Au Moyen-Orient, des marques américaines sous la pression d’un boycott contre Israël
Par Hélène Sallon
Le Monde du 13 juin 2024
Starbucks et McDonald’s ont publié des résultats trimestriels en baisse dans la région. Accusés de soutenir Israël, ces groupes subissent les effets d’une campagne incitant les consommateurs à se détourner de leurs produits.
Les cafés Starbucks et les enseignes McDonald’s du Moyen-Orient n’ont pas été totalement désertés. Les étalages des supermarchés sont encore garnis de bouteilles de Coca-Cola et de Pepsi. Mais, à l’heure de faire les comptes, plusieurs entreprises internationales ont dû se rendre à l’évidence : une campagne de boycott menée contre les entreprises accusées de soutenir Israël est loin d’être indolore alors que la guerre dans la bande de Gaza est entrée dans son neuvième mois.
Très populaire dans la région, du fait de la viralité des réseaux sociaux, l’initiative touche de nombreuses marques, épinglées par les militants propalestiniens comme liées à Israël ou associées à « l’impérialisme américain ». Le soutien inconditionnel qu’apporte Washington à l’Etat hébreu dans sa guerre contre le Hamas – mardi 11 juin, le ministère de la santé du Hamas recensait plus de 37 000 morts dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre, en octobre 2023 – suscite une vague de colère et d’indignation.
La chaîne américaine Starbucks en fait les frais depuis qu’elle a poursuivi en justice, en octobre 2023, la confédération syndicale Workers United, qui représente les syndicats de 370 enseignes Starbucks aux Etats-Unis, pour avoir posté sur les réseaux sociaux un message de solidarité avec la Palestine. En mars, le groupe koweïtien Alshaya, qui gère les franchises Starbucks au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, a annoncé le licenciement de 2 000 employés dans la région, soit 4 % de sa masse salariale, conséquence d’une chute des ventes.
Le mois suivant, la maison mère, basée à Seattle, a annoncé une baisse de 15 % de son bénéfice net trimestriel. Son directeur général, Laxman Narasimhan, a reconnu que cette mauvaise performance, due à une baisse significative des ventes aux Etats-Unis et au Moyen-Orient, était le fait d’une « perception erronée autour de sa marque, liée… à la guerre entre Israël et le Hamas ».
Changer son comportement de consommation
La société a beau répéter n’avoir aucun « agenda politique » ou se défendre « d’utiliser [ses] profits pour financer un gouvernement ou des opérations militaires où que ce soit », le préjudice réputationnel risque d’être de longue durée. Pour tenter de réparer leur image, la fondation caritative Starbucks et le groupe Alshaya ont annoncé, en avril, un don de 3 millions de dollars (2,8 millions d’euros) à l’organisation non gouvernementale World Central Kitchen pour fournir un million de repas dans la bande de Gaza.
D’autres marques ont également souffert pour les mêmes raisons. Le groupe Americana, qui dirige les franchises au Moyen-Orient de chaînes de restauration rapide comme Hardee’s, KFC et Pizza Hut, a annoncé une chute de près de 50 % de ses profits trimestriels, citant des « tensions géopolitiques persistantes » au Moyen-Orient et des effets du mois de ramadan.
En février, McDonald’s avait annoncé que l’entreprise n’avait pas atteint ses objectifs de résultats pour la première fois en quatre ans, les ventes étant surtout touchées au Moyen-Orient. La société, cible du boycott depuis que ses franchises en Israël ont donné des repas gratuits aux soldats israéliens, a annoncé, en avril, racheter toutes les enseignes israéliennes à la société Alonyal. Les franchises dans les pays arabes avaient pâti de cette campagne en Israël, malgré des efforts pour s’en dissocier. McDonald’s Arabie saoudite avait ainsi annoncé faire un don de 500 000 euros à des associations humanitaires dans la bande de Gaza.
Chez les chefs d’entreprise de la région, « il ressort un niveau d’indignation inquiétant à l’égard de la politique américaine, perçue comme à la fois amorale et préjudiciable à la capacité de la région à se développer économiquement », relève Stefanie Hausheer Ali du cercle de réflexion Atlantic Council, basé à Washington. Les efforts qu’ils font, au niveau local, pour afficher leur solidarité avec la population de Gaza ont souvent peu d’effet contre le boycott. User de leur pouvoir économique, en changeant leur comportement de consommation, est pour beaucoup, au Moyen-Orient, le moyen le plus efficace d’exprimer des positions politiques et éthiques, en particulier parmi les jeunes.
Scanner les codes-barres
« Dans les pays du Moyen-Orient où les manifestations sont sévèrement restreintes et où les conséquences de s’exprimer peuvent être désastreuses, le boycott des marques américaines est un moyen à faible risque de manifester collectivement sa colère face à la situation à Gaza et au soutien des Etats-Unis à Israël », poursuit Stefanie Hausheer Ali. L’expression politique par le porte-monnaie peut se révéler aussi complexe que l’expérience d’un électeur face à la foison de listes électorales. Elle donne lieu à d’intenses débats entre amis sur qui boycotter et pourquoi.
Des applications ont été lancées pour aider les consommateurs à repérer les marques qui auraient des liens avec Israël en scannant les codes-barres, comme Boycat ou No Thanks. Sur Instagram, TikTok ou Facebook, des listes de sociétés à boycotter sont relayées, sans que soient toujours expliquées les raisons du boycott. Ces listes sont souvent plus exhaustives que celle fournie par la campagne Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), qui, pour sa part, prône des actions ciblées.
Lancée en 2005 sur le modèle du mouvement de boycott contre l’apartheid sud-africain entre les années 1960 et 1990, la campagne BDS incite à se détourner des produits et services israéliens, au désinvestissement dans les entreprises du pays et à des sanctions contre le gouvernement pour mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens. Elle avait déjà épinglé Coca-Cola parce qu’elle gère une usine dans la colonie d’Atarot, en Cisjordanie occupée, et PepsiCo après son acquisition de la société israélienne SodaStream, en plus de nombreuses autres sociétés.
Les chaînes de restauration rapides et les entreprises agroalimentaires sont les premières cibles de la campagne de boycott, à la différence d’entreprises comme Google, Amazon et Oracle. Bien qu’identifiées par le BDS comme étant liés à Israël, ces dernières ont été peu affectées jusqu’ici car il n’existe pas d’alternative locale. Mais la tendance à l’œuvre fait les affaires des imitations de Coca-Cola et de Pepsi au Moyen-Orient, comme Jalloul et Zee Cola au Liban, Matrix en Jordanie ou Spiro Spathis en Egypte, qui ont vu leurs ventes exploser depuis le déclenchement de la guerre.