d'action des syndicats. Pour défendre leurs membres et négocier en leur nom efficacement au niveau national, ils doivent coordonner leurs activités et leurs politiques sur le plan européen. Pour influencer l'économie et la société au sens large, ils se doivent de parler d'une même voix et d'agir de concert européen ». La voix européenne en question, celle de la CES, est celle d'un accompagnement d'une construction libérale de l'Europe. Cette position syndicale est celle de la CES depuis l'origine en 1973. N'est-il pas contradictoire, et donc inefficace, de combattre des politiques néolibérales dans chacun des pays de l'Union européenne, et de confier le pouvoir de négociation avec les institutions européennes à des représentants syndicaux qui acceptent toute la législation européenne ?
3. N'y a-t-il pas une contradiction entre le fonctionnement de la FSU et son adhésion à la CES ?
Mardi 12 janvier 2010, nous avons débattu d'un amendement proposé par Emancipation. Il s'agit de l'Art.6. La proposition d'amendement pour compléter l'art 6 est la suivante : « cependant les questions transversales aux syndicats nationaux relèvent d'un champ de compétence fédéral. Pour ces questions, la Fédération oeuvre à l'élaboration de positions fédérales communes fondées sur l'avis majoritaire de touTEs les syndiquéEs. La fédération impulse les mobilisations unitaires et intercatégorielles débattues à tous les niveaux dans le cadre de ses instances ».
Par cet amendement Emancipation propose de donner un rôle plus important à la Fédération pour dépasser les blocages sur certains sujets entre syndicats membres de la FSU, à l'image de ce que nous n'avons pas connu pour la réforme du recrutement des enseignants. Il est à signaler, que la procédure proposée est la suivante : « la Fédération oeuvre à l'élaboration de positions fédérales communes fondées sur l'avis majoritaire de touTES les syndiquéEs ». Procédure démocratique, puisqu'elle permet de mettre en débat des opinions différentes et d'arrêter une position définitive en s'en remettant à touTES les syndiquéEs. Dans notre congrès départemental, cette conception de la vie syndicale proposée par Emancipation, a été refusée par UA, car elle ne permettrait plus à chaque syndicat de garder sa ligne de conduite. Eventuellement même, des positions imposées par la Fédération à un ou plusieurs syndicats pourraient être à l'origine d'un conflit, de la même nature que le conflit interne à la FEN, qui avait été à l'origine de la scission et de la création de la FSU. Si UA est si scrupuleux de l'indépendance syndicale, alors il ne faut surtout pas adhérer à la CES, car dans l'epace syndical CES, la FSU ne comptera absolument pas et ses éventuelles oppositions ne seront jamais prises en compte. Elles le seront d'autant moins, que dans ses statuts et son fonctionnement, la CES a considérablement évolué dans les années 90. Les congrès de Luxembourg en 1991 et Bruxelles en 1999, ont renforcé le fédéralisme et les pouvoirs du secrétariat (1 secrétaire général, 1 secrétaire général adjoint et 3 secrétaires confédéraux). Selon l'article 24 des statuts de la CES, le secrétariat : « organise les représentations auprès des institutions européennes et le dialogue avec les organisations patronales européennes. Projette et recommande les actions syndicales à entreprendre par la confédération et toutes ses composante ». Le secrétariat de la CES c'est donc à la fois l'exécutif et une grande partie du législatif de l'organisation syndicale.
Comment expliquer la contradiction d'UA qui d'un côté, au niveau de la Fédération nationale exige une volonté d'indépendance totale des syndicats membres, et de l'autre côté souhaite une adhésion dans une structure syndicale, dans laquelle on ne tient pas compte des syndicats membres, mais uniquement de la conformité des syndicats aux dogmes européistes consignés dans les traités européens ?
Je propose deux hypothéses que je soumets à la discussion :
-certains considèrent que l'adhésion à la CES n'aura pas d'implication directe sur nos revendications et nos actions syndicales. On pense donc que les décisions européennes ne sont pas déterminantes. Ceux qui voient les choses ainsi, pensent donc que les politiques économiques et sociales sont nationales, et qu'il suffit d'agir à cette échelle. Dans ces conditions, à quoi pourrait servir une adhésion à la CES, sinon à organiser un rassemblement pour échanger des points de vue, éventuellement faire quelques actions européennes, mais pas plus. Pour cela, nous pouvons facilement le faire, même si nous ne sommes pas membres de la CES.
-D'autres pensent que les traités et les directives européennes ont force de loi (ce qu'ils ont effectivement), dans chacun des pays membres, notamment par les transcription des directives européennes dans la législation nationale. Actuellement c'est ce qui est en train de se faire pour la directive services. Selon cette vision des choses, on accepte ces décisions comme des contraintes contre lesquelles on ne peut pas se battre, mais simplement essayer d'accompagner au mieux les régression sociales imposées (voir plus haut la CGT et la fléxicurité). Dans ces conditions on a raison de vouloir à la CES puisqu'elle est faite pour cela.
Aucune des ces deux hypothèses ne me convient pour expliquer la contradiction d'UA vis à vis de la CES. Je demande donc, avant le congrès, que nous reprenions la discussion, pour que les uns et les autres, nous reconsidérions nos positions. Je ne demande qu'à être convaincu de l'utilité syndicale de l'adhésion de la FSU à la CES, avec des arguments sérieux et crédibles, mais franchement aujourd'hui ne je n'en vois aucun.