Suicides d'enseignants et crise de société (I)
Le 21 octobre, La Dépêche écrit « Carcassonne. SOS profs en souffrance », évoquant l'émoi des professeurs du lycée Jules-Fil après le suicide de l'enseignante du lycée Jean-Moulin de Béziers, Lise Bonnafous, qui s'est immolée par le feu sur son lieu de travail devant ses élèves. Sept Jours rapporte à ce sujet : « Agen. Hommage et émotion à Jean Baptiste De-Baudre ». Sur la réaction au sein du même lycée, on peut lire aussi : « Hommage des profs à leur collègue suicidée » (La Dépêche). Ou pour Rodez, Foch et Monteil, toujours dans La Dépêche : « Rodez. Une marche blanche en mémoire de Lise Bonnafous ». L'Indépendant décrit à son tour la mobilisation du lycée Jean-Durand : « Castelnaudary - L'hommage de J.-Durand à l'enseignante de Béziers ». Le Post publie une note signée PCF Béziers avec le titre « Béziers - suicide au lycée : l’hommage du père de l'enseignante », à propos de la lettre adressée par le père de Lise Bonnafous à Midi Libre. Mais les partis politiques de « gauche » et les directions syndicales ont-ils vraiment défendu les « cas particuliers » au cours des trois dernières décennies ? Trop souvent, c'est précisément par le biais d'un grand nombre de prétendus « cas particuliers », que des politiques globales néfastes mais « non dites » ont été menées à terme avec une totale passivité de la part de ceux qui disaient défendre les intérêts de salariés et fonctionnaires. Des questions d'importance stratégique ont ainsi été noyées par l'apparence de « problèmes de personnes » sciemment fabriquée. Et qui se souvient du suicide récent d'une autre enseignante, Caroline Garnier (voir, pour rappel, l'article du Dauphiné) ? Le 21 octobre également, Le Figaro emploie le titre « Professeurs : "Tout s'accumule pour faire de nous des dépressifs" ». La veille, VousNousIls écrivait « Malaise enseignant : la parole se libère ». Or peut-on ignorer que le « malaise » ne touche pas seulement les enseignants ? Il n'y a pas si longtemps, France Télécom a encore connu un suicide par le feu sur le lieu de travail (Le Monde, Le Parisien...). Après plus de vingt-cinq ans de privatisations, de délocalisations, de marchandisation des services publics, de précarisation de l'emploi et de soi-disant « bonne gouvernance », quel est l'état de la société française ? Et quel a été le rôle de l'Union Européenne ?
Comment a-t-on pu en arriver, dans un pays comme la France, à ces vagues terrifiantes de suicides au travail, précisément dans les secteurs où les « réformes » et la « bonne gestion » ont été le plus bruyamment claironnés ? Il ne s'agit manifestement pas d'un phénomène isolé dans la situation sociale actuelle. Bien au contraire, c'est de toute évidence le signe accablant d'un échec plus global de la politique menée depuis les années 1980.
Le 21 octobre, VousNousIls souligne « Aide européenne aux pauvres: les ONG françaises en appellent aux chefs d'Etat ». D'après les ONG, une « catastrophe humanitaire » menacerait l'Union Européenne dès 2012. On croirait halluciner.
Quelle honte, pour cette Europe occidentale qui tout au long des siècles récents n'a cessé de prétendre donner des leçons au monde, tout en se détruisant elle-même par une expansion coloniale qui s'est soudée par deux guerres mondiales !
Et qui, malgré cette lourde expérience historique, a persisté tout au long de l'après-guerre, et surtout depuis vingt-cinq ans environ, dans une stratégie d'exportation massive de capitaux au détriment de sa propre population et à la recherche des plus bas salaires et standards sociaux. Faut-il chercher ailleurs la source de la catastrophe actuelle, économique comme sociale ?
Car il s'agit bien, à présent, d'aide alimentaire et de « ne pas abandonner » le nombre hallucinant de « pauvres » que comptent ces pays jadis riches et que la politique de « nos élites » a dépouillés des acquis sociaux historiques.
Quelle est la valeur de l'être humain dans cette Europe qui se prétend si « avancée », et où la « bonne gouvernance » se solde par des vagues de suicides ? Quelle est la profondeur du fossé entre les « droits de l'homme » théoriques, affichés pour les besoins de la propagande, et les « droits de l'homme » réels, tels que la population peut les percevoir dans sa vie quotidienne ?
Comment, alors que l'économie européenne s'effondre au grand jour par la faute de « nos » propres « élites », l'Assemblée Nationale française peut-elle laisser en ligne cet extrait ahurissant du discours de Jules Ferry du 28 juillet 1885 défendant haut et fort la « grande expansion coloniale » de la fin du XIX siècle et les prétendus « droits et devoirs des races supérieures » ?????
Quel a été le rôle historique des Traités de Maastricht, de Lisbonne et de Barcelone (les trois, adoptés sous des gouvernements qui se disaient de « gauche ») , de la marchandisation des services publics, des privatisations planifiées et des « réformes » diverses ainsi imposées... ? Une politique profondément antisociale dans lequelle « droites » et « gauches » ont trempé, comme ce fut déjà le cas avec le colonialisme et la première guerre mondiale.
Le bilan depuis les années 1850, est-ce autre chose que celui d'une longue période d'auto-destruction européenne ?
Et pour sortir de cette situation, quelle issue parlementaire peut-il y avoir ? Les « gauches » sont-elles porteuses d'une politique différente de celle des « droites » ?
Suit la lettre adressé au recteur de l'académie de Montpellier par les personnels de la cité scolaire Jean Moulin
http://sgenmontp.ouvaton.org/article.php3?id_article=447
http://collectifuneplacepourtous.midiblogs.com/archive/20...
Béziers, le 19 octobre 2011
A Monsieur le Recteur de l’académie de Montpellier
s/c de M. le Proviseur de la cité scolaire Jean Moulin, Béziers
Monsieur le Recteur,
Nous avons, au mois de septembre, demandé et obtenu une audience au sujet de la situation préoccupante de la cité scolaire Jean Moulin.
Reçue dans les délais les plus brefs, notre délégation a certes pu exposer des éléments objectifs et concrets qui ont permis un diagnostic partagé, précis et très alarmant de nos conditions de rentrée.
La situation de la cité scolaire est donc connue, mais aucune mesure n’a été prise sur le terrain. L’acte de notre collègue nous a tous plongés dans un état de vive émotion, de tension extrême et de colère.
Nous regrettons de ne pas vous avoir rencontré dans ce moment de crise. A la veille de reprendre les élèves, les personnels font un constat terrible : celui de leur désarroi face à un tel traumatisme. Nous tenons à cet égard à remercier chaleureusement l’ensemble des bénévoles qui sont intervenus dans le cadre de la cellule psychologique.
Nous demandons unanimement l’ouverture d’une enquête administrative sur les circonstances de ce drame, car nous ne pouvons nous satisfaire des explications fournies par nos autorités de tutelle.
Cet événement d’une extrême violence a amplifié de nombreux questionnements, et en a suscité d’autres, au sujet de nos conditions de travail, et au sujet de la manière dont les personnels de l’Education Nationale ne sont ni entendus, ni aidés, ni suivis lorsqu’ils rencontrent des difficultés dans l’exercice de leurs missions, de plus en plus lourdes et complexes.
La multitude des témoignages que nous recevons de nombreux établissements de France, nous montrent que nous sommes dans la même situation. La parole est en train de se libérer sur le malaise enseignant : écoutez-la !
Nous sollicitons une audience dans les plus brefs délais pour entendre nos attentes parmi lesquelles :
- Mettre en place une médecine du travail adaptée ;
- Restituer les moyens perdus depuis cinq ans ;
- Adapter les moyens aux besoins et aux spécificités de chaque établissement, en concertation avec les personnels.
FAITES NOUS CONFIANCE !
Veuillez agréer, M. le Recteur, l’expression de nos salutations respectueuses.
Les personnels de la cité scolaire Jean Moulin, Béziers.
(fin de la lettre des personnels de la cité scolaire Jean Moulin)
Le 15 octobre, dans un article intitulé « Malaise et suicides dans l’Education nationale. 13 octobre 2011 à Béziers... », Sauvons l'Ecole écrivait :
(...)
Les suicides d’enseignants se suivent sans entamer les certitudes de Chatel et consorts... Hérault en octobre, Isère en septembre, Guyane et Réunion en août, Charente en mai, Gironde en mars... pour citer quelques cas dont j’ai connaissance.
Les suicides d’enseignants se ressemblent aussi : ils ont lieu de plus en plus sur le lieu de travail pour bien marquer la cause de cet acte désespéré. Il est vrai qu’ils concernent fréquemment les collègues les plus exposés : vacataires, contractuels, stagiaires, prof de lycée pro...
(...)
Quiconque connaît l’effondrement du niveau de vie dans les milieux populaires, quiconque connaît l’effondrement du niveau de vie des jeunes, quiconque connaît l’effondrement du nombre de postes dans l’Education Nationale comprend que la situation ne peut qu’être explosive.
(...)
(fin de citation)
C'est en effet l'ensemble de la société, sauf une petite minorité, qui subit les conséquences de l'incroyable débâcle de la politique « consensuelle » des trois dernières décennies. La mise sur la touche du métier d'enseignant ayant encore aggravé cette situation dans l'Education Nationale.