Luttes / Intervention de Patrice Villeret, délégué CGT à la Fonderie du Poitou Aluminium
Chers amis, chers camarades,
Je vous adresse ce récit qui relate une grève toute récente de huit semaines qui vient de se terminer à Fonderie Du Poitou Aluminium dans la Vienne.
Cette intervention de Patrice Villeret, délégué syndical CGT, a eu lieu à Logrèves, le 4 novembre, devant les travailleurs de l'usine motoriste SNECMA.
Je veux la diffuser au maximum parce que les média nationaux n'ont pas fait trop de cas de cette lutte exemplaire à plus d'un titre :
– exemplaire par la violence de l'attaque patronale faite aux salariés de cette entreprise
– exemplaire par la riposte courageuse, lucide et tenace des travailleurs.
– exemplaire par la solidarité qui s'est forgée entre tous pendant huit semaines et qui leur a permis de reprendre le travail, la tête haute, sans avoir rien lâché.
C'est une leçon pour nous tous de ne jamais baisser les bras.
Rien n'est fatal.
François Voisin
Intervention de Patrice Villeret, délégué CGT à la Fonderie du Poitou Aluminium dans la Vienne devant les travailleurs de l'usine motoriste
SNECMA le 4 novembre 2011.
Je vous apporte les salutations des camarades de la CGT de FDPA,
Cela ne vous surprendra pas, je vais vous parler des évènements qui se sont passés à la Fonderie du Poitou Alu. Je travaille, depuis 30 ans, dans cette entreprise du groupe Montupet qui est installée à Ingrandes-sur-Vienne à quelques kilomètres au nord de Châtellerault.
Le 13 juillet dernier, le directeur de la Fonderie a annoncé à la fin d'un comité d'entreprise ordinaire la mise en œuvre d’un plan dit de compétitivité. Il était question de baisser nos salaires de 15 %.
Le 25 juillet, à quatre jours de notre départ en congés, la direction a précisé son projet. La fonderie d'Ingrandes n'étant, paraît-il, pas assez compétitive, et nos salaires trop élevés par rapport à ceux des deux autres établissements de Montupet en France, nous allions devoir accepter qu'ils soient diminués. Non pas de 15 %, comme envisagé précédemment, mais carrément de 25 % !
Les patrons agrémentaient le tout d'une dénonciation de la grille salariale. Ils n'oubliaient pas les techniciens, agents de maîtrise et cadres, qui se voyaient menacés de la perte de 14 jours de RTT, d'un blocage de trois ans des salaires, et de la mise à disposition dans les usines européennes du groupe de 50 agents des « structures ».
Pour un salaire de 1500 € net, salaire que se font beaucoup d'entre nous en travaillant en équipe depuis 20 ou 30 ans, cela signifiait la perspective d'une perte de 350 à 400 € par mois. Trois mois de salaire en moins par an !
Le pire c’est que la loi permet qu’à la seule condition qu'il ait notifié la modification du contrat de travail dans les formes prévues, le patron peut procéder au licenciement économique de tout salarié qui refuserait la baisse de son salaire.
Accepter une baisse d'un quart de nos salaires, ou bien nous retrouver à la porte, voilà donc la nouvelle qui nous est tombée dessus en guise de prime de vacances, assortie de la menace que les lettres de remise en cause des contrats nous parviennent pendant les congés, et que nous soyons donc confrontés individuellement au choix pourri proposé par les patrons.
Dans un premier temps, la nouvelle nous a un peu sonnés. Mais la colère l'a vite emporté, et avec elle, l'envie de ne pas nous laisser faire.
Pourquoi devrions-nous revenir 30 ans en arrière alors que les bénéfices sont en hausse ?
Pourquoi accepter de voir nos familles plonger dans les difficultés, voire dans la misère alors que le Pdg de Montupet Magnan s'octroie un salaire annuel d'un million d'euros en plus du revenu de son paquet de 115 000 actions ?
Et puis comment croire qu'accepter de sacrifier nos salaires protégerait en quoi que ce soit nos emplois après l'expérience des travailleurs de Continental, de Bosch, de Fenwick ou de Renault-Vilvoorde ?
Enfin, pourquoi accepter qu'après avoir engraissé quatre patrons successifs – Renault jusqu'en 1998, Teksid, puis des fonds d'investissement américain et allemand, que ce soit Montupet un groupe Français qui nous fasse les poches ?
C'était décidé : S'ils ne retiraient pas leur plan, le 2 septembre, jour prévu d'un nouveau comité d'entreprise serait aussi le premier jour de la grève que nous avions décidé de leur opposer.
De fait, le 2 septembre, quatre jours après le retour de congés, la grève était quasi totale. Puisque Montupet n'avait pas remisé son plan, c'en était fini de la production des culasses.
On peut dire qu'en huit semaines de grève, nous avons en effet fait parler de nous, jusqu'à percer le mur d'indifférence des médias nationaux, et surtout jusqu'à poser un problème certain au patronat et à ses larbins gouvernementaux.
Nos premières sorties, nous les avons consacrées à des visites dans les entreprises les plus proches des fonderies : Aigle, et Hutchinson. Nous nous sommes adressés à la population ouvrière en multipliant les diffusions de tracts, aux ronds-points d'accès des zones industrielles, aux portes des entreprises.
Nous avons aussi rendu visite aux concessions automobiles, les Renault, PSA, Dacia, Toyota. Demandé aux directeurs inquiets de transmettre notre message, et discuté avec des employés et des mécanos qui n'ont pas hésité à afficher leur solidarité.
A trois reprises, nous sommes allés à Montupet Châteauroux, dont deux fois en cars à plus de 250. Là-bas, nous avons pu mesurer à quel point les grilles derrière lesquelles on cherche à enfermer les travailleurs résistent bien peu à des grévistes déterminés. Et vérifier aussi que la réactivité, la combativité dont ont fait preuve les travailleurs des fonderies du Poitou, nous ont permis de conquérir au fil des années non seulement des salaires un peu moins médiocres, mais également des conditions de travail moins précaires qu'à Châteauroux.
Nous avons aussi envoyé une délégation de grévistes à la fonderie de Laigneville, dans l'Oise, où l'accueil des travailleurs a été chaleureux, même si l'ambiance n'était pas à se joindre à la lutte.
Et nous sommes allés aux sièges de Montupet, à Clichy-la-Garenne, et de Renault, à Boulogne-Billancourt. Renault vers lequel partent 85 % des culasses que nous produisons. Les représentants de la direction Renault ont eu la franchise cynique de nous dire que baisser les salaires, c'est une mesure à laquelle ils pourraient eux-aussi tout à fait recourir en fonction de la conjoncture.
C'est seulement au bout de quatre semaines, le vendredi 30 septembre, que le Préfet a mis sur pied une réunion tripartite entre la préfecture, la direction de Montupet et les syndicats.
A cette réunion, la seule proposition du Pdg Magnan fut d'oser nous proposer d'arrêter la grève en échange de séances d'explication de son plan de compétitivité !
Dès le lundi matin 3 octobre, nous avons pris le contrôle de la fonderie en installant notre camp de base au carrefour d'accès commun aux fonderies alu et fonte baptisé « carrefour des luttes ». Nous interdisions ainsi l'accès des camions, et ne laissions passer que les travailleurs de la fonte, qui manifestaient leur solidarité en s'attardant volontiers pour discuter.
Avec les culasses en stock, nous avons érigé des barricades aux portes et dans l’usine, tandis que les lingots d'aluminium se sont transformés en autant de « lego » pour écrire en lettres géantes les mots de notre colère.
D'autre part, sentant la montée de la colère, les patrons ont dans la nuit du 2 au 3 octobre fait vider et mis en sécurité les fours de fusion, tandis que les produits dangereux étaient transférés dans la fonderie fonte voisine.
Jeudi 6 octobre enfin, une réunion consacrée à la situation de la fonderie a eu lieu entre une délégation de l’intersyndicale, un représentant du ministre de l’Industrie Besson ainsi qu’un représentant du ministre du Travail Bertrand, signe que les pouvoirs publics voudraient bien voir notre grève s'arrêter.
Même si le poids du chômage, et le peu de confiance qu'ont encore la plupart des travailleurs dans leur force collective rendent difficile la propagation de la grève, les gouvernants et les patrons savent bien que l'étincelle entretenue par notre lutte pourrait donner des idées à d'autres travailleurs.
Ce que je peux vous dire, camarades, c'est que la lutte des fonderies, pour dure qu'elle a été, est porteuse d'espoir. Elle a déjà montré que les travailleurs n'acceptent et n'accepteront pas éternellement de prendre des coups sans les rendre.
Là où d'autres, avant nous, avaient fait le choix de sacrifier leurs salaires dans l'espoir fallacieux de sauver leurs emplois, nous avons décidé de riposter !
Il va sans dire qu’avant d'engager la lutte, nous partagions la même crainte de nous retrouver au chômage, les mêmes difficultés à boucler les fins de mois, à faire face aux traites, aux remboursements d'emprunts que tous les travailleurs. Mais arrive un moment où l'on ne peut, où l'on ne veut plus accepter.
A la fonderie, nous n'avons pas choisi ce moment. C'est la brutale attaque du patron qui l'a déterminé. Mais nous avons tout de même choisi de riposter, comme le feront nécessairement tous les travailleurs face aux attaques de plus en plus violentes contre nos conditions d'existence.
Inutile de dire que financièrement, la grève engagée pendant 8 semaines nous a coûté très cher. Mais finalement moins que nous aurait coûté la passivité. Sans la grève, nous étions sûrs de perdre. Et nos salaires, et sans doute nos emplois.
Je tiens a ce sujet à féliciter tous les camarades des syndicats CGT qui ont organisé des collectes aux portes des usines et l‘effort financier des syndicats pour remplir la caisse de « l’association des salariés en lutte de fonderie du Poitou alu » qui ont fait le choix de nous aider financièrement pour tenir le coup et comme je suis devant vous aujourd’hui permettez-moi de vous dire, Merci camarades cégétistes « motoristes » de la part des « culassiers » que personne ne pourra dorénavant traiter de broyés du Poitou !
La grève, avant même que nous entrevoyions une issue, nous a appris à quel point les travailleurs lorsqu'ils se mobilisent vraiment, ont en eux des trésors de solidarité, de dévouement, de compétence. Nous l'avons éprouvé dans bien des domaines, qu'il s'agisse de faire s'ouvrir des portes d'usines barricadées, de faire contribuer à la caisse de solidarité un élu récalcitrant, ou d'assurer le casse-croûte quotidien de centaines de grévistes.
Nous avons aussi vu tomber des barrières qu'on aurait cru plus difficilement franchissables encore que les portes d'usines. Les barrières entre syndicats par exemple.
Mais surtout celles que peuvent créer les conflits de la vie quotidienne. La grève unifie.
Elle fait prendre conscience de notre force collective. Elle révèle le courage et les compétences multiples des travailleurs.
Autre barrière était celles que recèle la conscience d’être une force sociale, nous avons découvert des ouvrières et ouvriers qui n’avaient jamais participé à aucun mouvement de grève ou de protestation que ce soit. Ils se sont révélés à cette occasion de véritables militants à part entière distribuant des tracts aux portes des usines, allant convaincre les non grévistes, les automobilistes et la population avec leurs mots a eux mais au combien efficaces et qui mettait un point d’honneur à porter soit un autocollant, un drapeau CGT et bien souvent les deux à la fois.
Montupet a tenté plusieurs fois de reprendre la main en, convoquant le 13 octobre un comité d’entreprise extraordinaire avec à l’ordre du jour la demande de mise en cessation de paiement de la fonderie.
Montupet veut se défausser de ses responsabilités, et vis-à-vis de nous les travailleurs, et de la collectivité en déclarant son incapacité à payer ses dettes. Comme si Montupet, n’avait pas les moyens de payer ! Comme si ces gangsters n’avaient pas sciemment organisé la mise en sous production de la fonderie d’Ingrandes, pendant qu’ils surchargeaient de travail leurs autres établissements !
Le matin du 13 octobre, les patrons de Montupet s’étaient même payé le luxe – et le ridicule - de nous adresser une ordonnance obtenue du Tribunal de Grande Instance de Poitiers, ordonnance qui nous enjoignait sous peine d’astreinte et d’intervention des forces de police de laisser libre l’accès à la fonderie. Le lendemain, seule une vingtaine d’agents de maîtrise et de cadres sont venus en car, mais il ne suffit pas de les autoriser à travailler pour qu’ils fassent des culasses !
Nous avons également organisé plusieurs manifestations à Poitiers et Châtellerault dont la dernière était le jeudi 20 octobre avec la présence de notre secrétaire général de la CGT Bernard Thibault à qui nous avions fait partager notre repas gastronomique au piquet de grève après lui avoir fait visiter notre usine débarrassée de la présence de nos patrons voyous.
Les patrons ont essayé à plusieurs reprises de reprendre la main, et spéculaient sur l’usure de notre grève quitte à tenter une dernière fois, la veille de la rencontre avec le ministre de l’industrie Besson, le jeudi 27 octobre, de faire un chantage pour reprendre le boulot, mais c’était sans compter sur la détermination des travailleurs à de nombreuses fois éprouvée pendant ces nombreuses semaines de grève.
La quasi-totalité des grévistes étaient contents d’avoir voté à l’unanimité la continuation de la grève de 24 heures et de parvenir à décrocher un accord de fin de conflit. Le bilan des grévistes était, qu’une fois de plus, c’est ceux qui se battent jusqu’au bout qui ont raison.
Finalement, nous avons repris le travail vendredi 28 octobre, autocollants CGT sur les bleus de travail, et tenu à le faire collectivement en cortège jusqu’aux vestiaires dans toutes les équipes de façon à montrer à la direction que les liens de fraternité que nous avons tissés pendant ces huit semaines entre fondeurs étaient profonds et sincères, nul doute que cela comptera pour les semaines et les mois à venir.
Alors oui camarades, je crois pouvoir dire que nous sommes fiers de notre lutte, fiers d'avoir osé dire non à la brutalité patronale.
Et même si nous nous sommes heurtés au difficile contexte qui jusqu'à présent fait que le poids du chômage et le manque de confiance des travailleurs en leur force collective rendent difficile la propagation de la lutte, nous avons ressenti profondément que la seule voie pour répondre à l'offensive des patrons et des gouvernants, notre seule force réelle, c'est la lutte collective. Nous savons aussi que si nous avons échoué à étendre le grève aux autres usines du groupe et au delà, demain d’autres camarades prendront la voie que nous avons tracée et seront victorieux.
Pour finir, camarades, nous devons croire en nous car c’est sur notre terrain, avec nos armes de classe, par la grève, les manifestations, tous ensemble unis et soudés que nous les ferons reculer.
Vive les luttes passées et surtout celles qu'inévitablement nous appelons de tous nos vœux et qui tôt ou tard surgiront.
Patrice Villeret