Lettre du syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste à Monsieur Jean-Paul Bailly, Président du groupe la Poste
Syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste
à
Monsieur Jean-Paul Bailly, Président du groupe la Poste.
Monsieur le Président,
Les rapports annuels des médecins de la Poste soulignent depuis plusieurs années une dégradation de la vie au travail :
- Des suicides ou des tentatives de suicide, dont on peut penser qu'ils sont exclusivement liés à des situations de vie professionnelles, surviennent dans toutes les régions, dans tous les métiers et aux différents niveaux de l'entreprise.
- Le taux d’absentéisme pour maladie atteint des seuils sans précédent.
Les accidents de travail et les maladies professionnelles sont en très forte augmentation.
Le mal être au travail touche tous les niveaux opérationnels d'entreprise. Les agents et leurs encadrants traversent des réorganisations rapides et successives, sont confrontés à des injonctions contradictoires sans avoir de perspectives d'amélioration. Cette situation est mesurée au quotidien par les médecins de la poste.
Les agents de distribution sont confrontés à des situations d'épuisement physique et psychique. Cela est lié aux nouvelles organisations de travail, dont la mise en place est très variable d'un établissement à l’autre.
- Ainsi, La Poste crée des «inaptes» physiques et psychologiques.
Notre analyse en quelques phrases :
Des faits significatifs :
- Les reclassements professionnels effectifs et durables sont devenus quasi impossibles.
- Une très forte pression commerciale individuelle et quotidienne est exercée sur les guichetiers sans formation, et surtouts sans analyse des impacts sur les individus.
- Les organisations de travail sont de plus en plus virtuelles, en décalage avec la réalité du quotidien sur le terrain. La dette sociale (repos non accordé aux agents) est énorme, les dépassements des horaires de travail non rémunérés sont quotidiens, les amplitudes maximales de travail sont régulièrement dépassées.
- Dans de nombreux établissements faute de moyens de remplacement des agents n'arrivent plus à obtenir des congés à des dates permettant de les partager avec leurs proches.
- Le dispositif d'accompagnement du handicap est inopérant quand il s'agit de répondre à des situations humaines douloureuses concrètes et le plus souvent urgentes.
- Les agents sont placés en «surnombre» ou en «sureffectif» au gré des réorganisations et selon des critères parfois injustifiés. Une pression s exerce à ors sur eux pour les inciter à partir de façon anticipée en retraite, à l'externe, ou sur des mobilités géographique imposées.
2 : Une communication trouble et à deux vitesses :
- Une très grande distorsion est perçue par les agents entre la communication interne de l'entreprise, (ETC, nombreux journaux internes et courriers adressés au domicile privé des agents) et la réalité du quotidien au travail, ce qui aggrave encore leur désarroi.
En effet, l'entreprise y est présentée comme un modèle social et un exemple à suivre.
Certaines démarches dans le domaine de la santé au travail ont même été mises en avant en externe, dans la presse écrite ou radio, et dans différents colloque sous l'autorité des ministres de la santé ou du travail, notamment sur le dispositif d'évaluation du stress professionnel, et sur la formation.
Cela même a lorsqu'il ne s'agit que de projets non déployés.
Mais en parallèle un discours beaucoup plus alarmiste est tenu, sur les évolutions des métiers, sur la crise économique, le dernier exemple en date est le dossier de «Capital» de janvier 2010. Ces positions et ces informations n'échappent pas au personnel et circulent largement.
Votre courrier du 9 septembre 2009, e n principe à destination des agents, qui se voulait rassurant dans les faits resté très confidentiel, au point que même les services médico-sociaux n'en furent pas destinataires), ne correspond en rien aux préoccupations quotidiennes de nombreux a gents.
3) Des actions à mettre ou à remettre en place :
- Le dispositif d'évaluation et de suivi du stress professionnel qui a été stoppé dans son déploiement.
Cet arrêt a pu faire suite aux premiers tests et aux résultats alarmants qui en émanaient. Il semble qu'il soit de nouveau d'actualité.
Nous nous interrogeons toujours sur la finalité de cette opération qui est d'une compétence R H.
Par ailleurs nous sommes toujours opposés à son traitement avec les moyens existants par les services médicaux. Le raisonnement scientifique qui voudrait en faire un examen complémentaire individuel est contestable, des réserves importantes sur la validité scientifique du déploiement du questionnaire sont également posées.
- Une place prépondérante des médecins du travail d’observatoire de la santé est nécessaire où les médecins de l'entreprise sont plus que légitimes (ce qui n'était pas prévu à l'origine) dans la construction de la réflexion conduite par le conseil scientifique.
- Une analyse des indicateurs de vie au travail déjà nombreux dans l'entreprise devrait être engagée avant de se lancer dans de nouvelles recherches.
Certains constats semblent établis, des études ont été réalisées, des groupes de travail ont fait des propositions.
Cela permettrait de passer au plus vite à un plan d'action, dont il faudra de toute façon ensuite évaluer la pertinence.
- Une mise à disposition suffisante de moyens matériels et humains pour les médecins du travail et un meilleur niveau de formation professionnelle ces points restent à ce jour très problématique malgré de nombreuses rencontres avec vos collaborateurs.
Une reconstruction du dialogue est nécessaire, délivrée des entraves répétées à notre exercice professionnel, délivrée des errements et postures de certains cadres dirigeants qui compliquent nos missions.
Aujourd'hui, nous considérons que l'indépendance du médecin du travail n'est plus assurée à la Poste.
Le respect des règles éthiques et déontologiques qui s'imposent à notre profession se trouve mis en cause.
A travers un manque de moyens matériels et humains, il pourrait s'agir d'une forme d'entrave à notre exercice professionnel.
Ces points ont fait l'objet d'une demande solennelle à vos services en 2OO9 par courrier d'avocats. (Certains médecins ont à supporter des pressions inadmissibles de la part de dirigeants que nous jugeons irresponsables et qui s'apparentent à une forme de maltraitance).
Un accord social (projet du 14 Octobre2009), a été soumis aux partenaires sociaux, il met en avant les services médico-sociaux pour répondre aux préoccupations des agents, des partenaires sociaux, et de l'entreprise. Faisons-le vivre, mais avec les moyens nécessaires et indispensables à sa réussite.
Mais attention, il ne faudrait pas uniquement médicaliser (au sens évacuer) des problèmes aussi préoccupants que l'absentéisme et la souffrance a u travail. Les solutions ne sont ni dans le cabinet du médecin, ni dans des questionnaires généraux, il faudra en passer par une analyse des situations de travail réelles.
Monsieur le Président,
Nous avons loyalement alerté nos directions et notre filière de cette situation alarmante et sommes déçus par le peu de considération apportée, voire plus grave par le déni manifeste.
Il faut pourtant engager des actions concrètes pour enrayer ce qui pourrait vite devenir un processus morbide, connu aujourd'hui par d'autres entreprises.
En 2007, déjà, notre précédente intervention auprès de vous portait sur deux tentatives de suicide de médecins de prévention professionnelle de la Poste, pour lesquelles nous affirmions un lien direct avec l'exercice de leur profession.
La médecine de prévention professionnelle ne saurait servir de réponse ou de caution à une stratégie d'entreprise. De nombreux indicateurs existent, faut-il attendre des résultats d'études longues et coûteuses, voire inopérantes, pour agir.
Les médecins remplissent leur rôle d'alerte, cela grâce à leur expérience de terrain et à leur sens clinique' ils ont un lien privilégié avec les agents qu'ils ont en charge.
Concernant leurs faibles moyens d'action. Faut-il attendre que les services médicaux soient soumis aux agréments des autorités de tutelle pour que soient enfin reconnus leurs besoins ?
Une médecine du travail exerçant sa mission sans moyens sans budget, sans personnel, dont les avis sont niés ou bafoués, ne saurait éviter à elle seule une catastrophe.
Nous voulons rester des partenaires à part entière, notre expertise et nos conseils doivent pouvoir être entendus.
La Poste s'est engagée dans un processus de modernisation et d'amélioration des conditions matérielles de travail depuis plusieurs années maintenant.
Nous vous demandons d'user de toute votre autorité pour que ces avancées ne soient pas effacées en quelques-mois.
Des organisations de travail réalistes, une dimension collective et humaine du travail, le respect et la reconnaissance dus à des agents fiers de servir la Poste et leurs clients sont des valeurs qui permettent de garder un sens au travail.
Ces mots ne peuvent rester un simple effet de communication il faut souhaiter qu'ils retrouvent tout leur sens dans la réalité. Pour qu'enfin la confiance grandisse.
Nous sommes tout disposés à échanger sur ce constat de façon constructive à votre convenance.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre considération distinguée.
Pour le bureau syndical,
Dr JP Kaufmant.
Copies :
-Monsieur le Ministre du Travail, Monsieur Eric WOERTH
-Madame la Ministre de la Santé, Madame R. BACHELOT
-Madame la Ministre de l'Economie Madame C.LAGARDE
-Monsieur le Président du Conseil National de l'Ordre des Médecins,
-Mesdames et messieurs les membres du CCHS.CT de la Poste,
-Monsieur le Dr P. FAILLIE- médecin inspecteur du travail de Picardie,
-Monsieur EGGENSCHWILLER - Inspecteur du travail, Amiens.