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Publié le par FSC

Un harcélement dont  "nos " médias si friands d'antsémistisme (qu'il faut condamner bien sûr sans hésitation) se gardent de mentionner le plus souvent.

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SOURCE ; Le Monde

La guérilla virtuelle de militants pro-Israël contre les sympathisants propalestiniens en France

Plusieurs groupes publient sur les réseaux sociaux les coordonnées personnelles de politiques, militants ou influenceurs soutenant la Palestine et incitent au harcèlement. Une enquête préliminaire est ouverte à la suite d’une demi-douzaine de plaintes.

Par Christophe Ayad et Samuel Laurent

 

SEVERIN MILLET

« Envie de vous faire plaisir ? Donnez-nous des cibles. S’ils méritent on les trolle. » Petits émojis clin d’œil et téléphone à l’appui, les administrateurs du groupe Telegram « Brigade juive », récemment rebaptisé « Dragons célestes » − une référence à une caste qui dirige le monde dans le manga One Piece, jugé parfois antisémite −, sont en quête d’une nouvelle proie à « troller » pour commencer 2024. Le terme exact serait plutôt « doxer », expression anglaise désignant le fait de publier les coordonnées personnelles (adresse, numéro de téléphone…) d’une personne sans son consentement, dans le but d’inciter à son harcèlement.

La panne d’inspiration ne dure pas. Le téléphone personnel d’un journaliste sportif est publié sur le canal le 8 janvier ; puis celui d’un streameur Twitch. Tous deux sont accusés de relayer des messages propalestiniens. Le lendemain, c’est une figure conspirationniste belge qui est ciblée, là encore avec publication d’informations personnelles. Le 12, un journaliste du média AJ+, filiale de la chaîne qatarie Al-Jazira. Le 19, trois militants toulousains du collectif Palestine vaincra. Le 21, une militante de La France insoumise (LFI). Tous recevront des appels par dizaines, des messages malveillants ou des menaces sur leur téléphone portable.

Le conflit entre Israël et le Hamas est aussi une guerre de propagande qui se mène sur des fronts parfois virtuels. Les actes et propos antisémites ont explosé en France, notamment sur les réseaux sociaux, selon le Conseil représentatif des institutions juives de France. Sur ces mêmes réseaux s’ajoute une offensive tous azimuts des soutiens d’Israël, avec des méthodes déjà employées quelques années plus tôt contre les animateurs du mouvement propalestinien BDS (boycott, désinvestissement et sanctions), qui appelait à boycotter les produits israéliens.

« Il a eu très peur »

Le parquet de Paris confirme avoir reçu au moins cinq plaintes relatives au seul groupe « Brigade juive ». Une enquête préliminaire est ouverte, confiée à la brigade de répression de la délinquance à la personne, sous la direction du pôle national de lutte contre la haine en ligne. Outre ce groupe, plusieurs autres activistes, dont certains regroupés sous la bannière de « Swords of Solomon » (« les épées de Salomon »), se sont fait une spécialité du « doxing » utilisé comme un moyen d’intimidation, de façon, sinon industrielle, du moins très organisée. Ils ont tous pour point commun d’être anonymes.

La méthode est perfectionnée et ne se limite pas à la publication de coordonnées. « Des numéros israéliens ont appelé en boucle et en nombre », raconte, sous le couvert de l’anonymat, l’un des animateurs de Cerfia, un compte consacré à l’actualité sur le réseau social X, dont trois membres ont été ciblés en novembre 2023 par la « Brigade juive ».

 « On a aussi eu un appel de la préfecture de police nous demandant de venir au commissariat car on était accusés d’apologie du terrorisme, poursuit l’animateur du compte. Mais c’était un faux, ils ont réussi à se faire passer pour la préfecture. » Un jeune bénévole du compte a subi d’autres mauvaises plaisanteries, comme des livraisons de pizzas qu’il n’a pas commandées à son domicile, la diffusion de photos et de l’adresse de ses grands-parents, etc. « Ça a duré une semaine, il a eu très peur », et a décidé de cesser de participer au compte, ajoute son animateur.

Des soupçons autour de « hackeurs israéliens »

Assouan Bougherara, entrepreneur actif politiquement sur les réseaux sociaux − il faisait partie, en 2022, des animateurs du podcast « A la bonne franquette » −, plus connu sous son pseudonyme « Jimmy deux fois », a aussi vu ses coordonnées divulguées, fin 2023, par la « Brigade juive ». Heureusement, raconte-t-il, le numéro publié n’était pas son téléphone principal. Il n’en a pas moins reçu « une cinquantaine d’appels par jour », mais aussi des messages menaçants − « on sait où tu habites » − parfois envoyés sur son e-mail professionnel.

La même mésaventure est arrivée au journaliste et militant Kamil Abderrahman, fin novembre 2023. Dans son cas également, un ancien numéro a été diffusé. « C’est un monsieur d’origine malienne qui reçoit les appels, il ne comprend pas », raconte-t-il après l’avoir appelé. Comme d’autres, il soupçonne que des « hackeurs israéliens » se cachent derrière le canal Telegram de la « Brigade juive ». Un soupçon qui revient chez beaucoup de victimes, mais que rien ne permet de prouver à ce stade, même si le compte X de la « Brigade juive » a plusieurs fois rendu hommage au célèbre pirate franco-israélien Grégory Chelli, dit « Ulcan », spécialiste de ce genre d’opérations et qui s’en était pris à des journalistes français en 2014. Le hackeur, qui vit désormais en Israël, a été condamné − en son absence − à deux ans de prison en février 2023 pour avoir diffusé les coordonnées personnelles de l’ex-journaliste du Point Aziz Zemouri.

Parmi les cibles des activistes de la « Brigade juive » figurent aussi les parlementaires de LFI. Le groupe a publié les coordonnées d’une dizaine de députés LFI, occasionnant, là encore, menaces et harcèlement massifs. Au moins trois d’entre eux confirment avoir porté plainte contre X. Ersilia Soudais, députée LFI de Seine-et-Marne, a connu un traitement particulier : son compagnon a également été ciblé et ses coordonnées diffusées et « partagées dans de nombreuses autres boucles, avec la participation active de militants d’extrême droite », précise l’élue, lui occasionnant « plus d’une centaine » d’appels, dont « 90 % étaient des numéros français ». Le couple a également porté plainte.

Dizaines de menaces de mort et d’injures par jour

La « Brigade juive » a été plus virulente encore à l’égard de Warda A. En novembre 2023, cette influenceuse avait provoqué un tollé en ironisant, sur Instagram, à propos de la rumeur − jamais confirmée − évoquant un bébé placé dans un four par les terroristes du Hamas lors de l’attaque du 7 octobre. Poursuivie par plusieurs associations pour « apologie du terrorisme », elle a été condamnée, le 6 décembre, à dix mois de prison avec sursis, jugement dont elle a fait appel.

Les activistes numériques ne se sont, cette fois, pas contentés de divulguer son numéro de téléphone personnel. Ils ont également donné un autre numéro − erroné − présenté comme celui de son fils mineur et diffusé une vidéo intime de la jeune femme. Depuis, l’influenceuse, qui a porté plainte contre X le 25 janvier, assure, constat d’huissier à l’appui, recevoir chaque jour des dizaines de menaces de mort et d’injures : « pute », « fais gaffe à ton fils », « fais gaffe la nuit quand tu rentres chez toi ». « Elle a reçu tellement d’appels que son téléphone a bugué », explique son conseil, Me Ilyacine Maallaoui.

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L’avocat n’a d’ailleurs pas échappé aux campagnes de harcèlement, en provenance d’un autre groupe Telegram, « AmIsraël-Team Action ». Accusé, dans l’un des messages, d’être « l’avocat de tous les propalestiniens numériques », Me Maallaoui a fait constater par huissier les projets détaillés par « AmIsraël » pour « lui faire passer un message » : outre le harceler d’appels − il a reçu de nombreux messages racistes et menaces, et a observé des retraits frauduleux sur ses comptes bancaires, qu’il soupçonne d’être piratés − le groupe proposait de s’unir pour publier des avis négatifs à son encontre sur Google ou d’autres annuaires d’avocats. Ils voulaient l’accuser de toucher de l’argent sans travailler ou d’avoir des « regards lubriques » sur ses clientes.

Autant de méthodes destinées à « le dégoûter de reprendre ce genre de clientes », mais aussi à « faire comprendre aux autres [avocats] ce qui se passera s’ils défendent des déchets pareils ». « J’étais l’un des avocats de Sofien Ayari [arrêté aux côtés de Salah Abdeslam à Bruxelles] au procès du 13 novembre, et je n’ai pas reçu le dixième de cette violence », raconte celui qui représente également l’influenceuse Maeva Ghennam. Cette dernière a aussi porté plainte, le 6 novembre 2023, pour harcèlement, à la suite de ses prises de position propalestiniennes. Pour Me Maallaoui, « au-delà des attaques ad hominem, c’est le principe même de la défense pénale qui est remis en cause par ces actions coordonnées ». « Je n’ai pas de doutes sur le fait qu’ils seront localisés, poursuivis puis jugés. L’impunité numérique est une illusion », ajoute-t-il.

Les Palestiniens de France pris pour cible

Autre cible : les Palestiniens de France qui s’engagent pour leur peuple. C’est le cas de Shadi, un Franco-Palestinien de 36 ans, qui ne souhaite pas être nommé en raison du harcèlement en ligne dont il a fait l’objet en décembre 2023. Militant de la première heure, notamment dans le cadre de l’Union générale des étudiants palestiniens, il a toujours pris soin de séparer cet engagement personnel et son activité professionnelle, en évitant toute présence sur les réseaux sociaux et en signant les pétitions sous un nom d’emprunt. Diplômé de l’Ecole centrale, Shadi a fondé avec deux amis une start-up dans le domaine du luxe.

Après le 7 octobre, l’entrepreneur a participé à la création de la plate-forme Urgence Palestine, qui est à l’origine des premiers appels à manifester pour un cessez-le-feu à Gaza. « Nous avons très rapidement mis en avant le terme de génocide », explique Shadi. Le 29 décembre, « Swords of Solomon » s’en prend à lui sur X en dévoilant son nom et celui de son entreprise. Son tort ?

Avoir relayé l’appel d’Urgence Palestine à venir aux festivités du Nouvel An, sur les Champs-Elysées et ailleurs, avec un drapeau palestinien. « Des personnes mal intentionnées ont voulu y voir un appel à l’insurrection, explique Shadi. Eric Ciotti [président de LR] et Jean Messiha [polémiste d’extrême droite] ont interpellé Darmanin [le ministre de l’intérieur] à mon sujet. »

Les tweets donnant son adresse personnelle, où vivent sa femme et ses deux jeunes enfants, ainsi que celle de sa boutique sont alors relayés par des bots à l’infini. La chercheuse controversée Florence Bergeaud-Blackler, qui se dit spécialiste des réseaux islamistes en Europe, le décrit sur X comme un « Frère musulman » s’adressant à la « oumma des quartiers », alors qu’il est chrétien de confession grecque-orthodoxe. Le lendemain de cette offensive en ligne, sa boutique est couverte d’affiches d’Unité juive et de photos d’otages du Hamas. Ses associés craignent que cette campagne de diffamation ait des conséquences sur la réputation de la marque et auprès de potentiels investisseurs.

Christophe Ayad et Samuel Laurent

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