Jean, un des nôtres
Jean, un des nôtres
En italiques, des citations de son répertoire.
Au fil des décennies, il n'a cessé de confronter sa guitare et sa plume au réel.
C'est l'histoire réelle qu'il a chanté, liant les calendriers de la révolte et de la beauté:
1871: ils se levaient pour la commune, écoute bien chanter Clément, 1905: c'est mon frère qu'on assassine, Potemkine, 1936: je n'irai jamais à Grenade, 1939: les allemands guettaient du haut des miradors 1,
1952: ne pleurez plus mes fils 2, le monde entier saura 1958: Cuba, si… les guérilleros, 1968: Au printemps de quoi rêvais tu ?… houhou méfions nous, les flics sont partout, 1972: Les guerres coloniales, les guerres du mensonge, c'est vous et vos pareils qui en êtes tuteurs3… Elle avait de sa main douce et fine tué dix américains, 1982: Mettre jour après jour un peu d'eau dans son vin jusqu'à ces mises en garde posthumes: Si la bête immonde sort de sa tanière nous retrouverons le chemin des bois…et: Il ne faut plus dire qu'en France on peut dormir à l'abri, des Pinochets en puissance travaillent aussi du képi.
C'est notre réel qui résonne dans ses arpèges et ses vers : femmes "domestiquées": prise comme marteau et enclume entre la cuisine et l'armoire, handicapés mentaux qu'on enferme: viens mon frelot, les vieux parqués à l'hospice: tu verras, tu seras bien, tous les "déviants" montrés du doigt dans: les vipères.
Contre le lavage globalisé des cerveaux et la colonisation anglo-saxonne il avait plusieurs cordes à son arc, à sa guitare de combat ; parfois l'humour: si je veux coller à mon époque, il me faut braire en amerloque parfois la véhémence: ce soir, les racketteurs, les assassins sont à la une, mais toujours ce parti pris: chanter, mais pas faire semblant et refuser ce qu'on murmure aux enfants de la bourgeoisie.
Ses chansons sont un crachat à la gueule des tartuffes qui prétendent aujourd'hui honorer sa mémoire4 :
Ils font de nos campagnes un désert et fredonnent: pourtant que la montagne est belle; ils font de l'amour un lupanar mondain et une marchandise sirupeuse et se pâment devant: que serais-je sans toi? ou: aimer à perdre la raison; Mais: la boldochévique, la bonne tisane des bourgeois leur reste en travers de la gorge, tout comme: engraisser les scélérats de l'industrie pharmaceutique et: je blasphème de vos profits le saint nom.
Pour ceux dont l'ombre se lève grise et sale sur la sinistre cour pavée… pour ceux qui vivent la lutte obstinée de ce pain quotidien, pour ceux qui cherchent à comprendre la fleur et le fruit, comprendre le monde d'aujourd'hui, elles sont un miel, un rayon de soleil, un appel ;
Face aux interventions militaires, l'appel urgent à un monde sans guerre ; face aux diktats de l'Europe des super patrons, l'appel plus actuel que jamais: elle répond toujours du nom de Robespierre, ma France... Que je chante à jamais celle des travailleurs.
Merci et bon repos 5, camarade Ferrat.
S.North
1 Dans l'inoubliable "Nuit & Brouillard", la "rétrospective" télé du 14-3 a censuré cette vilaine phrase, "grosse Europa" oblige.
2 Il s'agit de la bouleversante lettre d'Ethel Rosemberg à ses enfants, la veille de son électrocution par les bandits du Maccarthysme.
3 Chanson que les "enfants de Pétain" traînèrent en "justice".
4 Boycott acharné de ses chansons, pressions financières… le succès populaire en a fait litière.
5 Dans le Journal du dimanche, un nécrophage de service a osé: "rendons le au communisme, cette âpre illusion à jamais évanouie". Quand au "spécial Ferrat" de l'Humanité, on y trouve, à côté d'hommages généreux, ces puantes douceurs : Sarkozy (medef & co): "il privilégiait l'authenticité de l'artisanat à la facilité consumériste des standards commerciaux". Aubry (Maastricht & retraites) : "il incarnait la difficile synthèse entre la révolte et l'idéal" ; Untel : "il incarnait la France humaniste qu'on aime, loin des divisions d'aujourd'hui". Le tartempion qui fait office de directeur du journal discerne dans la jungle ou le zoo "un vibrant plaidoyer pour rechercher un chemin humaniste entre le soviétisme et le capitalisme". Laissons le dernier mot à jean Ferrat : et votre teint devient blême quand je dis : révolution!